Выбрать главу

Le silence s’était abattu dans l’auto et tous songeaient au coup manqué, lorsque, soudain, Steve se manifesta.

— Jean, tu peux plus rentrer chez toi cette nuit.

— Ah ! non ? s’étonna ce dernier. Et pourquoi ça ?

— À cause du vieux. Probable qu’il est emballé à l’heure qu’il est.

— Et alors ?

— Et alors, n’oublie pas qu’il connaît ton adresse.

L’Oranais ralentit, en voyant au loin des feux se mettre à l’orange.

— Et puis après ?

— Eh bien, s’il est entre les pattes des flics, il va s’allonger sur toi, Ça va pas faire un pli.

— Non, répliqua Jean Baez, freinant devant le feu passé au rouge. Le vieux s’affalera pas. J’en suis sûr. Et puis rien ne dit qu’il est cravaté. Et même s’il l’est, rien ne prouve qu’il était dans le coup du casse. C’est pas écrit sur son dos.

Steve allongea ses jambes sous le tablier et le mouvement libéra une odeur qui s’était imprégnée en lui.

— Quelle puanteur ! dit-il, en abaissant la glace de son côté. Pour en revenir au vieux, c’est juste une mesure de précaution que je te propose. Tu ne dois pas rentrer chez toi avant d’être fixé. Si tu veux venir coucher à la maison… quoique ce soit plutôt minable… À moins que chez Sam…

Élevant le ton :

— Qu’est-ce que t’en penses, Sam ?

— Y a un lit pour lui, répondit le petit Sam qui, adossé à la banquette, ne perdait pas un centimètre de sa courte taille.

Les feux revinrent au vert. Jean Baez relança la Chevrolet.

— C’est d’accord, dit-il. Merci Sam. Mais je crois que pour le vieux, vous vous gourez.

— Possible, déclara Steve. Mais tu dois pas prendre de risque. T’es pas seul. Personne doit faire courir de risque aux autres. On s’était bien mis d’accord là-dessus avant.

Il avait parlé un peu trop sèchement au goût de l’Oranais qui le chercha du regard.

— T’as l’air de supposer que si le vieux me balançait que moi aussi je m’allongerais sur vous tous. C’est ça ?

Steve ne détourna pas les yeux.

— Crois ce que tu veux. Mais moi je crois qu’en une chose : si quelqu’un parle, il y a quelques années de Sing-Sing au bout du parcours.

— O.K. sourit l’Oranais au bout d’un moment. Dans le fond t’as pas tort. On doit être méfiants. J’irai ronfler chez le petit Sam en attendant de savoir.

Et comme il virait dans la 24e Rue :

— Te voilà chez toi, Bob !

Ce dernier ne broncha pas. Il restait tête dans les mains, coudes sur les genoux, totalement abattu. Sam le cogna au flanc, alors que la voiture stoppait non loin d’une plaque d’où s’élevait une colonne de vapeur.

— T’es rendu, Bob.

Le jeune mécano se secoua.

— Mais comment que c’est arrivé ? murmura-t-il, toujours plongé dans son problème. Comment ?

— Va donc te pager, grommela Steve en descendant pour lui laisser le passage. Qu’est-ce que ça peut nous foutre comment que c’est arrivé ? Ce qui compte c’est que c’est arrivé et non le pourquoi.

Allez, descends.

Bob obéit. Comme il mettait pied à terre, il frissonna, saisi par l’humidité de l’air. Et soudain, il s’affola en se passant les mains sur son chandail.

— Et ma canadienne ? Ma canadienne ?

— Quoi, ta canadienne ? fit Steve. Eh bien, y a longtemps que j’ai remarqué que tu l’avais plus. Et alors ? Tu l’as oubliée là-bas ? En voilà une perte ! Il n’y avait pas de marque après, puisqu’on les a toutes enlevées ! Alors calme-toi. Et va te coucher.

— Mais c’est pas pour ça ! gémit Bob, s’étreignant nerveusement les mains. C’est pour la canadienne ! C’est que j’avais mes papiers dedans… mon permis de conduire… mon…

Steve sentit son sang se glacer.

— Quoi ? Tu veux dire ?…

Il l’attrapa à la gorge. Bob aurait pu se dégager d’une pichenette, mais il ne sut que balbutier ;

— Oui… J’avais mon permis dans ma poche… vu que j’avais pas de veston… et que le porte-cartes me gênait dans mon froc…

— Bougre de connard ! s’emporta Steve en serrant plus fort. Bougre de sale connard ! Tu vas nous faire baiser.

Jean Baez, qui avait jailli de la bagnole, lui happa les poignets.

— Laisse, Steve. À quoi bon t’emballer ? Ça n’arrangera plus rien.

Steve rabaissa les bras, scruta Bob d’un œil dur, laissa tomber.

— Fous le camp.

— Mais qu’est-ce que je vais devenir ? supplia le mécano. Les flics vont trouver mon permis et venir m’arrêter. Je peux pas rentrer chez moi.

— Mais où veux-tu aller ? gronda Steve. Pas chez moi en tout cas. T’es une menace maintenant.

L’Oranais désigna l’arrière de la Chevrolet.

— Peut-être que Sam, lui, voudrait bien…

Steve, qui ne quittait pas Bob du regard, et dont une ride barrait le front, sembla hésiter avant de lui conseiller :

— Bon, on va essayer de te trouver une planque. Mais on est pas rupin. Alors si t’as des fringues et du pognon chez toi, file les chercher. T’en auras besoin.

— Et les flics ? s’affola Bob, de nouveau. Ils peuvent rappliquer pendant que je serai là-haut !

Steve haussa les épaules.

— Pas avant une heure au moins. Laisse-leur le temps de penser aux égouts. Pour l’instant, je parie qu’ils fouillent tout le 38. Allez, va. Tu risques rien.

Un peu de chaleur parut renaître dans le regard de Bob.

— Bon, bon, j’y cours, dit-il vivement. Je vais faire attention de réveiller personne.

Il fit demi-tour, traversa la rue, se dirigea rapidement vers la fumée qui sortait du sol. Il n’en était plus très loin, lorsqu’il revint aussi vite sur ses pas.

— Vous m’attendez, hein, les gars ? supplia-t-il. Vous vous barrerez pas, hein ?

— Mais non, le rassura Steve. Magne-toi. Tu perds du temps.

Soulagé Bob repartit de nouveau. Aussitôt Steve jeta d’une voix subitement décidée :

— Sain !

Ce dernier sauta à bas de l’auto. Il devait vite comprendre, car un P38 étincelait dans sa petite main grassouillette.

— Mais vous êtes dingues ! voulut s’interposer l’Oranais. Vous n’allez pas…

Le canon d’un flingue le cogna au creux de la hanche. Steve avait agi vite et Jean Baez ne s’était pas méfié. Steve précisa :

— C’est lui ou nous. On pourra pas le planquer tout le temps. Un jour ou l’autre il se fera emballer et se mettra à table. Avec lui c’est sûr.

Et comme l’Oranais bougeait, il enfonça encore plus le canon de son calibre dans les côtes de son équipier.

— Te mêle pas de ça. Si t’es trop con, laisse-nous faire.

— Sam !

Sans bruit, le petit homme s’élança sur les traces de Bob qui atteignit le nuage de vapeur.

— Pas dans le dos au moins ! implora l’Oranais. C’est dégueulasse !

— O.K. fit Steve, qui cria aussitôt : Bob !

Le nom résonna dans la rue déserte et sombre. Le jeune mécano se retourna juste comme Sam levait son bras court. Trois éclairs orangés rayèrent l’obscurité. Trois détonations explosèrent dans le silence. Frappé en pleine poitrine, Bob tournoya sur lui-même, poussa un léger cri, et se cassa en deux avant de s’écrouler au milieu de la colonne de vapeur. À part ses pieds qui dépassaient, tout le reste de son corps paraissait déjà appartenir au néant.

Pendant que les autres remontaient vivement en voiture, Sam courut et se perdit un instant dans la vapeur. Une quatrième détonation roula le long des maisons de la 24e Rue. Puis le petit tueur émergea de la vapeur et en courant revint vers la Chevrolet dont l’Oranais commençait à lancer le moteur.