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Le ciel se dégageait au-dessus des buildings, et l’aube n’allait pas tarder à chasser la nuit.

Un taxi jaune à toit rouge stoppa aux pieds de deux lanternes vertes : la station de police de la 47e Rue, située entre la 8e et la 9e Avenue. Après avoir jeté un billet au chauffeur, Tom O’Bannion en jaillit et s’engouffra dans le quart, en se heurtant à un photographe de presse qui en sortait. Les poulets de service qui se curaient les ongles, derrière leur barrière, levèrent les yeux sur lui. Tom alla à eux. Il était en trench-coat, nu-tête, les cheveux en broussailles, pas rasé, et du bas de son pantalon dépassait le tissu bleu d’un pyjama.

— Bonsoir, lança-t-il, en abordant ses collègues en uniforme. Je viens pour Louis Coppolano.

D’un geste dénotant l’habitude, il ouvrit d’une main un porte-cartes, le présenta au chef de poste qui put lire : « TOM O’BANNION » CUSTOMS AGENT US. TREASURY DEPARTEMENT ».

Aussitôt le chef des archers hocha sa bouille rougeaude d’irlandais porté sur le bourbon.

— O.K., fit-il. Il est là-haut.

Tom remercia et se hâta vers le fond, où s’ouvrait un couloir. Il passa devant le corps de garde où des pieds-plats se préparaient à la relève de 6 heures. Tous avaient le torse moulé dans des pull-overs disparates, mais tous retrouveraient une ressemblance quand ils endosseraient leurs épaisses vestes de drap bleu. Tous avaient la gueule mâle et des muscles sous leur chandail de civil. À leur ceinturon-cartouchière étaient accrochées de puissantes torches électriques, et des étuis d’où émergeaient les crosses des 38 réglementaires.

Sur un banc, près d’un calorifère, un clochard, un Noir, en écrasait en se grattant sous les bras. Il se marrait dans son sommeil. Peut-être qu’il rêvait qu’il se trouvait à l’Aldorf dans un plumard à oreiller de dentelle !

Tom prit l’escalier après le poste, monta au premier, s’immobilisa au seuil de la salle des détectives. Ils étaient deux, face à face, séparés par leurs dossiers, leurs téléphones, leurs machines à écrire, leurs nécessaires de bureau. L’ensemble donnait une impression de lassitude. Les hommes semblaient aussi fatigués que les peintures et aussi tendres que la grille encastrée entre deux murs, derrière laquelle un Porto-Ricain cuvait sa marijuana en tripotant le devant de sa chemise ensanglantée.

La pièce surchauffée avait obligé les deux flics à ôter leur veston, aussi leurs calibres à canon court apparaissaient-ils logés dans les étuis fixés à leur ceinture de pantalon.

Assis devant eux, le père de Mike tournait le dos à l’entrée. Ni lui, ni les autres n’avaient aperçu Tom.

— Ça fait cent fois que je vous répète la même chose, disait le vieux d’une voix qui ne cherchait même plus à convaincre. Je pouvais pas dormir et j’ai décidé d’aller traîner dans Broadway. Ça m’arrive parfois. À mon âge on dort mal. Quand vos collègues m’ont trouvé, je rentrais chez moi.

— Drôle d’idée de passer par la 47e Rue pour rentrer chez vous qui demeurez au bas de la ville, ironisa un poulet, un chauve aux joues grises.

Louis Coppolano haussa les épaules.

— Que voulez-vous que je vous dise ! J’aime parfois marcher au hasard dans les rues. C’est mon droit. Et cette nuit j’avais décidé de prendre le métro de la 47e Rue. C’est aussi mon droit.

— Sûr, fit le deuxième détective, un brun à l’air triste. De toute façon, nous ne demandons qu’à vous croire. Une fois qu’on aura confirmation que vous êtes bien le père de Mike Coppolano, vous pourrez partir.

Tom se décida à intervenir. Il entra sans frapper.

— Il l’est, dit-il. Je suis le collègue de Mike en mission à l’étranger pour l’instant. Bonsoir, les gars, ajouta-t-il, en leur présentant son porte-cartes.

Puis tourné vers le vieux, il lui sourit, d’un sourire chaud, amical.

— Qu’est-ce qui vous arrive, m’sieur Coppolano ? Au téléphone on m’a raconté qu’on vous avait coincé dans un barrage à la suite d’un casse ?

Sa voix était aussi amicale que son sourire. C’est qu’il aimait bien le vieux, car il connaissait toute l’histoire de Mike.

— C’est exact, expliqua le chauve, faisant signe à Tom qu’il pouvait ranger son porte-cartes. C’est le seul type que nous ayons trouvé sur le tas, quelques instants après le déclenchement de l’alerte.

— Et où c’était ce casse ? s’intéressa Tom.

— Dans le block des diamantaires, renseigna l’autre flic en bâillant.

— Pas de chance, m’sieur Coppolano ! s’esclaffa Tom. Mais aussi, quelle idée de vous balader dans ce coin-là à cette heure !

— C’est bien ce qui nous a également étonnés, renchérit le chauve en se levant. C’est pourquoi on l’a un peu secoué au début. Mais enfin, je pense qu’il nous excusera.

Il contempla le vieux, ajouta à son intention !

— Puisque vous êtes le père de l’un de nous, vous êtes comme qui dirait de la partie. Aussi vous devez nous comprendre.

Louis inclina sa tête argentée, aux traits burinés par le manque de sommeil.

— Je vous comprends et je vous en veux pas. Mais si c’est possible, je voudrais bien rentrer maintenant. Faut qu’à 9 heures je sois à mon boulot.

— Bien sûr, approuva le brun triste, se levant à son tour. On va juste vous demander de signer votre déposition.

Tirant sur une feuille coincée dans sa machine, il la posa devant le vieux, lui tendit son stylo.

— Tenez, si vous voulez signer là…

Son index montrait l’endroit. Louis s’exécuta avant de quitter sa chaise.

— À présent je peux m’en aller ?

— Oui, oui fit le chauve. Et encore une fois nos excuses.

Le vieux amorça un geste pour s’éloigner, lorsque l’autre le retint par le bras.

— Vraiment vous ne connaissez pas ce Robert Litchie ? Ni cette canadienne ?

Il désignait une canadienne et un portefeuille ouvert jeté sur le coin de son bureau.

— Je vous l’ai déjà dit, soupira Louis Coppolano. Pourquoi voudriez-vous que je connaisse ce garçon ?

— Qu’est-ce que c’est donc ? s’informa Tom, montrant à son tour les objets en question.

— Une canadienne et un permis de conduire oubliés sur les lieux du casse, expliqua le brun triste.

— On les a ramassés dans un égout, enchaîna son collègue. On vient juste de nous les apporter.

— Oh ! mais vous les tenez alors ! s’excita Tom repris par la passion du métier. C’est du gâteau.

— On y compte, répliqua le brun triste. Une équipe vient de foncer à l’adresse du gars.

— Et quand on le tiendra, on sera pas loin de cravater les autres, renchérit son collègue, qui ajouta en tendant la main au vieux :

— Heureux d’avoir fait votre connaissance, monsieur Coppolano. Et encore une fois toutes nos excuses.

L’autre flic allongea la main à son tour.

— Je vous raccompagne, monsieur Coppolano. Venez, voulez-vous.

Et, suivi de Tom, il entraîna le vieux vers la sortie, sous l’œil morne du Porto-Ricain qui s’était mis à sucer le pan de sa chemise ensanglantée.

XII

Dans la journée le temps avait viré au beau et fait oublier la pluie de la veille. La nuit venait de tomber sur New York, et les buildings dressaient leurs longues formes cubiques dans un ciel dégagé de nuages ; illuminés par des milliers et des milliers de fenêtres, ils faisaient songer à une cité futuriste, à une ville d’un autre monde.