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Dans les rues et les avenues, c’était une coulée, un ruissellement de lumières, provoqués par les phares d’autos. Les vitrines brillaient de toutes leurs lumières. Des gens pleins de vie, débordants d’activité, engorgeaient les trottoirs.

Le feu s’étant déclaré en haut de Manhattan, une sirène de pompier hurla impérativement non loin de la 112e Rue.

Dans son taudis, Steve gémit sous les draps moites avant de crier, se croyant encore au fond des égouts, alors que les sonneries d’alarme lui déchiraient les tympans.

— Vite, Bob ! Vite… Barrons-nous !

Puis il s’éveilla en sursaut, le corps humide, la peau aux entrailles.

Margaret, qui se faisait cuire des œufs, vint vers le lit.

— Qu’est-ce que tu as ? Tu viens de crier comme si tu avais peur. Tu as parlé à un nommé Bob. Qu’est-ce qu’il t’arrive ?

— Rien, rien, fit Steve en se passant la main sur les yeux. Rien… Un mauvais rêve, c’est tout.

— Tu veux un peu de café ?

Il contempla sa jeune femme, pathétique dans son déshabillé aux teintes passées. La vie l’avait déjà vaincue. Elle semblait déjà détachée de tout. Mais à qui la faute ? Il détourna son regard.

— Oui, dit-il. S’il te plaît.

— Et tu ne mangeras pas ?

— Non, il faut que je sorte. J’ai un rendez-vous. De toute façon, j’ai pas faim.

Elle eut un mouvement désabusé des épaules.

— Comment aurais-tu faim avec la vie que tu mènes.

Et elle retourna à la cuisine où les œufs commençaient à brûler. Il la suivit d’un regard, où il y avait beaucoup de tendresse, beaucoup de choses qu’il ne lui disait jamais, qu’il n’oserait jamais lui dire. Un raté ne parle pas de sentiments, il ne parle que de réussite. Il se laissa glisser du lit, la bouche amère, le cœur lourd de l’échec de la nuit. Il se sentait dégoûté de tout. Lui aussi en avait marre de la vie, de cette garce de vie qui venait encore de le doubler. Pourtant il croyait bien la tenir, la fortune, cette fois. Mais non ! Il avait fallu que les sirènes se mettent à gueuler… Saloperie de saloperie de vie.

Margaret lui apporta son café. Il le but à la hâte et se rasa. Puis il s’habilla pendant que sa femme mangeait sans conviction, debout dans sa cuisine minuscule.

Quand il fut prêt, il vint vers elle, l’embrassa, murmura d’une voix neutre où pourtant il aurait voulu mettre plein de tendresse :

— Au revoir, chérie.

Elle lui déroba ses yeux.

— Au revoir.

Il ouvrit la bouche mais la referma. À quoi bon parler ? Et que dire ? Pourtant il aurait tant voulu… tant voulu lui montrer qu’il n’était pas un raté.

Il gagna la sortie. Avant de la franchir, il stoppa près de la table où une feuille vierge était coincée dans la machine à écrire. Il la fixa longuement, avança la main, hésita puis tapa d’un doigt nerveux. « Je te couvrirai d’or, ma chérie. J’en fais le serment. »

Et sans oser regarder vers la silhouette figée dans la petite cuisine, il décrocha son chapeau tyrolien et sortit sur le palier où toutes les puanteurs se mélangeaient.

* * *

Louis Coppolano sortit de son hôtel et prit en direction de Spring Street pour se rendre chez César. Il était pensif, et à ses lèvres un cigare rougeoyait. Soudain il s’entendit interpeller d’une voiture.

— Hé, pépère !

Il tourna la tête vers la voix, reconnut la Chevrolet rangée le long du trottoir.

— Ah ! c’est vous ? fit-il, heureux de revoir l’Oranais.

Celui-ci se pencha pour ouvrir la portière côté rue.

— Montez.

Le vieux contourna le capot, pendant que, dans le rétro, Jean Baez épiait une fois de plus les passants. Mais il n’y avait rien de louche. Le vieux ne semblait pas être sous surveillance, et à bien réfléchir, pourquoi l’aurait-il été ?

— J’ai appris par les journaux du soir que vous aviez été relâché, déclara l’Oranais. Ça m’a fait plaisir. Ils vous ont pas trop bousculé ?

Le père de Mike secoua la tête.

— Ils ont admis ce qui dans le fond est vrai, que n’importe qui pouvait se trouver là. Et puis quand ils ont su que…

— … que votre fils était flic ?

Les deux hommes se prirent aux yeux. Ce fut le vieux qui baissa les siens. Il les maintint sur le tableau de bord.

— Je pouvais pas vous raconter ça ! Si vous aviez su que mon gars était flic, vous m’auriez jamais mis dans votre coup. Pas vrai ?

L’Oranais eut un geste approbateur. Le vieux enchaîna :

— Alors, j’ai préféré la boucler. Mais rassurez-vous et rassurez vos copains. Je parlerai jamais de notre histoire.

L’Oranais s’alluma une Marlboro.

— De ce côté-là, y a pas de problème pour moi, pépère. Mais les autres ? Eux aussi vont avoir lu les journaux de ce soir ! Et mieux que moi, car eux savent lire l’anglais.

— Dites-leur que je parlerai jamais, répéta le vieux.

Un filet de fumée s’échappa des lèvres de l’Oranais.

— C’est bien ce que je vais faire tout à l’heure pépère. Et puis dans le fond vous êtes mouillé avec nous. Ça les rassurera.

Le vieux ôta son cigare de sa bouche et se racla la gorge.

— J’ai vu pour Bob… également sur les journaux de ce soir. C’est dur pour ce petit.

Jean Baez lorgna le profil du vieux puis regarda devant lui…

— J’étais contre. Mais dans le fond, on a fait qu’appliquer ce qu’on avait décidé avant : lessiver celui d’entre nous qui risquerait de faire emballer les autres. Et Bob nous aurait tous fait emballer. Il n’aurait pas pu nier, lui. Il avait signé son passage en oubliant ses frusques sur le tas. Et il n’aurait pas su résister aux flics.

Il fixa sa Marlboro.

— Et vous, moi et les autres… on se serait retrouvés au placard… Pour le compte. Alors…

Le souvenir de Bob tomba entre eux. Ils fumèrent en silence. Enfin l’Oranais le rompit.

— Et pour ce pognon dont vous avez tant besoin ? Comment que vous allez faire maintenant ?

Le vieux émergea de ses pensées.

— Je ne sais pas. Mais si je trouve pas 7000 dollars pour le 5 du mois prochain au plus tard…

— Qu’est-ce qui se passera ?

Un peu de cendre tomba du cigare du vieux.

— Eh bien, probable que ceux qui m’ont assaisonné devant vous recommenceront… Et vous serez plus là cette fois.

— C’est pas que j’aime les poulets, mais… après tout, c’est votre fils ! Vous pouvez pas lui en parler ?

— Il n’est pas là. Et même s’il l’était je pourrais pas. C’est personnel.

Allongeant la main, Jean Baez en tapota le bras du vieux.

— Je voudrais bien vous aider pépère. Mais comment ? Comment faire pour dégoter vos 7000 thunes ? C’est de l’oseille, ça.

— Pourquoi que vous voulez me rendre ce service ? s’étonna le vieux. On se connaît à peine. Et vous avez déjà tellement fait pour moi. Je comprends pas.

L’Oranais fit la moue.

— Moi non plus. Et si vous me demandez pourquoi je suis capable de buter un mec, ou pourquoi je le prends à la bonne, j’en sais rien. Et je m’en fous de le savoir. Je me pose pas de questions.

Il abaissa la glace, balança la Marlboro sur le bitume, ajouta en rigolant :

— Peut-être que je suis complètement givré. Ça doit-être l’Indochine, les fièvres et tout le bordel.

Son rire monta.

— Avouez que c’est dommage qu’on ait loupé l’affaire. On formait une si belle équipe. Un cinglé des commandos, un camé, un petit tueur impuissant, un pauvre connard de mécano et un…