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Le salesmen était arrêté sur la gauche devant une grille aux épais barreaux, et lançait, joyeux :

— Hello ! Bill !

Le garde assis à l’intérieur de la grille leva les yeux du journal qu’il lisait. Il reconnut l’arrivant, appuya sur un bouton ; sur-le-champ un passage s’ouvrit dans la grille. Le salesmen se retourna sur M’man lui fit signe de patienter. Elle inclina le front. Lui souleva sa petite poussette, pénétra dans la sorte de cage de six mètres sur quatre. Aussitôt la grille se referma sur lui. Traversant la cage, il passa devant le garde qui indifférent était reparti dans sa lecture.

M’man d’un air dégagé lorgna derrière elle pour apercevoir la porte dont Steve lui avait parlé. Elle était bien là. Et en acier. Et bien fermée. Mais le jour venu ça n’aurait pas d’importance. Steve avait fait faire une clef d’après les empreintes prises par Bob, bien avant le casse. Cette porte donnait sur un escalier de fer, qui remontait jusqu’à une autre porte, laquelle débouchait dans le hall où étaient les trois ascenseurs du building.

Tout aussi dégagée, M’man ramena son regard sur la cage. Le garde lisait toujours, et il souriait. Peut-être que ce qu’il lisait était marrant ! Lui avait les cheveux bruns, des épaules trapues, et malgré son sourire, il ne devait pas être du genre fleur bleue. Ça se voyait à sa lourde mâchoire, à son front qui ne contenait sûrement pas les équations permettant d’atteindre la planète Mars.

Derrière lui, la porte cylindrique du SAFE qui restait ouverte dans la journée luisait doucement de toutes ses 24 tonnes d’acier. Et à gauche et à droite de cette colossale porte d’acier, ce n’était que de l’acier. Et au-delà, à travers l’ouverture ronde, se dressait une deuxième grille d’acier dont la porte demeurait également ouverte dans la journée. Et après cette deuxième grille, M’man distingua encore de l’acier : les murs, le plafond, le plancher, les côtés, les petits coffrets individuels, tout n’était qu’acier, tout luisait d’une féroce douceur sous la crudité des lampes logées sous des grillages d’acier.

M’man se mordilla les lèvres. Cette énorme masse d’acier, cette débauche de métal faisait peur. Pas étonnant que jamais personne n’ait osé s’y attaquer. Pourtant il y a de drôles de truands à New York ! Mais l’os que M’man étudiait était de taille. Un os à rester à la gorge du plus marlou des marlous. Pourtant Steve croyait qu’il pouvait l’avaler. Et M’man elle-même commençait à y croire. Le plus dur serait de pénétrer derrière cette garce de première grille et d’assurer la fuite. Mais s’ils trouvaient le joint, alors… toutes ces pierres, ces diams, ces perlouzes qui, le soir venu, dormaient dans ces jolis coffrets d’acier, seraient à eux. Le tout était d’aller les chercher.

Et M’man sentait que les gars étaient assez cinglés pour y aller. Et elle les y aiderait. Elle les y aidait déjà en étant là.

Elle décocha son plus beau sourire au salesman qui réemjambait l’ouverture du SAFE, et récupérait sa poussette à la malle débarrassée de ses bijoux. Lui aussi les aidait. Mais il n’en savait rien.

Le garde lui rendit le passage et il revint vers M’man en postillonnant.

— Quel travail pour mettre ses bijoux à l’abri ! Ça pourrait être plus simple…

— Mais moins sûr, sourit M’man qui enregistrait l’endroit où le garde venait d’appuyer pour libérer la grille.

Et emboîtant le pas à son compagnon, elle remonta pesamment les marches en haut desquelles veillait le deuxième garde.

XV

Toutes les lampes brillaient dans la pièce où régnait une fumée épaisse. M’man tirait sur un cigarillo, Louis sur un havane, et Steve sur une Camel. Seul Sam ne fumait pas. Il se tenait très droit, entre M’man et Steve, ses petites mains grasses croisées devant lui.

Tous quatre avaient les yeux fixés sur un grand plan maintenu sur la table par des punaises, C’était la reproduction du SAFE et de ses abords, dans le sous-sol du 38 ; une reproduction faite par M’man que Steve félicitait.

— C’est au poil, M’man. C’est bien comme ça que je me le rappelle et tel que Bob l’avait dessiné la première fois. C’est vraiment ça.

Il piqua son index sur des hachures représentant la première grille.

— C’est pour franchir cette saloperie que ça va pas être du nougat. Car le garde, qui nous connaît pas, n’ouvrira pas. Et je vois pas comment faire. Va falloir trouver.

— Je me suis cassé la tête là-dessus, déclara le vieux. Je crois avoir une idée, mais je ne sais pas si…

La sonnerie de la porte du bas lui coupa la parole. Sam alla actionner le bouton de la porte puis celui du parlophone, revint en annonçant :

— C’est Jean.

Il alla aussitôt ouvrir la porte donnant sur le palier et peu après l’Oranais s’y encadra.

— Salut tout le monde ! lança-t-il. Excusez mon retard.

Il souriait, tenait une bouteille sous chaque bras et avait des traces de rouge à lèvres sur les joues. Un costume et un pardessus bleu le vêtaient. Il expliqua :

— J’étais chez Maya, le restaurant français de Hartsdace. J’en ai profité pour vous ramener deux roteuses.

Il posa les bouteilles sur la table, à côté du plan et précisa.

— Pommery Greno, 1955. Une des merveilles du monde. Le temple d’Angkor c’est de la merde à côté.

La main de M’man désigna ses joues.

— Et ça ? C’est de quelle année ?

L’Oranais lui décocha un clin d’œil en ôtant son pardessus.

— Du vingt ans à peine. Du pétillant.

Puis allongeant la main vers le vieux :

— Comment ça gaze, pépère ?

Le vieux lui rendit son étreinte.

— Bien fiston, bien. T’inquiète pas.

Depuis quelque temps, il s’était mis à tutoyer le gars qui lui avait montré tant de sympathie. Et depuis les insultes de Johnny Vaccario, il avait plongé à fond avec l’équipe. Il fallait en finir de sa dette.

Steve indiqua une chaise libre à l’Oranais et se tourna vers le vieux.

— Vous disiez que vous aviez une idée pour endormir les soupçons du garde ?

— Oui, fit le vieux. Mais je ne sais si…

— Allez-y toujours, l’encouragea M’man.

— Peut-être que c’est ce qu’on cherche, renchérit Steve.

— Eh bien, se décida le vieux, ce garde est habitué à voir beaucoup de rabbins… ou enfin beaucoup de brokers descendre au coffre. Alors j’ai pensé…

Il s’arrêta comme n’osant poursuivre. Ce fut l’Oranais qui l’y poussa.

— Allez-y pépère, quoi ?

— Eh bien, reprit le vieux, si deux d’entre vous se déguisaient en rabbin…

L'Oranais éclata de rire. Mais Steve, qui avait froncé les sourcils, le calma d’un geste sec.

— Te marre pas. C’est pas con du tout cette idée. Je vois déjà ce que ça peut donner.

Il revint au vieux, lui sourit.

— Félicitations. C’est bon votre truc. Personne ne fera attention à nous si on est fringués comme la centaine de types qui défilent là-bas à longueur de journée. Ça devrait nous permettre de descendre au SAFE sans que quelqu’un se mette à gueuler au voleur.

Son regard se posa sur la grosse femme.

— M’man ?

Elle inclina son front que barrait une frange de cheveux blonds.

— Du tonnerre. Pas vrai, Sam ?