Выбрать главу

— De ton avis, M’man, répliqua le petit tueur. Steve se tourna vers l’Oranais.

— Et toi ?

Jean Baez salua le vieux de la main.

— Pépère est champion. Jamais j’aurais songé à ça ! Et comme je descends en bas son idée est encore meilleure, car je parle yiddish, l’oubliez pas. Possible que ça nous serve.

Steve se frotta le nez. Son œil étincela.

— Je crois que vous avez bien mérité de la patrie, pépère.

— Maintenant y a plus que pour votre fuite que je m’inquiète, remarqua M’man. Là aussi faudrait trouver du costaud. Quelque chose qui risque pas de craquer. Car n’oubliez pas qu’il est interdit de stationner dans la rue, sauf si vous appartenez à un service quelconque. Et encore les flics vous laissent pas longtemps. Or ce qui compte, c’est que vous puissiez sauter vite fait dans une bagnole en décarrant du 38.

— Le chauffeur pourrait peut-être lui aussi se déguiser, suggéra l’Oranais en souriant, qui ajouta aussitôt tourné vers Sam : — Colle donc les rouilles dans la glace. Elles s’ennuient au chaud.

— Se déguiser ! Oui mais comment ? interrogea pensivement Steve, pendant que Sam s’éloignait avec les bouteilles.

D’un coup de pouce, l’Oranais fit sauter une Marlboro que sa bouche récupéra au vol et dit :

— Pourquoi pas en perdreaux ? En France je me souviens qu’une équipe a opéré en faux gendarmes et ça a marché au poil. Les gars courent toujours. Pourquoi qu’on maquillerait pas une Plymouth en voiture de police et qu’on y collerait pas Sam derrière le volant ? Si on veut enlever le morceau, faut faire vite et avoir beaucoup d’estom. C’est en prenant les gens à la surprise que les braquages réussissent.

Steve avait tressailli.

— Ton idée non plus n’est pas con. Il y a à creuser là-dessous. Et d’accord avec toi, y a que l’esbroufe qui paye. Mais pour Sam, pas question, il est trop petit. Chez nous, les flics sont grands. Et pour monter l’opération, comme tu la vois, on est pas assez nombreux. Faudrait deux ou trois gars de plus.

Il regarda le petit Sam qui ramenait une des bouteilles logées dans un seau à glace, poursuivit ;

— Et je suis pas très chaud pour mettre d’autres types dans le coup.

— Personne l’est, remarqua l’Oranais. Mais faut pourtant être sûr qu’on pourra se barrer après le braquage. Sinon, vaut mieux laisser tomber. On se fera emballer ou buter en sortant. C’est pas votre avis, M’man ?

La grosse femme qui s’octroyait un chocolat approuva.

— Si. Et tant pis si on doit être plusieurs à partager. Vaut mieux moins toucher que de jongler complètement. Et les hommes qu’il nous faut, peut-être que je peux te les trouver, ajouta-t-elle vers Steve.

Celui-ci grimaça.

— Des gars du coin ?

— Non, du Canada. Des Canadiens français qui ont vécu pas mal ici.

— Ils sont gonflés ?

M’man haussa ses larges épaules.

— Ce sont les frères Laventure de Montréal. Des durs. Je suis sûre qu’ils accepteront de marcher au forfait… disons de 500 000 thunes.

Steve grimaça encore.

— Ce sont de vrais truands ?

— Tu crois qu’on trouvera des enfants de Marie pour ce genre de job ? repartit M’man.

Steve se mordilla les ongles, puis lâcha :

— Si on peut pas faire autrement, c’est à voir.

Mais j’aimerais autant trouver autre chose.

— Ça sera peut-être pas facile, dit M’man.

— Et pour la date, jeta le vieux qui songeait à son délai du 30 décembre. Toujours pour la veille de Noël ?

— Ça oui ! s’écria Steve. Pour nous, c’est le meilleur jour. Jamais on en trouvera un pareil dans l’année !…

Oubliant qu’il avait des Camel, il claqua des doigts pour que l’Oranais lui lance une Marlboro, reprit après l’avoir allumée :

— Vous savez que le SAFE ferme électriquement tous les soirs à 6 heures. Sauf les jeudis et veilles de fête où il ferme à 7.

Il se saoula profondément d’une goulée de tabac, avant d’enchaîner, convaincu :

— Pour nous 7 plombes c’est l’heure rêvée. Il fera complètement nuit, beaucoup de gens seront partis et tous ceux du 38 ou presque auront déposé leurs diams dans leurs coffrets. En plus, comme c’est la veille de Noël, les flics et les gardes qui auront pas mal picolé seront plus coulants. En un mot tous seront beaucoup moins méfiants que les autres jours. Donc, pas de question. On opère ce soir-là, à 6 h 50. Pile.

Il retira sur la Marlboro avant de reprendre :

— Surtout qu’il neigera et que les gens n’ont pas la même réaction lorsqu’il neige ou qu’il pleut. Ils cherchent à rentrer plus vite pour se mettre au chaud.

— Et s’il neige pas ? sourît l’Oranais.

Tous le regardèrent, même le vieux, comme s’il avait dit une énormité.

— Il neige toujours à New York pour Christmas, laissa tomber M’man d’un ton orgueilleux, inhabituel chez elle.

— Toujours, fit le petit Sam dont les yeux brillaient comme si déjà il voyait clowns et acrobates évoluer sur une piste de lumière.

— Toujours, renchérit Louis Coppolano, faisant un imperceptible signe de croix près de sa cravate. Il neige toujours pour la Noël, à croire que c’est un miracle.

L’Oranais s’accota soudainement à son dossier, leva les bras comme s’il se rendait à l’ennemi, lança en rigolant :

— Bon, bon. Je veux pas vous contrarier. Sam, verse donc à boire, qu’on trinque à ce joyeux Noël sous la neige.

De ses petites mains grasses, Sam empoigna le goulot, fit sauter le bouchon. Du champagne rejaillit en tous sens, une longue traînée se répandit sur le plan du SAFE.

Par superstition récoltée dans les boîtes de nuit de Paris, l’Oranais y trempa les doigts, s’en frotta le cou.

— Que ce Pommery nous porte bonheur ! jeta-t-il.

Tous acquiescèrent de la tête. Tous étaient graves, sauf l’Oranais dont les dents étincelaient dans son perpétuel sourire.

XVI

Steve, M’man et les autres avaient eu raison. New York allait entrer dans sa nuit de Noël, et il neigeait. Et pas qu’un peu. Une fois de plus » le miracle avait eu lieu. Et les vitrines illuminées, les néons de toutes couleurs, les passants chargés de paquets, les gosses rois du jour, tout criait la joie dans ce pays, où nulle part ailleurs on ne fête Noël avec tant de passion.

La misère des bas quartiers de Brooklyn disparaissait sous une couche blanche qui la poétisait, et en avait chassé les laideurs. De ce Brooklyn d’où ont jailli tant de vedettes du ring, de la scène, de l’écran, et aussi du crime.

Dans des coins comme Sacket Street et Heck Street, où, l’été, le linge rapiécé sèche aux fenêtres, comme dans les ports méditerranéens, les sempiternelles maisons de brique rouge prenaient un air coquet sous la neige. Et les fils des anciens trolleybus qui surplombent les rues ne faisaient plus songer à d’horribles toiles d’araignée, mais, par leurs longues tiges immaculées, à des kilomètres de sucre d’orge pour enfants sages.

À l’angle de Court Street, et de Bryant Street, la laideur, elle, demeurait. La faute en était aux tas de ferraille, aux vieux pneus, aux pièces rouillées qui s’empilaient dans le passage au sol défoncé. Au fond du passage, au-delà des grilles de protection, l’eau des docks miroitait sous les flocons, et, dans l’obscurité, des navires dressaient leurs silhouettes imposantes. Parfois des sirènes de remorqueurs trouaient l’air de rugissements puissants, qui martelaient le tympan.

Les frères Laventure, qui s’étaient fait déposer par un taxi beaucoup plus loin, s’engouffrèrent dans le passage non éclairé. À droite, 20 mètres avant la guérite du gardien de ce coin des docks, ils pénétrèrent dans une vieille remise soigneusement close. Ils refermèrent, donnèrent la lumière. L’ampoule poussiéreuse qui tombait d’un fil éclaira mal la voiture garée là : une Plymouth verte à toit blanc avec peint sur ses flancs : « CITY OF NEW YORK-POLICE. № 20 ». Telle qu’elle était maquillée, cette bagnole pouvait supporter la comparaison avec une vraie. Rien n’y manquait, surtout pas la courte antenne à l’arrière, et le clignotant rouge du toit.