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Du temps s’écoula, et la boîte se vidait progressivement. Ce fut un rire de Sam qui fit émerger M’man de sa gourmandise. Elle rouvrit les yeux, les posa sur son garçon qui ne s’occupait que du petit écran. Celui-ci reproduisait en direct le programme d’un cirque de province. Sur la piste des écuyères virevoltaient, sautaient à travers des cercles de papier, et se recevaient en équilibre sur les reins de chevaux enrubannés. Un clown, déguisé en clochard, faussement lourdaud, tentait de les imiter, applaudi, encouragé par l’assistance où dominaient les enfants.

M’man consulta sa montre, lança de son fauteuil :

— C’est l’heure, Sam. Faut nous préparer.

Mais le petit tueur n’entendit pas. Il était si loin. Il riait, applaudissait lui aussi aux exploits du clown.

M’man se leva dans un gros soupir, alla taper sur l’épaule de son garçon.

— Sam, c’est l’heure.

Il eut du mal à s’arracher à son bonheur.

— Oui M’man ? fit-il, tournant la tête, offrant son regard qu’animait une joie pure.

— C’est l’heure, Sam, répéta la grosse femme. Faut se préparer.

— Ah ! oui, M’man, fit-il dans un soupir qui n’en finissait pas.

Et il abandonna son siège, laissant sa mère arrêter la télé.

* * *

Louis Coppolano se releva et prit du champ pour inspecter le sapin qu’il venait de décorer. Puis, croyant qu’un fil électrique dépassait, il revint déplacer un minuscule bonhomme Noël, dans lequel était logée une petite ampoule rouge.

Connie, qui sortait de sa cuisine, sourit de le voir si méticuleux.

— Ça vous plaît de faire ça, hein papa ?

Il lui rendit son sourire.

— Oui. Depuis toujours j’ai aimé m’occuper des arbres de Noël. Ça date de loin. Même bien avant que…

Il s’interrompit brusquement, essaya de chasser le souvenir de son fils mort, bifurqua :

— Quand Mike était petit il voulait m’aider, mais je le laissais pas faire. Il était tellement remuant qu’il fichait tout par terre.

Il se réagenouilla pour redresser une étoile argentée piquée dans une branche basse, ajouta :

— C’est qu’il faut du doigté !… C’est fragile ces babioles.

Il consolida encore une crèche calée entre deux branches, fit retomber un peu de fausse neige dessus, et se remit debout en s’époussetant les genoux.

— Si on éteignait pour voir ce que ça donne ? proposa-t-il.

Connie abaissa l’interrupteur. Aussitôt l’arbre se dressa dans le noir paré de toutes ses boules lumineuses, illuminé par tous ces petits bonshommes Noël en couleur, scintillant de tous ses fils d’argent, éblouissant de féerie.

L’émotion bloqua la gorge du vieux. Comme tous les arbres de Noël, ce sapin dégageait une telle impression de paix, de vie tranquille, et de bonheur familial ! Durant quelques heures, ces petits arbres allaient, dans le monde entier, faire oublier à tous la saloperie des hommes, effacer pour quelques instants la lutte de la course à l’atome, de la course à la mort.

— Dommage que Mike soit pas là pour le voir, regretta le vieux. Lui aussi aime bien les arbres de Noël. Et ce qui m’étonne bien, c’est qu’il t’a pas envoyé de télégramme… Et surtout qu’il ait oublié d’envoyer des jouets pour la gosse.

— Je ne m’inquiète pas, dit Connie, rendant la lumière. Cela va sûrement arriver dans la soirée.

Le vieux abaissa ses manches de chemise.

— Ça sera la première fois que je passe un Noël sans Mike. Ça va me faire tout drôle. Heureusement que je vous ai, toi et Louise.

Il retourna au sapin pour mieux dissimuler un des nombreux paquets qu’il avait apportés, s’informa :

— Au fait, à quelle heure ta mère va-t-elle ramener la gosse ?

— Vers les 10 heures. On les fera passer par derrière, et elle ne verra pas l’arbre.

Le vieux rit doucement.

— Méfie-toi quand même. Elle est si futée qu’elle se doute bien pourquoi tu l’as expédiée chez sa grand-mère.

— Ne vous inquiétez pas, elle dormira à moitié, et ne pensera qu’à son lit, rassura Connie. Heureusement d’ailleurs. Sinon elle m’aurait fait une comédie pour essayer de voir l’arbre.

Le vieux alla récupérer sa veste, jetée sur un fauteuil.

— Je m’en vais, mais demain je viendrai déjeuner avec vous. Sûrement qu’on aura des nouvelles de Mike.

Connie lui tendit son foulard.

— Vous ne voulez vraiment pas rester ce soir avec nous ? Mes parents seraient si contents de vous voir !

Il hocha la tête, tout en se passant le foulard au cou.

— Moi aussi, fillette. Malheureusement c’est impossible. Mon copain de bureau m’a invité en ville. Mais demain, compte sur moi sans faute. Allez, donne-moi mon pardessus que je me sauve.

Connie alla lui chercher le vêtement, l’aida à l’enfiler, et lui tendit un chapeau sombre qu’il posa sur ses cheveux argentés.

— Alors je n’insiste pas, papa, dit-elle, bonsoir. Et bon Noël.

— Bon Noël pour toi aussi, répliqua le vieux, gravement, en l’embrassant.

Et sans qu’elle le remarque, il fit du pouce, un imperceptible signe de croix sur sa cravate, et ajouta pendant qu’elle lui ouvrait :

— Mais je te le souhaiterai mieux demain. Bonsoir fillette.

Elle resta sur le palier, écouta décroître son pas de brave homme, et referma doucement, l’œil accroché par l’arbre qui, là-bas, dans la pièce, semblait attendre le retour de tous.

Le vieux n’avait pas disparu depuis dix minutes qu’on sonna en bas. Connie appuya sur le bouton commandant la porte de la rue, attendit un peu, appuya sur celui qui déclenchait l’audition.

— Qui est là ? demanda-t-elle, la bouche collée près du parlophone.

— Un livreur, madame, répondit une voix d’homme.

— C’est bon, montez, autorisa Connie.

Elle lâcha le bouton, entrebâilla la porte d’entrée, regagna la cuisine. Mike n’avait rien oublié ! car ce ne pouvait être que lui qui envoyait ce livreur ! Il avait dû passer des ordres à un magasin, et choisir des cadeaux pour les siens. Connie savait que Mike n’aurait pas oublié le jour de Noël. Son Mike.

— Entrez ! cria-t-elle, entendant peu après qu’on grattait à la porte entrouverte.

— Bonsoir, madame, fit la voix. J’apporte des paquets de la part de…

Le son de la voix fit sortir vivement Connie de sa cuisine. Elle leva les yeux, bafouilla les jambes molles :

— Mike… Hello ! Mike !

— Hello Connie ! renvoya le grand gars dont les yeux bleus riaient.

Il se tenait sur le seuil, une serviette de cuir à la main, et chargé de paquets dans les bras. Un peu de neige recouvrait les épaules de son trench-coat, ainsi qu’un feutre de forme étrangère, qu’elle ne lui connaissait pas.

Elle restait là, saisie, à le contempler bêtement. Il dit doucement.

— Je peux entrer, madame Coppolano ?

Elle se secoua, se rua vers lui :

— Oh ! Mike !…

Et dans un cri d’amour, se jetant à son cou, en dépit des paquets :

— Espèce de vieux machin ! Espèce de sale vieux machin !

Et pleurant de bonheur, elle lui écrasa les lèvres sous les siennes ; deux des paquets tombèrent et le feutre inconnu bascula en arrière.

— Eh bien, eh bien, madame Coppolano, gourmanda Mike, se détachant lentement. En voilà des façons. Comme ça… sur le palier… au risque d’être vu.

Elle le mangea de ses yeux humides.

— Oh Mike. Quelle surprise ! Si je m’attendais…

Elle l’aida à ramasser les objets tombés, referma la porte, pendant qu’il disait, d’un ton de reproche :