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— T’as cru que je pourrais passer un Noël loin de vous ? T’as pu croire ça ?

Elle le débarrassa de son trench-coat, agita ses boucles brunes.

— Non, mais j’étais persuadée que tu resterais encore en Europe pour ton travail. À quelle heure es-tu arrivé ?

— À 8 heures ce matin.

— Hein ? Qu’est-ce que tu racontes ? Et tu t’amènes seulement ? Et tu n’as même pas téléphoné en arrivant ?

Elle le fixait, narines palpitantes, l’air fâché.

Il lui prit la taille, l’entraîna vers le sapin aux lumières accueillantes.

— Te fâche pas, ma douce. Mais on n’a pas eu une minute depuis mon débarquement. Notre équipe vient de réussir la plus grosse affaire jamais réalisée dans le pays. Vingt-trois kilos d’héroïne pure saisis… près de quatre millions de dollars… une affaire colossale… un trafic immense.

Il se laissa choir dans un fauteuil, attira sa jeune femme sur ses genoux, lui caressa la nuque sous ses boucles brunes.

— Tous les journaux vont en parler… un scandale inouï… la chnouf pénétrait chez nous sous le couvert de la valise diplomatique d’un ambassadeur sud-américain.

Elle l’écoutait parler, remarquait ses yeux cernés par la fatigue, son air las. Il n’avait pas dû dormir beaucoup depuis son départ. Elle se serra fort contre lui, tandis qu’il poursuivait :

— Le début de cette fameuse enquête a été comme bien souvent une chose très simple. Un soir que Tom et moi étions de surveillance à l’aéroport, comme ça nous arrive souvent, on a vu débarquer de France un Marseillais fiché à nos services et soupçonné d’être un fournisseur de drogue. On l’a filé pendant deux jours et on l’a vu prendre des contacts dans le Bronx avec un type qu’on savait être un des gros pontes de la came. On a laissé courir et quand le surlendemain ce Marseillais a retenu une place d’avion…

— Cette histoire n’a aucun rapport avec celle de ton hôtesse de l’air ? le coupa Connie. Pourtant, lorsque tu es parti j’ai pensé que si.

Mike secoua la tête.

— Non, aucun. L’hôtesse n’a pas parlé. Et on ne croit plus qu’elle parlera. L’histoire du diplomate est totalement indépendante. Et si nous l’avons découverte c’est un peu grâce au hasard et à notre organisation en Europe. Quand le patron a appris que ce Marseillais reprenait l’avion, il m’a fait retenir une place pour voyager avec lui et voilà la conclusion. Le reste ? De la routine. Des filatures avec ceux du Narcotic détachés à Paris… des contacts avec la brigade mondaine de là-bas… des rendez-vous avec Interpol… des voyages… pas mal de nuits blanches… Et puis voilà…

La main de Mike massa avec amour la nuque de Connie.

— … Je suis revenu dans le même avion que ce diplomate et nous l’avons sauté, lui et son Marseillais, cet après-midi ainsi que trois autres trafiquants dont le gros ponte du Bronx.

Il étendit ses longues jambes, soupira.

— À présent nous cherchons à connaître qui est à la tête de ce réseau.

Une moue sceptique lui retroussa les lèvres.

— Et comme toujours c’est pas facile. Pour pas dire impossible. Car ça peut-être n’importe qui. Un Italien, un Français, un Américain. Qui sait ? Un homme politique haut placé ? Un milliardaire connu ? Qui sait ? Nos collègues français pensent que ça pourrait être l’un des leurs, un très célèbre organisateur de spectacles. Mais on en doute…

Connie lui mordilla l’oreille.

— Ne parle plus de ça, dis ! Détends-toi un peu. Tu veux que je te prépare un bain ?

— Ma foi… dit-il, en faisant sauter ses chaussures loin de lui. Et bien chaud, hein ma douce ! J’ai tellement de crasse à enlever. Toute cette saleté de drogue dans laquelle je suis plongé… toute cette saloperie de dop qui démolit les plus forts, qui souille tout ce qu’elle touche.

Connie l’embrassa encore avant de quitter ses genoux d’un bond souple.

— Ne parle plus de ça, Mike ! N’oublie pas que c’est Noël ce soir.

Il la suivit d’un œil gourmand alors qu’elle s’éloignait, lui lança :

— Et où est ma fille ? Chez sa grand-mère ?

Connie se retourna, excitante dans le mouvement de sa robe noire.

— Oui, elle l’a emmenée pour que je puisse préparer l’arbre sans être dérangée. Elle nous la ramènera vers 10 heures.

— Ah ! bon. Et p’pa ? Comment que ça se fait qu’il n’est pas encore là, lui ? C’est la première fois qu’il s’occupe pas de l’arbre de Noël !

De l’index, Connie indiqua le sapin.

— C’est lui qui l’a préparé. Il était là, il y a juste un quart d’heure.

— Ah oui ? Et il revient quand ?

— Pas avant demain.

— Oh ! lâcha Mike déçu. Ainsi je le verrai pas ce soir ? T’es sûre qu’il reviendra pas ?

Elle haussa les épaules tandis qu’il sautait du fauteuil et s’amenait sur elle, l’œil luisant de désir.

— C’est ce qu’il m’a dit. Il a un dîner avec des copains du bureau.

— Tant pis, regretta Mike. Il va me manquer ce soir. Mais au moins, toi, tu m’échapperas pas.

Il l’attira à lui. Elle chercha à se débattre, mais trichait, puisqu’elle murmurait, déjà consentante :

— Et ton bain, Mike ?

Leurs yeux s’empoignèrent, leurs corps se soudèrent, Connie, balbutia trichant encore :

— Ton bain, Mike…

Sans répondre, le grand gars la souleva du sol, et bouche plaquée à la sienne, il l’entraîna vers la chambre.

XVII

La neige tombait en gros flocons qui s’aplatissaient au sol, sur les dais qui enjambaient les trottoirs, ou sur les ailes des voitures. Celles-ci étaient relativement peu nombreuses dans la 47e Rue Ouest. Il était 18 h 45, et c’était justement le quart d’heure qui manquait aux autos pour avoir le droit au stationnement.

La rue n’était pas loin de retrouver son visage de nuit. Plongées dans le noir, beaucoup de vitrines exhibaient des écrins vides et au-delà leurs salles désertes où jouaient des ombres. Des voitures et des taxis chargeaient dealers, salesmens, et brokers au passage, et les emmenaient après une journée qui avait rapporté gros. Des camions et des camionnettes, parfois en double file, déchargeaient à la hâte les dernières livraisons du jour. Les deux flics du coin talonnaient les chauffeurs pour qu’ils dégagent la chaussée qu’ils obstruaient à moitié. Mais tout ça se passait en pépère, sans engueulade, car c’était l’approche de Noël.

Sur le trottoir, pas mal de foule circulait encore. Il y avait de tout : des citoyens qui avaient hésité, et hésitaient toujours à acheter le cadeau de leur belle ; des lascars qui n’avaient même pas de quoi s’offrir un caramel, et qui restaient en extase devant les dernières vitrines, encore illuminées ; quelques salesmens encore attardés avec leurs curieuses poussettes ; des brokers avec leurs drôles de fringues de rabbins ; et des dealers qui couraient d’un building à l’autre, se hâtant avant les fermetures. Au milieu de ce va-et-vient, un flot de voitures s’écoulait en direction de la 6e Avenue. Parmi elles, se repérait le clignotant rouge d’une Plymouth de flics, et ce rougeoiement intermittent faisait poétique, sous les tourbillons de neige.

En passant, les poulets de cette bagnole scrutaient les trottoirs et les vitrines. Mais plus par réflexe professionnel que par conviction, eux aussi commençaient à ressentir l’euphorie de l’approche de la fête. L’un d’eux posa son regard sur un petit salesman qui se tenait à l’abri d’une voûte, sur le trottoir, en face du 38, puis le détourna. S’il avait su…