Выбрать главу

Le petit Sam avait senti le regard du flic, mais n’avait pas bronché. Comme toujours au moment de l’action il était sans nerfs. Il avait un bonnet de loutre sur la tête, un chaud manteau à col d’astrakan sur le dos, et près de lui, une petite poussette, sur laquelle était fixée une mallette noire. Au fond de ses poches, ses mains caressaient la crosse des P38. Son œil mort ne quittait pas deux brokers qui, venant du métro, remontaient la rue. Ceux-ci stoppèrent devant la vitrine illuminée du 38. C’étaient Jean Baez, et Steve Ryan. Seul Sam pouvait les reconnaître. Et encore, parce qu’il savait qu’ils devaient venir. Tous deux étaient coiffés par de larges chapeaux ronds de velours noir, et l’Oranais portait un pantalon à rayures, une veste de lustrine, et une lévite au col couvert de pellicules. Des lunettes à monture d’or dissimulaient l’éclat de ses yeux noirs. Comme chaque fois à l’approche du danger, un petit sourire retroussait ses lèvres d’amateur de femmes. Il était décontracté, avait ses mains gantées hors de ses poches, et il inspectait à travers les vitres l’intérieur du 38, où quelques stands étaient encore allumés.

Steve avait un pantalon noir qui tire-bouchonnait sur des chaussures boueuses, une veste de drap bleu, et une houppelande qui flottait autour de son corps tourmenté. Tous deux étaient sans cravate, et aucun foulard ne cachait leur chemise de coton au col soigneusement boutonné. Des barbes longues et fournies leur mangeaient la figure. Brune chez l’Oranais, d’un châtain clair chez Steve.

Le déguisement était plus vrai que nature. Surtout chez l’Oranais qui, à son insu, avait dû retrouver un vieil atavisme oublié.

Un autre point commun les réunissait : aucun n’avait de papiers d’identité, ni de marque susceptible de le faire reconnaître. C’était une idée de Steve qui se rappelait trop la bêtise de Bob. Tous ceux qui marchaient dans le braquage devaient laisser leurs fafs chez eux. De cette façon, si l’un se faisait buter, ce serait aux flics de jouer pour l’identification. Et le temps qu’ils y passeraient servirait aux autres.

Des gens bousculaient les deux hommes et d’autres, à l’abri de l’entrée du building dont dépendait le 38, les regardaient par instants. Tout en inspectant les lieux, l’Oranais parlait haut en yiddish. Et Steve, qui n’y comprenait goutte, lui répondait par des grognements convaincus. Soudain, celui-ci qui surveillait la rue vers la 5e Avenue, laissa choir.

— Les voilà !

Lentement, l’Oranais tourna le cou. Un deuxième clignotant rouge, dominant les toits des autres voitures, descendait la rue. Puis une plymouth verte à toit blanc émergea du lot, rasa les voitures à l’arrêt, stoppa devant le building du 38 mais en double file, car deux voitures et une camionnette occupaient déjà le bord du trottoir à cet endroit.

— Ils sont dingues, murmura l’Oranais. J’espère qu’ils vont pas rester là ! Qu’ils aillent plus loin, bon Dieu !

— Au contraire, répliqua Steve entre ses dents. C’est eux qui ont raison. Ils font exactement ce que font les vrais poulets. Ils montrent que la rue est à eux. Bravo. Ils sont gonflés les mecs. M’man nous a pas charriés sur leur compte.

Dans la Plymouth, Hector coupa le contact, éteignit les lanternes. Aussitôt l’essuie-glace cessa de balayer la neige du pare-brise. Puis lui et Honoré descendirent sous l’œil des passants.

Les deux frères étaient calmes, et bombaient le torse comme de vrais flics. Ils étaient en uniforme, et rien ne manquait à leur attirail de tombeurs de truands : plaques de cuivre, casquettes plates, épaisses godasses noires, matraques de même teinte, et les uniformes de gros drap-bleu. Fendues de chaque côté, les vestes de ceux-ci laissaient apparaître les crosses des 38 réglementaires. Hector regarda Steve, puis, suivi de son frère, il entra dans le building. Les gens qui attendaient devant les ascenceurs s’écartèrent devant les moulinets qu’Honoré s’offrait avec sa matraque. À croire qu’il avait des dispositions pour être pied-plat le voyou canadien ! Hector ouvrit la porte du fond avec une clef remise par Steve, et tous deux, hauts, solides, rassurants par leur calme, disparurent aux yeux des gens du Hall, et refermèrent soigneusement.

— Qu’est-ce qu’ils vont faire là ? jeta l’un des types du hall.

— Oh ! sûrement une vérification, renvoya un autre.

— Rien de sérieux en tout cas, constata un troisième, sinon ils seraient arrivés dans un hurlement de sirène…

Les gens approuvèrent gravement.

Au-dehors, Steve lâcha à son équipier :

— À nous de jouer, Jean.

Aussitôt, tous deux pénétrèrent dans la vaste salle des bijoutiers, plongée dans une demi-pénombre. Seules l’éclairaient les veilleuses du plafond et les lampes individuelles des stands encore occupés. Quelques clients, et des brokers attardés, discutaient devant les stands. Mais s’ils voulaient garer leur argenterie, il ne fallait pas qu’ils traînent longtemps, car à 7 heures pile, le SAFE se fermait électriquement, et le mouvement enclenchait sur le champ les signaux d’alarme de l’endroit.

L’un de ces brokers, après un regard sur sa montre, serra la main d’un dealer, et se dirigea vers l’escalier conduisant au SAFE. En haut des marches se tenait le gardien signalé par M’man, celui à cheveux blancs et à moustaches courtes. Résolument l’Oranais suivit le broker, passa devant le gardien, non sans lancer en yiddish vers Steve :

— Il faut nous hâter, Samuel !

Et il commença à descendre derrière le broker. Il ne s’occupa plus ni de Steve, ni-du garde qui, sourcils froncés, intrigué, comme s’interrogeant, le suivait des yeux.

Steve rappela le garde à la réalité.

— Monsieur, s’il vous plaît.

Le garde lui fit face, sa bouche s’arrondit, ses yeux aussi. Steve venait de plonger sa main gantée dans un vaste portefeuille contrôlé par une longue chaîne, et ce qu’il tenait n’était pas le collier de la Reine, mais un colt 45. Le garde se tâta machinalement, comme s’il croyait à une blague, comme s’il croyait que l’autre lui avait engourdi son flingue qui était pourtant un spécial 38. Mais Steve lui coupa ses espérances.

— Un cri, un geste, un souffle et… Allez, demi-tour. On descend. Vite.

— Mais… balbutia le défenseur des propriétés privées. Jamais je…

Le canon du colt dissimulé aux passants de la rue le cogna hypocritement en pleine bedaine.

— Encore un mot, et vous êtes truffé comme une dinde de Noël.

Vaincu, jambes en pâté de foie, le garde se mit à descendre. Au bout de quelques marches, Steve, sachant qu’ils étaient à présent invisibles du dehors, lui ordonna :

— Stop.

L’autre obéit. Le braquant aux reins, Steve, après un rapide tâtonnement de sa main gauche, s’empara de l’arme du privé.

— En route, reprit-il, en empochant le calibre.

Deux secondes après, ils débouchaient dans le sous-sol, vide d’occupants et aux lumières éteintes. Ils bifurquèrent à gauche, là où se découpait la lumière de la sorte de couloir précédant le SAFE. Avant d’y parvenir, Steve répéta encore :

— Stop.

Son poing armé ne quittait pas les reins du gardien et son œil allait au-delà de la porte où l’Oranais attendait derrière le broker. Tous deux étaient devant la première grille de sécurité, dont Steve apercevait les barreaux de droite. En yiddish, l’Oranais lançait au broker qui sortait un énorme portefeuille maintenu à sa ceinture par une chaînette d’acier :

— On n’a plus de temps à perdre, hein ?

Lui aussi avait extrait un grand portefeuille de la poche de sa lévite. Le broker lui sourit, jeta à travers la grille :

— Oh ! Bill…

Le gardien, confortablement assis derrière son bureau et qui avait le nez collé sur son illustré, le releva. Il aperçut le broker, repartit dans son illustré, non sans avoir appuyé nonchalamment sur un bouton. Un déclic. Et la grille s’entrouvrit. Le broker la franchit, l’Oranais sur les talons. La grille se referma dans le même claquement huilé. Déjà l’Oranais avait rentré son portefeuille, et bondissait. Dans sa main étincelait l’acier bruni d’un Smith et Wesson, à canon long. Surpris, les yeux hagards, le garde eut néanmoins le réflexe de tendre la main vers le flingue posé devant lui. L’Oranais cogna. Vite. Durement.