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* * *

L’un des deux flics chargés de la surveillance de ce coin de la 47e Rue, repassa une seconde fois devant la Plymouth à l’arrêt. C’était le long maigre, celui à la gâchette heureuse. Sa casquette était couverte de neige ainsi que le lourd manteau de drap bleu qui le protégeait du froid. Il consulta sa montre, reporta un œil étonné sur la voiture de ses collègues où s’étalait le № 20, songea à mi-voix :

— Qu’est-ce qu’ils peuvent bien foutre là ? C’est pas leur secteur !

Il rôda autour, hésita et enfin curieux de nature il pénétra dans le building du 38.

Mais personne dans le hall ni devant les ascenseurs. Il leva une tête indécise sur les portes closes menant aux appareils, repéra par les voyants lumineux que ceux-ci étaient haut dans les étages, alors, dans un haussement d’épaules, il ressortit.

Après tout ce n’était pas un appel d’urgence, sinon ses collègues seraient arrivés dans le hurlement de leur sirène. Bah ! il avait tort de se biler. Probable que les gars avaient de la famille ou des copains travaillant dans le building. Ou bien peut-être qu’ils étaient venu chercher un petit bijou commandé pour les fêtes !

Avant de réaffronter la neige, il consulta de nouveau sa montre : 7 heures moins 6 qu’elle indiquait. Allons la journée se tassait. Encore six minutes et… Vivement la relève, lui aussi voulait rentrer pour aider aux préparatifs de Noël.

Là-bas, à la maison dans la bonne chaleur, il y avait la femme et les deux gamins qui…

En souriant, il tâta dans sa poche, à travers l’épaisseur du manteau, le cadeau qu’il destinait à la bourgeoise : une bague qu’un broker lui avait obtenue à bon prix. Toutes ses économies qu’il avait fourrées là-dedans. Dans le fond, de surveiller ce secteur à longueur d’année, ça avait ses avantages ! On s’y faisait des relations.

Il remonta vers la 5e Avenue, regarda machinalement vers un petit salesman qui sur l’autre trottoir se tenait à l’abri, sa poussette près de lui, puis il houspilla un livreur qui tardait à déguerpir. Le futé ! Il savait bien que dans six minutes il aurait le droit au stationnement jusqu’au lendemain matin 8 heures. Mais le long maigre ne fut pas dupe. La loi était la loi. Il fallait que l’autre dégage. Il donna un léger coup de matraque sur l’aile.

— Allez, barre… Une demi-heure que t’es là.

En bougonnant le chauffeur remonta dans son carrosse et démarra pour faire le tour du block et revenir se garer à 7 heures pile.

Le long maigre reprit sa route, et juste à ce moment un bruit de sirène commença à déchirer l’air, mais très loin. Puis se transformant en un hurlement lugubre et impérieux, le bruit s’engouffra dans la 47e Rue, précédant de peu un clignotant rouge qui émergea dans les tourbillons de neige. Rapide, le long maigre vint à la rescousse. Il donna du sifflet pour dégager pendant que la voiture de ses collègues se faisait une trouée à coups de sirène.

Sous son abri, le petit Sam avait blêmi. Il s’interrogeait, s’étonnant de ne pas voir les copains jaillir du building. Mais qu’est-ce qu’ils foutaient donc ? Ils n’entendaient donc pas ? Il soupira et dans ses poches ses petites mains grassouillettes étreignirent solidement les P38. Il s’éloigna légèrement de sa poussette et attendit, prêt à tuer.

Devant le hurlement autoritaire de la loi, les chauffeurs s’écartaient au mieux pour livrer passage. Mais ce n’était pas toujours facile, avec tous ces carrosses qui roulaient vers la 6e Avenue.

À présent la sirène déchirait les tympans, transperçait les flocons, roulait le long des immenses buildings presque déserts. La Plymouth n’était plus qu’à dix mètres du petit Sam et son conducteur s’impatientait. Un lourd camion qui avançait mal, précédé lui-même de plusieurs voitures, le gênait.

Le petit Sam porta ses yeux morts sur le 38. Mais, bon Dieu, que faisaient donc les gars ? Ils n’entendaient donc pas ? Comme des rats qu’ils allaient se faire coincer !

Enfin le gros camion parvint à se serrer sur la droite, dans un espace dégarni, et la Plymouth le doubla dans un miaulement rageur de sirène. Livide mais décidé, le petit Sam avança jusqu’au ras du trottoir ; dans ses poches, ses poings venaient de basculer, mettant ainsi les canons des flingues à l’horizontale. Les pieds-plats parvenaient devant le 38. Ils étaient quatre. Le conducteur sembla ralentir, et l’un de ses compagnons se colla à la vitre pour mieux voir l’autre Plymouth arrêtée en double file. Puis un imperceptible soupir échappa au petit Sam, le sang rafflua à ses joues ; profitant d’un trou, la Plymouth fonçait vers la 6e Avenue, et la coupait, précédée de son hurlement, alors que les feux s’abattaient au rouge. Juste après elle, dans les poches du manteau à col d’astrakan, les poings du petit Sam se détendirent. Une lueur anima un bref instant ses yeux sans vie. Il recula, regagna son abri et sa poussette, tout en se secouant pour faire tomber la neige de son bonnet de loutre.

Au coin de la rue et de la 6e Avenue, Hubert Laventure qui attendait derrière la descente du métro depuis quelques instants se décontracta à son tour. Lui était en civil, engoncé dans une grosse canadienne à col de mouton, chaussé de mi-bottes de cuir. Il regarda sa montre, grogna.

— 7 heures moins 3. Mais qu’est-ce qu’ils fabriquent ? Qu’ils se magnent bon Dieu ! Qu’ils se magnent !

Il reprit sa faction, grommela dans un soupir :

— Ouf ! J’ai bien cru que c’était pour eux.

* * *

Hubert et Sam avaient tort de se biler. En bas dans le SAFE, la séance s’achevait. Rien n’avait freiné le rythme des équipiers. Même pas le hurlement assourdi de la sirène quand il était parvenu jusqu’à eux. Pris par l’excitation, Steve et l’Oranais s’étaient contentés d’accélérer le mouvement. Seuls, les Laventure avaient tendu l’oreille, prêts à agir, à faire face. Tout avait été prévu. Même la fuite par les petites portes d’acier menant au hall du building. Dans ce cas, les Laventure devaient protéger les autres qui fileraient les premiers avec la camelote. C’était un accord. Et tous le respecteraient. Les Canadiens touchaient 500 000 thunes pour ça : le forfait qu’ils avaient accepté.

À présent il y avait derrière la grille cinq clients de plus qu’Hector avait amenés à son frangin. Celui-ci les avait soulagés vite fait de leurs portefeuilles et de leurs liasses de dollars. Et tous s’étaient retrouvés à genoux et pas contents. Dame !

Honoré abandonna un instant leur surveillance pour consulter la pendule électrique de précision qui se trouvait logée dans une niche d’acier creusée dans la formidable porte du SAFE. 7 heures moins 3, elle indiquait.

Honoré alerta l’Oranais et Steve d’un coup de sifflet. Ceux-ci se retournèrent, lui faisant signe qu’ils avaient terminé.

Le garde brun, qui était revenu à lui, échangea un long regard avec son confrère à cheveux blancs, comme lui agenouillé, nez contre le mur d’acier.

Ils se comprenaient. Impossible de saisir un nom, un surnom. Rien. Les types semblaient drôlement organisés. Depuis qu’ils opéraient aucun n’avait gaffé. Aucun à part celui qui avait dit : Samuel, n’en avait appelé un autre autrement que par un coup de sifflet. Et des coups de sifflets seraient de maigres indices pour les enquêteurs.

Un ordre brutal lancé par l’homme masqué en Groucho Marx les fit tressaillir.

— Allez tout le monde debout. Et tout le monde dans le fond. Exécution.

Ils n’étaient pas tous debout que Steve et l’Oranais apparaissaient chargés d’un lourd sac. L'un d’eux appuya sur le bouton libérant l’entrée de la grille derrière laquelle se tenait Hector, arme au poing, masque de Charlot sur la figure.