— Félicitations. Cette fois t’as fait vinaigre pour rembourser. T’as même pas attendu le 30 !
Son sourire s’accusa.
— Bravo !
Et, contournant son comptoir :
— Un verre ?
Louis Coppolano secoua la tête.
— Merci, mais je me sauve. Je tenais juste à casquer le plus vite possible, et c’est tout. Maintenant que c’est fait, au revoir et mes excuses pour la connerie que j’ai commise.
Johnny posa une bouteille de scotch sur le comptoir.
— Accepte un léger verre tout de même ! C’est Noël ! On peut trinquer…
— Non, refusa Louis d’une voix rude, en se dirigeant vers la porte. Et quand je serai sorti de chez toi, oublie-moi comme je t’aurai oublié.
Il allait franchir le seuil quand Johnny le rappela.
— Hé ! Luigi !
Le père de Mike se retourna sourcils froncés.
— Pourquoi que tu te mets en boule ? lui lança Johnny en s’avançant. Après tout c’est pas moi qui ai flambé les 7000 thunes, mais toi. Alors ?
— C’est juste, concéda Louis. Et j’en prends la responsabilité. Mais j’ai pas aimé la façon dont vous m’avez traité. Aussi maintenant pour moi, c’est terminé. Je vous ai remboursé. On est quittes. Tchao.
Et il se retourna brusquement pour pénétrer dans l’antichambre, mais s’immobilisa sur-le-champ. Devant lui se dressait le jeune type en gris, celui à la gueule de boxeur, celui qui l’avait assaisonné la nuit où l’Oranais était intervenu.
— Qu’est-ce que ça veut dire, dit-il, se retournant de nouveau sur Johnny.
Celui-ci sourit du bout des lèvres.
— Rien. Rien, sinon qu’il m’est venu une idée après ton coup de fil quand tu m’as annoncé que tu voulais m’apporter l’oseille.
Son sourire se gomma. Une lueur cruelle anima son œil clair.
— J’en ai parlé à Frankie au téléphone et il va venir. Et voilà ce que j’ai gambergé…
Son index se pointa sur son ancien copain.
— … pour moi, toi t’es dans le coup du braquage d’hier soir. Comme t’étais dans le coup du casse l’autre fois. Tout concorde mon pote. L’autre nuit, les poulets t’ont cravaté près du SAFE, et aujourd’hui, tu viens m’aligner 7000 dollars le lendemain du braquage. Tu t’es un peu trop pressé, Luigi. Je prends le pari à mille contre un que t’es dans ce coup-là. Pas vrai ?
Le sang s’était retiré de la face de Louis Coppolano.
— Mais t’es cinglé ! Où que t’as péché ça ?
Johnny se tapota le front de l’index.
— Là-dedans.
Et le pointant sur son ancien copain :
— Et je vais savoir si j’ai raison. Aussi va falloir t’allonger, mon pote. Si tu le fais pas, on va employer les grands moyens. Tu dois voir ce que je veux dire ?
— Mais t’es cinglé, ne put que répéter Louis. T’es cinglé.
Sans le quitter du regard, Johnny fit claquer ses doigts. Mis en alerte, Louis voulut réagir, mais déjà deux bras puissants l’enserraient. Il n’eut pas besoin de tourner le cou. Il reconnaissait la force du colosse qui l’avait maintenu pendant que le type en gris le frictionnait, le soir où il avait connu l’Oranais. Et, près du type en gris à gueule de boxeur, venait de surgir le plus jeune, celui à face de cadavre, celui qui drivait la vieille Chrysler noire, cette nuit-là.
Johnny leur décocha un signe. Aussitôt tous deux se mirent à palper et à fouiller le père de Mike. Quand le boxeur allongea la main dans la poche où était l’enveloppe cachetée, Louis chercha à se débattre. Mais le colosse serra plus fort. Souffle coupé, Louis dut laisser faire. Le jeune truand au nez aplati lança l’enveloppe à Johnny, qui sifflota après l’avoir ouverte.
— Bravo, bravo. Y a l’air d’avoir le pacson. T’as affuré aux courses peut-être ?
Il fixait Louis de son œil impitoyable, et un rictus retroussait ses lèvres minces.
— Qu’est-ce que ça peut te foutre ? s’emporta Louis. Toi t’es payé, non ?
— Sûr ! ricana Johnny. Mais à présent, ça me suffit pas. Ou plutôt, ça ne nous suffit pas, rectifia-t-il. Car tu dois bien te gourer que c’est pas pour moi que j’opère.
Il fit signe au colosse.
— Lâche-le.
Puis, balançant l’enveloppe au type à gueule de boxeur :
— Compte ça.
— Pas la peine qui se fatigue, ragea Louis en se frictionnant les bras. Y a 90 000 thunes.
— C’est bien ce que je disais, sifflota Johnny, récupérant l’enveloppe. Y a le pacson. Eh bien, va falloir que tu nous dises d’où ça sort, Luigi. Sinon…
— Sinon ?
— Sinon, on kidnappe la môme et la gonzesse à ton fils. Et tu sais ce qu’on leur fera, hein ? Devant toi… Jusqu’à ce que tu t’allonges…
La rage submergea Louis Coppolano. Il amorça un geste de violence, comme pour plonger sur Johnny. Aussitôt la gueule de boxeur le cogna au foie. Un coup brutal et sec que Louis ne vit même pas arriver. Il se plia en deux, se mordant les lèvres pour ne pas crier, tandis que Johnny poursuivait d’un ton neutre, mortel :
— C’est toi qui décides. Ou tu t’allonges, ou on cueille la môme et sa dabe.
Louis se redressa péniblement.
— Vous oubliez le métier de mon fils ! Si vous kidnappez les siens, vous allez avoir tout le F.B.I. et tous les flics de ce pays au cul. Ils vous trouveront. Ils y mettront peut-être le temps mais ils vous trouveront.
— Pas officiel, fit Johnny. On s’arrangera pour qu’il ne reste pas un témoin de vivant.
Son œil inhumain qui ne cillait jamais restait vrillé dans celui de son ancien copain des rues.
— Et même si je te disais d’où vient ce pognon, en quoi ça t’avancerait ? remarqua Louis qui se massait le foie dans une grimace douloureuse.
Un ricanement monta à l’assaut du plafond où demeuraient les fumées de la nuit.
— C’est que maintenant, je tiens pas seulement à savoir d’où vient ce pognon, précisa Johnny. Mais je veux aussi savoir où se trouve le reste… les diams… le jonc… les perles… enfin tous ces vingt millions que la télé annonce comme ayant été engourdis pendant le braquage. Et c’est un chiffre approximatif d’après ce qu’ils racontent, car beaucoup de gniards sont pas encore venus déposer avec les fêtes.
Une sonnerie l’interrompit. Il devait l’attendre, car du geste il ordonna au chauffeur à face de cadavre d’aller ouvrir. Ce dernier obéit.
Peu après, Georgie, l’un des porte-flingues de M.F. s’encadra dans l’entrée du salon-bar. Il souriait, mais, sous le Borsalino clair, les yeux restaient en alerte. Ses mains étaient glissées dans les poches d’un pardessus gris, luxueusement coupé. Après avoir balayé la pièce du regard, il s’effaça devant son patron.
— Salut Luigi ! jeta Frank Reggenti, pénétrant dans le salon, suivi de ses trois autres Siciliens, tout aussi élégamment fringués que Georgie, et non moins vigilants.
Lui était, comme toujours, sobrement vêtu. Et ses habits ternes, son air débonnaire, sa taille rondouillarde, lui donnaient plus que jamais l’allure d’un citoyen sans histoire. Il se tourna vers Johnny, le questionna d’un hochement de tête.
— Je suis de plus en plus sûr d’avoir raison, déclara ce dernier, brandissant la grosse enveloppe. Y a là 90 000 thunes. Sans compter les 7000 qu’il m’a rendues en arrivant.
M.F. reporta son attention sur son vieux copain de Brownsville. Sous les lunettes aux verres fumés qu’il ne quittait jamais, ses yeux pétillaient.
— Félicitations, Luigi, dit-il. Jamais je t’aurais cru capable de faire remonter dix cents. Bravo. Tu peux te vanter de m’en boucher un coin.
Il esquissa un sourire.