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Tom avait dit vrai. Il faisait beau dehors. Beau et froid. Et sous les rayons l’épaisse neige qui recouvrait les toits, les autos en stationnement, les arbres et certains trottoirs non souillés par les pas, étincelait dans une blancheur de rêve.

Pour un temps New York la puissante, New York l’extraordinaire, vivait au ralenti dans la joie de Noël. Pour quelques heures, ses rudes habitants oubliaient leur course aux dollars. C’était Noël.

Mais pas au 201 Varick Street. Là c’étaient les larmes, l’angoisse, la peur.

Douze personnes attendaient assises sur des bancs dans le long couloir du 4e étage. Deux flics en tenue les surveillaient. Il y avait de tout parmi ces douze personnes : une lycéenne de 17 printemps qui se camait et en revendait ; un ancien héros de Birmanie ; deux Noirs de Harlem, dont celui photographié par Mike avant son départ pour l’Europe ; une starlette et son papa gâteau, un vieux bourré de fric mais sans scrupules ; une goualeuse de Broadway ; un acteur sans rôle et complètement cuit ; plus une dame à face-à-main, et trois mirontons démolis par la dop.

Au bout du couloir, les pas du grand patron des douanes retentirent dans l’immense building vide. Lui aussi avait laissé sa famille et sa journée de fête. Le boulot d’abord. Il passa devant les bancs, soupesa les drogués d’un œil exercé, avant de pousser la porte du bureau de ses spécialistes en stups.

Ceux-ci étaient quatre dans la pièce.

Mike et Tom, bien sûr, plus Chester un agent noir, celui qui avait emballé le nègre à la photo, et son équipier George, un Blanc qui débutait. Tous quatre entouraient un type petit assis sur une chaise. Il avait peu de cheveux, le nez busqué, du sombre l’habillait. Son regard était mobile, apeuré, comme celui d’un lapin.

— Toujours rien de neuf ? lança le grand patron, s’adossant à la porte refermée.

Mike se retourna.

— Non. Il dit qu’il n’a jamais livré à personne d’autre qu’à ceux que nous avons cravatés sur ses indications.

Chester découvrit ses belles dents blanches dans un sourire.

— Il tient à sa situation de demi-grossiste. Il affirme qu’il est rare qu’il se mouille dans le détail.

Tom, qui puisait dans le paquet de Camel de Mike, renchérit.

— Il jure qu’il dit la vérité, qu’il ne cherche à planquer personne. Tous ceux à qui il a fourgué de la dop enveloppée dans le papier en question sont à côté. Tout au moins, c’est ce qu’il dit.

Le Grec écarta les bras.

— Puisque je vous le jure…

Mike lui décocha un sale regard.

— Si tu fouilles pas un peu mieux dans ton foutu crâne de crapule, je te jure une chose, moi : c’est de te faire attraper le maximum.

— Au moins vingt piges, laissa choir Chester d’un ton détaché.

— Sinon trente, remarqua Tom du même ton.

Un peu de sueur perla au front du trafiquant.

— Mais puisque je vous jure que je dis vrai ! Après tout, c’est peut-être un de mes revendeurs qui a fourni le gars que vous recherchez !

Le grand patron soupira.

— Il a peut-être raison, car aucun d’à côté ne répond au signalement des braqueurs de la 47e Rue.

Le Grec sauta sur l’occasion.

— Bien sûr voyons ! Ça peut être que ça !

Son index désignait le mur derrière lequel se trouvaient le couloir et les bancs.

— C’est sûrement l’un d’eux qu’a revendu la came à votre gars… Faut les faire parler ! Ah ! si je pouvais vous aider !

Mike qui épluchait un carnet trouvé en sa possession lui jeta :

— Ta gueule.

Et vers son patron :

— Si c’est ça, on n’est pas à la veille d’être quittes. Car avant de savoir la vérité avec ces cinglés de chnoufés ça va nous prendre du temps.

— On a le temps pour nous, Mike, renvoya le patron en se détachant de la porte.

Mike acquiesça sans lever le nez du carnet.

— Bien sûr, patron. Mais peut-être pas pour cette affaire. Car faut agir vite. Les diams peuvent être lessivés ou franchir la frontière dans les jours qui viennent. Et après, pour les récupérer…

Puis brusquement, et d’un ton hargneux, vers le Grec en désignant une page du carnet :

— Qu’est ce que c’est que ce Steve ? 4 h 30 aujourd’hui dans le téléphone face à l’hôtel Victoria ? Au coin de la 51e Rue Ouest et de la 7e Avenue ? Hein, qu’est-ce que c’est ? Tu vas répondre ? Qui c’est ce type ?

Tom, sans bien savoir ce que venait de lire Mike, vint à la rescousse. Il se pencha sur le Grec, gronda :

— Oui, qu’est-ce que c’est ? Qui est ce mec ?

— Allons, réponds ! jeta Chester.

— Fais vinaigre, menaça George.

— Qu’est-ce que tu attends pour le dire ? hurla Mike, empoignant le Grec d’une main rude.

Le Grec lança autour de lui des yeux de bête traquée.

— Alors, t’accouches ? cria Tom, avançant une gueule menaçante sur le Grec qui s’affolait de plus en plus.

Ce dernier se recula un peu, déroba son regard apeuré, parvint à bafouiller.

— … Mais… mais… c’est pas grave. C’est… c’est un… client que je dois livrer à cette heure-là, et… et… que j’ai oublié de vous signaler.

Mike leva les bras. La gifle résonna comme une lanière de fouet fauchant un mur de pierre.

— Voyons Mike, reprocha le grand patron.

Mais Mike n’écoutait pas. Il poursuivait, fouillant le Grec de son regard aux reflets d’acier.

— Je t’ai prévenu qu’il fallait pas mentir. Où habite ce type ? Pourquoi que tu le livres pas chez lui ?

— Oui, pourquoi dans ce téléphone ? enchaîna Tom.

— Oui, pourquoi ? jeta Chester.

— Allons, réponds, bougre de salaud ! se fâcha George qui en voulait lui aussi.

Le trafiquant porta la main à sa joue qui virait au rouge, et ses prunelles de lapin allèrent de l’un à l’autre.

— C’est parce que je connais pas son adresse. Quand il a besoin de came, c’est lui qui me téléphone et me dit où livrer. Parfois c’est au Métropole, parfois ailleurs.

Le directeur s’avança d’un pas.

— Quand vous a-t-il téléphoné pour vous fixer ce rendez-vous ?

— Ce matin. Il voulait que je vienne à midi, mais…

Il tenta un sourire, vite effacé devant la face dure et impitoyable de Mike.

— … vous savez ce que c’est. J’ai réveillonné et…

— Son signalement ? le stoppa Mike.

Le Grec fit la moue, parut chercher en lui, avant de répondre.

— Plutôt petit… maigre… le front dégagé comme moi… avec plus de cheveux tout de même… les yeux ? Bleus… Non, non, plutôt verdâtres… très souvent un chapeau tyrolien, et…

Mike leva la main pour le faire taire, et fit signe à Tom de se pencher sur la feuille où s’étalait le signalement des braqueurs décrits par les témoins du hold-up.

Après l’avoir épluché sérieusement, Tom la passa au directeur, pendant que Mike qui la connaissait par cœur, murmurait rêveusement :

— Ça peut-être ça… Comme ça peut être autre chose… Qu’en pensez-vous, patron ?

Celui-ci haussa les épaules.

— On ne sait jamais. En tout cas ce signalement colle par la taille et la description avec l’un de ceux-ci.

Son doigt pianotait la feuille.

— De toute façon, faut bien emballer ce camé, remarqua Chester. Alors…

— C’est ce que vous allez faire, décréta le grand patron. Mais vous avez intérêt à y aller mollo, et essayer d’abord de situer où il habite. Même s’il n’est pas dans le coup du hold-up ça servira toujours. Et s’il l’est, probable qu’il va vous conduire tôt ou tard à ses complices. Alors, opérez en douceur, garçons. Compris ?