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Tous eurent un geste approbateur. Puis Mike consulta sa montre, posa machinalement le regard sur la photo des siens qui ornait son bureau, soupira.

— Il est 3 heures. On a plus d’une heure devant nous. Je propose qu’on prépare ça soigneusement.

Ses sourcils se froncèrent lorsqu’il revint au Grec.

— Tu vas livrer comme si de rien n’était. Et pour que tu puisses le faire, on va te rendre quelques paquets de dop. Quand tu remonteras la 51e Rue, l’agent que voilà te suivra. Et c’est aussi lui qui te récupérera.

Son menton indiquait le jeune George, et il poursuivit :

— Et n’essaie pas de te défiler. George est champion de tir et serait trop content d’essayer son 38 tout neuf.

Le Grec le rassura de ses deux mains hâtivement brandies.

— Vous inquiétez pas. J’ai pas envie de lui faire brûler ses cartouches.

Et retournant ses mains pour présenter les paumes, il implora :

— Si ce Steve est bien le gars que vous cherchez, vous me ferez une fleur, hein ? Car c’est une fameuse affaire ce braquage ! Si je vous aide à la réussir, vous m’assaisonnerez pas trop dans votre rapport, hein, monsieur le détective ?

Mike se tourna vers ses compagnons dans une grimace écœurée.

— Vous l’entendez comme il dit ça ? Monsieur le détective !

Revenant au Grec.

— Je t’en foutrai moi, des monsieur le détective, espèce de saligaud.

Tom, qui ne voulait pas que le Grec se bute car ils avaient besoin de lui, s’interposa et conseilla au trafiquant :

— Fais ce qu’on te demande et on verra après. Mais pour l’instant boucle-la.

Mike, qui lorgnait de nouveau la photo des siens, soupira à l’intention de Tom :

— Quand je pense que Connie doit encore avoir remis notre morceau de dinde au four et que…

Tom lui montra le téléphone.

— Appelle-la et dis lui qu’on viendra plus. Inutile de la faire poireauter. En même temps, elle te dira si ton père est enfin arrivé. Elle semblait drôlement inquiète tout à l’heure lorsqu’elle t’a téléphoné !

Le grand gars haussa les épaules.

— Pourquoi l’appeler ? Pour lui coller le cafard ? Elle l’a bien assez comme ça. Quant à mon vieux, il a dû rester coucher chez un de ses copains.

Le grand patron sourit.

— Cette histoire de dinde me fait songer que je vous ai commandé quelques sandwiches. Je vais pousser jusqu’à mon bureau et je reviendrai les dévorer avec vous.

Il sortit. Chester proposa :

— Si on commençait à s’occuper des dopés qui attendent dans le couloir ?

— Ça déblaiera toujours, approuva Mike, qui ajouta vers Tom :

— Tu devrais emmener le Grec à côté et préparer l’opération de tout à l’heure.

— D’accord, fit Tom, faisant signe au Grec de le suivre.

— Si on a besoin de lui pour une confrontation, on le rappellera, déclara Mike.

Une fois Tom et le Grec disparus dans le bureau voisin, Mike se tourna vers George.

— Fais donc entrer la starlette et le vieux vicelard que t’as cueillis ce matin chez eux. On va leur souhaiter un bon Noël.

Peu après le couple pénétrait dans le bureau. Lui pas mal voûté, elle encore belle, mais déjà marquée par le vice de la drogue. Chester leur désigna des sièges. En s’asseyant, le regard du vieux accrocha la photo sur le bureau de Mike, et s’y maintint avec curiosité. Le grand gars s’en aperçut. Il tonna :

— Vous pouvez pas lorgner ailleurs, non ?

Allant à la photo, il en tourna le cadre, présentant ainsi Connie et la gosse au soleil qui traversait les vitres, et les dissimula aux yeux du vieux.

* * *

Au-dessus du bar, une pendulette indiquait 4 h 30. Johnny Vaccario ouvrit un tiroir de son comptoir et en ramena un lourd 45. Il logea une balle dans le canon, glissa l’arme dans la poche de son pardessus bleu croisé. Costume, pardessus, chapeau et jusqu’aux gants de peau souple, il était tout en bleu, et possédait l’élégance des Italo-Américains.

Contournant le comptoir, il vint jeter un coup d’œil sur Louis Coppolano. Son ancien copain était lié sur une chaise, et n’avait plus sur lui que son pantalon et sa chemise. L’un de ses pieds était déchaussé et la jambe de pantalon du côté de ce pied était retroussée jusqu’au mollet. Sa tête argentée pendait sur sa poitrine, dont l’échancrure de la chemise laissait voir des poils sombres. Du sang lui souillait le menton. Il était évanoui.

Non loin du père de Mike, le colosse occupait un canapé de cuir. La face à demi dissimulée par une revue, il était plongé dans un problème de mots croisés. Mais à voir son front dont les cheveux plantés bas rejoignaient presque les sourcils, les gens iraient twister dans la lune qu’il n’aurait pas encore résolu son problème, sûr ! Ses genoux touchaient la table basse sur laquelle voisinaient des verres, une bouteille de scotch, un nerf de bœuf, et un fer à repasser dont le fil traînait à terre.

Après avoir inspecté le tout de son œil froid, Johnny prit des lunettes dans la poche supérieure de son pardessus et les chaussa. Puis, d’un pas décidé, il gagna l’antichambre où l’attendaient le jeune chauffeur à tête de mort, et le type en gris à gueule de boxeur.

Tous trois sortirent.

La porte claqua doucement sur eux. Sur son canapé, le colosse poussa un soupir d’aise et suçota son crayon d’un air inspiré.

* * *

Le téléphone public se dressait solitaire, bien en vue, au coin de la 51e Rue Ouest et de la 7e Avenue. Il était situé juste à l’angle d’une place, dont le large terrain découvert laissait voir au loin. Tôlée à partir du sol, la cabine qui le composait se terminait par du verre ce qui permettait de voir le buste des gens qui en usaient. En réalité il y avait deux cabines se faisant face, séparées par une cloison de verre, possédant chacune son téléphone et sa porte indépendante.

À 4 h 30 pile, le Grec pénétra dans l’une d’elles. À quelques pas, George le surveillait. Mais hypocritement. Il enlaçait comme un amoureux la secrétaire personnelle du grand patron, que celui-ci avait prêtée après l’avoir arrachée aux joies familiales de Noël. La fille était jolie. Mais le jeune agent du trésor ne se laissait pas troubler. Par-dessus l'épaule parfumée, il guettait son gibier.

De l’autre côté de la rue qui commençait à s’allumer car d’ici peu le jour allait tomber, Chester se tenait au volant de la camionnette Volkswagen bleue. Il avait passé une blouse, coiffé une casquette plate de livreur de grande maison. Dans son dos, Tom et Mike épiaient les passants qui ne pouvaient les voir derrière leurs glaces spéciales.

Soudain, Tom cogna les flancs de son copain.

— Je crois que c’est ça.

Tous deux fixèrent leur attention. Au-delà de la rue un type venait de pénétrer dans la cabine faisant face à celle du Grec.

C’était bien Steve Ryan. Il était pâle, pas rasé, les yeux injectés de rouge. Il avait passé la nuit à boire et à se droguer de came et de jazz. Son petit chapeau tyrolien, rejeté en arrière, découvrait son front intelligent. Son manteau où manquait le bouton flottait plus que jamais autour de son corps mince.

Ignorant le Grec qui à quelques centimètres de lui faisait semblant de téléphoner, il logea des pièces dans la fente, décrocha son appareil. Puis il abaissa les yeux sur le petit accoudoir qui se poursuivait comme un jumeau, dans l’autre cabine. Sous l’interstice laissé par le verre et le bois qui se rejoignaient mal, une enveloppe de carte de visite glissa doucement. Un coup d’œil au dehors : nul ne s’occupait d’eux. La main avide et tremblante de Steve retomba sur la légère enveloppe, l’escamota. Une seconde après, il fourrait à la place six billets de 100 dollars. Et ignorant toujours son vis-à-vis, il raccrocha en hâte et sortit de la cabine. Tout son corps frémissait d’impatience. Dans son poing droit il étreignait la dop, celle qui allait le sauver, lui faire oublier un peu sa Margaret, qu’il n’avait pas osé aller revoir sur son lit, là-bas dans la chambre minable.