Louise n’eut pas un destin très remarquable, du moins jusqu’à ce qu’on la retrouve au début des années 40.
Reste Joseph Merlin, auquel plus personne ne pensait.
Y compris vous, certainement.
Ne vous inquiétez pas : dans la vie de Joseph Merlin, c’était une constante, les gens le détestaient et, dès qu’il avait disparu, ils l’oubliaient ; lorsque quelque chose revenait à son sujet, il s’agissait uniquement de mauvais souvenirs.
Il avait passé une nuit entière à coller les coupures offertes par Henri d’Aulnay-Pradelle sur de grandes feuilles de cahier à l’aide de papier gommé. Chaque billet était un morceau de son histoire, de son échec, mais vous savez tout cela.
Après avoir rendu ce rapport explosif qui fit beaucoup pour la condamnation d’Henri, Merlin entra en hibernation, sa carrière était achevée, sa vie aussi, croyait-il. Il avait tort.
Il prit sa retraite le 29 janvier 1921. Il avait été baladé jusque-là de service en service, mais le coup qu’il avait fait au gouvernement avec son rapport et ses inspections sur les cimetières, ç’avait beau être vrai, ce n’était pas de ces choses qu’on excuse. Quel scandale ! Dans l’Antiquité, lorsqu’on punissait le porteur de mauvaises nouvelles, on le lapidait. Au lieu de quoi, lui, chaque matin, ponctuellement, se rendit au ministère. Tous ses collègues s’interrogèrent sur ce que, eux, auraient fait avec l’équivalent de dix ans de salaire ; on détesta d’autant plus Merlin qu’il n’avait pas seulement conservé vingt francs pour cirer ses grosses galoches, nettoyer sa veste pleine d’encre ou s’acheter un nouveau dentier.
Donc, le 29 janvier 1921, il fut à la rue. Retraité. Avec, vu son grade, une pension à peu près égale aux gages de Pauline dans la famille Péricourt.
Longtemps, Merlin remua le souvenir de cette nuit où il avait renoncé au pactole au profit de quelque chose de moins valorisant, mais du côté de la morale, quoiqu’il n’aimât pas les grands mots. L’affaire des soldats exhumés, une fois retraité, continua de le remuer. Il avait fallu qu’il soit retiré pour s’intéresser au monde et se mettre à lire les journaux. C’est par eux qu’il assista à l’arrestation d’Henri d’Aulnay-Pradelle et au retentissant procès de ceux qu’on appelait « les mercantis de la mort ». Il lut avec une intense satisfaction le compte rendu de sa déposition devant le tribunal qui, pourtant, ne lui rendait guère hommage, les journalistes n’avaient pas aimé ce témoin lugubre, qui présentait si mal et les bousculait sur les marches du Palais de Justice lorsqu’ils essayaient de l’interroger.
Après quoi, l’actualité passant, on se désintéressa de cette affaire.
Restèrent les commémorations, les morts, la gloire. La patrie. Merlin continua, guidé par on ne sait quel devoir, à lire les quotidiens. Il n’avait pas les moyens d’en acheter plusieurs chaque matin, aussi se rendait-il dans différents endroits, bibliothèques, cafés, halls d’hôtel, où il pouvait les consulter sans dépenser. C’est là qu’il trouva, en septembre 1925, une petite annonce à laquelle il répondit. On recrutait un gardien pour le cimetière militaire de Saint-Sauveur. Il fut reçu, montra ses états de service et fut embauché.
Pendant bien des années, si vous passiez à Saint-Sauveur, qu’il fasse beau, qu’il fasse laid, vous étiez sûr de le voir enfoncer à grands coups de galoche sa pelle dans la terre alourdie par la pluie, afin d’entretenir les parterres et les allées.
Et pour finir…
Tous ceux que je souhaite remercier ici n’ont aucune responsabilité dans les infidélités de mon roman à « l’histoire vraie », dont je suis seul comptable.
L’arnaque aux monuments aux morts est, à ma connaissance, fictive. J’en ai eu l’idée en lisant le célèbre article d’Antoine Prost sur les monuments aux morts[1]. En revanche, les malversations attribuées à Henri d’Aulnay-Pradelle proviennent, en grande partie, du « Scandale des exhumations militaires » qui éclata en 1922, présenté et analysé dans deux excellents travaux de Béatrix Pau-Heyriès[2]. Ainsi, l’un des faits est réel, l’autre non, ç’aurait pu être l’inverse.
J’ai lu bien des travaux d’Annette Becker, de Stéphane Audouin-Rouzeau, de Jean-Jacques Becker, de Frédéric Rousseau dont les éclairages et les analyses m’ont été précieux.
Ma dette est plus spécifique, bien sûr, vis-à-vis de Bruno Cabanes et de son passionnant ouvrage La Victoire endeuillée.[3]
Au revoir là-haut doit beaucoup à la littérature romanesque de l’après-guerre, d’Henri Barbusse à Maurice Genevoix, de Jules Romains à Gabriel Chevallier. Deux romans m’ont été particulièrement utiles : Le Réveil des morts[4], de Roland Dorgelès, et Le Retour d’Ulysse[5], de J. Valmy-Baysse.
Je ne sais pas ce que je serais devenu sans les inappréciables services de Gallica[6], les bases Arcade et Mérimée[7] du ministère de la Culture et, surtout, sans les bibliothécaires de la BNF que je remercie bien vivement.
J’ai aussi une dette vis-à-vis d’Alain Choubard[8], dont le passionnant recensement des monuments aux morts m’a bien servi et que je remercie pour son aide et pour son accueil.
Doivent, bien sûr, figurer en bonne place ceux qui, tout au long de mon travail, m’ont apporté leur aide : Jean-Claude Hanol pour ses premières impressions et ses encouragements, Véronique Girard, qui pointe toujours l’essentiel avec tant de gentillesse, Gérald Aubert pour ses lectures si pertinentes, ses conseils, son amitié et Thierry Billard, relecteur attentif et généreux. Mes amis Nathalie et Bernard Gensane, qui n’ont pas compté leur temps et dont les analyses et les remarques sont toujours si fécondes, méritent, bien sûr, une mention toute spéciale. Tout comme Pascaline.
Au fil du texte, j’ai emprunté ici et là, à quelques auteurs : Émile Ajar, Louis Aragon, Gérald Aubert, Michel Audiard, Homère, Honoré de Balzac, Ingmar Bergman, Georges Bernanos, Georges Brassens, Stephen Crane, Jean-Louis Curtis, Denis Diderot, Jean-Louis Ézine, Gabriel García Márquez, Victor Hugo, Kazuo Ishiguro, Carson McCullers, Jules Michelet, Antonio Muñoz Molina, Antoine-François Prévost, Marcel Proust, Patrick Rambaud, La Rochefoucauld, et quelques autres.
Qu’ils considèrent ces emprunts comme un hommage.
Le personnage de Joseph Merlin, librement inspiré de Cripure, et celui d’Antonapoulos, inspiré du personnage homonyme, sont tous deux le signe de mon affection et de mon admiration pour Louis Guilloux et pour Carson McCullers.
Je dois aussi exprimer mes remerciements et ma vive reconnaissance à toute l’équipe d’Albin Michel ; il faudrait citer tout le monde, l’ami Pierre Scipion en tête, à qui je dois beaucoup.
On comprendra enfin que ma pensée la plus émue, aille au malheureux Jean Blanchard, qui, bien involontairement, m’a fourni le titre de ce roman. Il a été fusillé pour traîtrise le 4 décembre 1914 et réhabilité le 29 janvier 1921.
Cette pensée va, plus généralement, aux morts, de toutes nationalités, de la guerre 14–18.
2
6
« Les monuments aux morts, culte républicain ? culte civique ? culte patriotique ? »
7
La dénonciation du scandale des exhumations militaires par la presse française dans les années 1920,
8
« Le marché des cercueils » (1918–1924), in