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– Je ne vous avais pas bien regardé dans votre chambre, mais je dois dire que votre enveloppe charnelle n’était pas mal du tout. Vous étiez musclé, on voit que vous faisiez du sport. Si je n’étais pas déjà en couple, vous auriez pu me plaire.

– Vous croyez vraiment que le moment est bien choisi pour parler de ça ? Allez-y, trouvez une veine et prélevez du sang.

Elle sort la seringue et cherche un endroit où la planter. Dans le poignet, au niveau des veines apparentes, rien ne vient ; dans l’artère fémorale et le cou, au niveau de la jugulaire, rien non plus.

– Ils vous ont vidé pour faire du boudin ou quoi ?

– Le corps s’assèche naturellement, essayez directement dans le cœur.

– Je n’y arrive pas, l’aiguille est trop fine pour transpercer le sternum.

– Placez-vous différemment. Attaquez-le par en dessous en appuyant sur le ventre.

Lucy s’assoit donc à califourchon sur le cadavre de l’écrivain et tente de percer le cœur en passant sous les côtes flottantes. Elle y parvient enfin et aspire avec la seringue un liquide brun sirupeux.

Soudain, le plafonnier s’illumine. Une infirmière hurle :

– On la tient ! Venez vite, la perverse nécrophile est là !

Trois autres infirmières accourent.

– On l’a enfin trouvée ! « Nini, la Nymphomane Nécrophile » ! C’est forcément elle !

– On va l’attraper, cette folle ! renchérit l’une de ses collègues, dont les bras sont larges comme des cuisses.

Lucy a tout juste le temps de descendre de la table et de s’enfuir par une porte latérale, mais les femmes en blouse blanche sont déjà à ses trousses.

La médium, qui porte sa seringue dardée vers le haut, rejoint un couloir mieux éclairé, sans parvenir à semer ses poursuivantes.

– Par ici ! Je la vois ! hurle une des infirmières.

– Arrêtez-la !

Lucy bouscule deux malades qui avancent lentement en tenant leur perche de perfusion.

– Poussez-vous ! Laissez-moi passer !

Elle se fraye un chemin au milieu d’autres malades hagards et des infirmières qui n’ont pas bien compris ce qu’il se passe. Ses quatre poursuivantes, elles, sont plus déterminées que jamais.

– Elle est passée par où ?

– Par là, signale une malade. Je l’ai vue. Elle était tout près de moi, elle m’a bousculée.

– Elle tenait une seringue remplie de sang ! ajoute une autre. Ce doit être un vampire.

– Mais non, rectifie une autre. C’est Nini la nécrophile.

– C’est quoi une nécrophile ?

– Une perverse qui fait l’amour avec les morts ! Elle traîne depuis un moment dans l’hôpital et on n’a jamais réussi à la coincer.

Lucy continue de traverser en trombe les couloirs alors que le nombre de ses poursuivants, attirés par le ramdam, ne cesse d’augmenter. Gabriel la précède et tente de lui indiquer les couloirs les moins encombrés.

– Non, pas par là, des brancards bouchent le passage, prenez à droite !

Ses poursuivantes ne renoncent pas. Lucy n’a plus le choix, elle bifurque à gauche. Par chance, les autres n’ont pas vu son virage et continuent tout droit.

La médium, transformée malgré elle en détective privée, s’enfonce dans le secteur psychiatrique, désert à cette heure, en serrant fort son poignet pour faire une sorte de garrot.

– Je n’aurais jamais dû venir ! Je n’aurais jamais dû vous écouter ! murmure-t-elle en pressant sa plaie qui s’est remise à saigner.

– Cachez-vous dans ce coin et videz votre seringue dans l’éprouvette, lui enjoint Gabriel.

– Vous m’entraînez exactement dans le genre de situations que je déteste ! lance-t-elle tout en s’exécutant.

– Vous les avez semés. Bravo !

Lucy, en cherchant la sortie, atterrit dans une large pièce où l’attend un homme aux yeux de dément qui lui barre le chemin.

– Sorcière ! beugle-t-il.

Alors que d’autres individus surgissent soudain d’un peu partout, la jeune femme réussit tant bien que mal à leur échapper, mais à présent ce sont les malades du secteur psychiatrique qui la pourchassent. Très vite, elle se retrouve coincée et encerclée par les déments.

– Sorcière ! Sorcière ! répète le premier fou à l’avoir repérée, immédiatement imité par les autres.

– Sorcière ! Elle est là, avec tout son cortège de démons !

– Les démons ! Les démons ! s’écrie tout à coup Lucy.

– Que se passe-t-il ? demande Gabriel alors que le cercle se referme doucement autour de la médium.

– Les prisons, les cimetières, les casernes, les champs de bataille, les hôpitaux et les asiles sont des lieux privilégiés pour l’errance des âmes. Dès qu’il se passe quelque chose, elles s’agglutinent comme des pigeons autour d’une vieille dame au sac rempli de miettes de pain, et elles réclament ce qu’elles estiment être leur dû. Elles ont fini par repérer ma présence et veulent donc m’utiliser pour obtenir des réincarnations avantageuses. Le problème, c’est que les schizophrènes ainsi que les drogués les perçoivent, tous ceux qui ont des auras trop fines ou trouées. Ce sont elles qu’ils appellent des « démons ».

Les malades restent à bonne distance et répètent tous en chœur :

– La sorcière… au bûcher ! La sorcière… au bûcher !

– Vous comprenez maintenant pourquoi j’avais des réticences à venir par ici ? balbutie Lucy, que la panique fait serrer encore plus fort son poignet.

Les fous qui l’encerclent se rapprochent un peu plus, de sorte que les plus illuminés lui touchent les cheveux. Elle est parcourue de frissons d’horreur.

– Faites quelque chose, je vous en prie !

L’esprit de l’écrivain profite de sa capacité à traverser les murs pour partir à la recherche des infirmiers de l’aile psychiatrique. Il les trouve réunis dans une salle à l’autre bout du bâtiment, occupés à regarder un match de football, le son poussé au maximum.

– Au secours ! hurle Lucy.

Gabriel comprend qu’il lui faut rapidement trouver une solution. Il s’adresse aux âmes errantes :

– Partez ! Vous ne voyez pas que vous excitez les types en dessous ?

– C’est Lucy ! On veut qu’elle nous fasse monter. Elle a les meilleures propositions de réincarnations de tout Paris !

– Si elle meurt, elle ne pourra plus aider qui que ce soit ! réplique-t-il.

– Si elle nous propose de bons fœtus, on s’en va.

– Si vous fichez le camp tout de suite, je plaiderai votre cause.

Les âmes errantes consentent à partir, à condition que la médium promette de les aider dans leur ascension et leur réincarnation.

Gabriel transmet à Lucy les termes du marché. Assaillie par les fous qui, de plus en plus nombreux, commencent à la toucher, Lucy accepte.

Les âmes errantes partent toutes ensemble comme un vol d’étourneaux et, aussitôt, les malades les plus sensibles se calment. Lucy profite de ce répit pour s’enfuir en direction de la porte la plus large surmontée du mot « EXIT ».

Elle est enfin dehors. Elle court vers sa voiture, démarre en trombe et fonce vers la sortie.

– Bravo ! s’exclame Gabriel Wells.

La jeune femme ne répond rien, contenant sa rage mais conduisant de plus en plus vite.