La maquilleuse sort à présent du vernis et lui fait les ongles des pieds tandis qu’un assistant tend à l’actrice une boisson énergisante.
– Puisque vous êtes enquêtrice, je ne vais pas vous apprendre votre métier, mais j’ai tourné dans plusieurs films policiers au cours de ma carrière, et il y a toujours un moment où l’un des personnages se pose la question suivante : À qui profite le crime ?
– Vous pensez à qui ?
– À Thomas Wells.
Plusieurs assistants proposent à Sabrina un peignoir tiède et des petits sandwichs au saumon pour l’accompagner jusqu’au plateau où va être tournée la scène suivante.
– Bon courage avec votre enquête, capitaine. Je dois aller me faire écarteler. C’est le boulot. Quand je pense qu’il y en a qui se plaignent de leurs conditions de travail !
Elle lui envoie un baiser aérien.
– Entre nous, c’est dommage que Gabriel soit mort, vous êtes exactement le genre de fille dont il serait tombé éperdument amoureux. Quelqu’un vous a déjà dit que vous ressembliez à son actrice fétiche, Hedy Lamarr ?
36. ENCYCLOPÉDIE : HEDY LAMARR
Hedy Lamarr (de son vrai nom Hedwig Eva Maria Kiesler) est une des rares actrices hollywoodiennes à avoir également été une scientifique visionnaire.
Née en 1914 d’un banquier ukrainien et d’une pianiste hongroise, elle quitte ses parents à 16 ans pour commencer sa carrière de comédienne. Le metteur en scène Max Reinhardt déclare à la presse : « C’est la plus belle fille du monde. » Elle devient célèbre à 19 ans en interprétant dans le film austro-tchécoslovaque Extase une épouse délaissée par son mari, qui prend un amant. Elle est la première actrice de l’histoire du cinéma à jouer entièrement nue et à simuler un orgasme. Le film est condamné par l’Église, ce qui confère à Hedy Lamarr une renommée internationale. Après avoir joué dans une dizaine de films et pièces de théâtre, elle épouse Friedrich Mandl, un trafiquant d’armes autrichien fasciste qui fréquente Mussolini et Hitler. Quatre ans plus tard, elle échappe aux griffes de ce mari possessif en droguant le garde chargé de la surveiller et en enfilant ses vêtements. Puis elle fuit l’Europe et la montée du nazisme pour se réfugier aux États-Unis. Sur le Normandie qui traverse l’Atlantique, elle convainc le producteur Louis B. Mayer de l’engager et obtient un contrat d’exclusivité de sept ans à la Metro Goldwin Mayer, qui est alors le plus grand studio de cinéma au monde. Elle s’installe à Hollywood et joue dans une quinzaine de longs métrages aux côtés des plus grands : Spencer Tracy, John Wayne, Gregory Peck. En 1949, elle connaît la consécration avec le film biblique Samson et Dalila où elle donne la réplique à Victor Mature. Grande séductrice, considérée par plusieurs magazines comme la plus belle femme du monde, elle se marie six fois et s’affiche avec une multitude d’amants célèbres comme Stewart Granger, John Kennedy, Jean-Pierre Aumont, Howard Hugues, Robert Capa, Errol Flynn, Orson Welles, Charlie Chaplin, Clark Gable ou encore Billy Wilder. On retient d’elle plusieurs formules, dont : « Avant 35 ans, un homme a trop à apprendre, je n’ai pas le temps de l’éduquer » ou : « Mon problème avec le mariage est de vouloir à la fois l’intimité et l’indépendance. » Son dernier film, Femmes devant le désir, tourné en 1957, est un échec. La star, qui a désormais son étoile sur Hollywood Boulevard, connaît alors une lente descente aux enfers. Après avoir publié un livre de souvenirs érotiques qui choque le public, elle abuse de la chirurgie esthétique et se fait plus tard arrêter pour vol à l’étalage. Elle meurt dans la misère, seule et oubliée de tous, à l’âge de 85 ans. Le seul prix qu’elle ait reçu au cours de sa carrière est le Golden Apple Awards, qui couronne l’actrice la plus pénible sur les tournages.
Pourtant, un aspect moins connu de son parcours (et qui ne sera révélé que dans les années 1980 parce qu’il était classé secret-défense) va lui rendre sa célébrité à titre posthume : sa mise au point, en 1941, d’un système de communication applicable aux torpilles radioguidées qui permettait à l’émetteur-récepteur de la torpille de changer de fréquence, de manière à empêcher la détection d’une attaque sous-marine par l’ennemi.
Dans un premier temps, les spécialistes de l’armée ne la prennent pas au sérieux et n’accordent aucune attention à son invention, qu’ils classent dans leurs archives sans même la tester. Mais lors de la Guerre froide, en 1962, en pleine crise des missiles de Cuba, le « Procédé Lamarr » est finalement ressorti des cartons et mis en pratique. Avec succès. Lorsque son brevet est déclassifié en 1980, les entreprises privées voient tout de suite l’intérêt de cette invention. C’est ainsi que la téléphonie mobile, le GPS, les liaisons cryptées militaires, les communications des navettes spatiales avec le sol ou encore le Wi-Fi intègrent tous le « procédé Lamarr ».
L’actrice reçoit rétroactivement, en 1997, le prix de la Fondation américaine pour l’électronique, et elle est admise en 2014 au National Inventors Hall of Fame, qui récompense les plus grands inventeurs américains.
Edmond Wells, Encyclopédie du Savoir Relatif et Absolu, tome XII.
37.
– Tu penses à quoi ? demande Ignace à Gabriel en volant à ses côtés.
– C’est étonnant comme Lucy ressemble à Hedy Lamarr.
– Je n’ai jamais compris ton attirance pour elle, elle est quand même bien moins impressionnante que Marilyn Monroe, Greta Garbo ou Grace Kelly.
– Je sais, tu préfères les blondes, chacun ses goûts. N’en parlons plus.
– Tiens, à propos, j’en connais une bien bonne. C’est un couple de vieux de 95 ans qui vont chez le notaire pour divorcer. Il leur demande : « Pourquoi avez-vous attendu si longtemps pour vous séparer ? » Alors ils répondent…
– Merci papi, mais, comment dire… Depuis que je suis mort, j’ai un peu moins l’esprit à plaisanter.
– Dommage, s’il y a bien un moment où l’on peut tout relativiser, c’est justement après son décès !
– Alors disons que je n’ai pas l’esprit à plaisanter maintenant. Nous avons d’abord une mission à accomplir pour faire avancer mon enquête.
Voyant que son grand-père se renfrogne, Gabriel concède dans un soupir :
– Très bien… Allez, raconte-moi la chute de ta blague.
– Non c’est trop tard, je suis vexé.
– Allez, papi, ne te fais pas prier. Je sais que tu es incapable de résister à l’envie de raconter une blague.
– Tu te trompes, je ne céderai pas. Et puis tu as raison, concentrons-nous sur notre mission.
– S’il te plaît. Raconte-moi.
– Tu as vu la puissance d’une blague inachevée ? C’est frustrant, hein ?
– Vas-y, papi.
– OK, puisque tu insistes… Donc ils répondent : « On a attendu que les enfants soient morts pour ne pas les traumatiser. »