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Il se savonne et, tout en se passant le gant sur le corps, prend un plaisir étrange à caresser chaque centimètre carré de cette peau lisse beaucoup plus sensible que son ancien épiderme d’homme.

Volupté. Extase. Joie d’être à nouveau vivant. Une voix résonne dans sa tête :

– Quand vous aurez terminé, avant de sortir, vous passerez un jet d’eau froide sur mes jambes et sur ma poitrine. C’est bon pour la circulation et ça raffermit. Si vous apercevez un bouton, surtout ne le percez pas avec les ongles. Et puis, vous ne le savez peut-être pas, mais cette longue chevelure met du temps à sécher : il faudra utiliser le sèche-cheveux. Mais à bonne distance, pour ne pas risquer de brûler mes cheveux.

Il ne l’écoute déjà plus, augmente la température du bain et joue avec ses orteils dans l’eau moussante. Un immense sourire s’affiche sur son visage.

– Vous ne ressentez plus l’effet de la drogue ? poursuit Lucy.

C’est à ce moment-là qu’une douleur irradie au niveau de son ventre. Il pense d’abord que ce sont des effets secondaires de la drogue, mais il se rend compte que c’est une douleur différente, loin de sa tête et très localisée. Il envisage alors une gastro-entérite ou une indigestion – il a déjà connu cette sensation après avoir mangé des aliments périmés. Il sort du bain, se sèche et voit une marque de sang sur la serviette. Il pense aussitôt à une blessure, mais Lucy lui apporte l’information qui lui manquait :

– Bienvenue dans le monde des femmes.

Il n’ose comprendre.

– J’aurais dû vous avertir que mon cycle démarrait aujourd’hui.

– Vous voulez dire que j’ai mes… règles ?

– Les tampons sont dans le placard au-dessus du lavabo. Je vais vous guider pour que vous le placiez comme il faut. Mais pour ça détendez-vous, car il ne faut surtout pas forcer.

Elle lui explique en détail la manœuvre, mais il doit s’y reprendre à trois ou quatre fois avant de réussir à introduire convenablement cet objet étranger dans son corps.

Quand il a enfin réussi, la sonnette de l’entrée retentit.

– Qui ça peut être ? s’inquiète Dolorès.

– Allez voir, Gabriel !

Gabriel-femme en profite pour s’habiller prestement.

– Ce sont d’autres sbires de Samy ? s’interroge Dolorès. Comment ont-ils pu le retrouver si vite s’il n’a plus la puce ?

– Non, ce ne sont pas des gangsters, ce sont des clients.

– En groupe ?

– Le dimanche soir, je fais des séances de spiritisme collectives.

Dolorès rejoint Gabriel devant la porte et reconnaît des membres du gouvernement.

– Mais c’est le ministre de l’Intérieur ! Comment il s’appelle déjà ?

– Valladier. C’est un ami.

– Et les autres ?

– Tu ne les reconnais pas ?

– Attends, j’hallucine, il est accompagné par le Premier ministre Brocard !

– Il m’avait dit qu’un jour il me l’amènerait, mais je n’y croyais pas vraiment.

– Manquerait plus qu’il ramène le président de la République !

– Bon, il va falloir que je réintègre mon corps pour gérer la situation.

– Non, c’est impossible pour l’instant.

– Et pourquoi donc ?

Dolorès affiche une mine navrée.

– Si ce n’est pas fait lentement et avec le consentement clair des deux parties, deux esprits peuvent se retrouver à cohabiter dans un même corps. Il y a alors un risque de schizophrénie chronique. De manière générale, mieux vaut attendre au moins 24 heures avant de procéder deux fois de suite à ce genre de manipulation un peu traumatisante.

Lucy a encore le souvenir de son passage dans l’aile psychiatrique de l’hôpital où tous voulaient la brûler pour sorcellerie.

Dolorès remarque que les deux politiciens sont accompagnés de silhouettes féminines.

– Le mieux serait que tu réintègres ton corps tranquillement demain, insiste Dolorès.

– Mais le ministre de l’Intérieur et le Premier ministre sont là et Gabriel ne sait pas comment faire !

– Dans ce cas, il faut que l’on aide Gabriel à sauver les apparences.

La sonnette d’entrée retentit une nouvelle fois. Gabriel-femme se tient devant la penderie, entouré de chats, et il fait défiler toutes les robes en se demandant laquelle il pourrait mettre.

– Quand même, c’est le Premier ministre ! J’ignorais que tu avais autant d’influence…, s’émerveille Dolorès.

– Tu sais, la plupart des gouvernants ont leur astrologue ou leur médium attitré, parce qu’ils ont compris qu’ils n’arriveraient jamais à diriger efficacement un pays s’ils ne comptaient que sur leur seule intelligence. Et puis une fois arrivés au sommet, ils finissent tous par intégrer l’idée qu’il existe nécessairement des forces invisibles qui influent sur le monde visible.

67. ENCYCLOPÉDIE : RASPOUTINE

Parmi les grandes figures de médiums ayant influé sur des politiciens se trouve en bonne place Grigori Raspoutine.

Né aux alentours de 1869 dans une famille de moujiks (paysans russes) à Pokrovskoïe, en Sibérie orientale, il développa très jeune un fort charisme et impressionnait par sa stature, sa force, son regard bleu intense, mais aussi son penchant pour l’alcoolisme et ses nombreuses conquêtes féminines ; ses maîtresses disaient de lui qu’il avait un sexe de plus de 30 centimètres de long avec un grain de beauté à sa base. Lorsqu’il était saoul, il n’hésitait pas à l’exhiber pour impressionner son entourage.

Alors qu’il était poursuivi par une foule qui voulait le lyncher pour sorcellerie, Raspoutine fut sauvé in extremis par la police et amené dans un monastère spécialisé dans la réinsertion des pervers et des criminels. Il devint mystique, à la grande surprise des moines, et apprit par cœur des chapitres entiers des Saintes Écritures. Il pouvait se priver de nourriture et de sommeil durant des semaines, rester à genoux à réciter des prières pendant des nuits entières.

Raspoutine était doué de facultés de guérison : on racontait qu’il avait rendu la vue à un aveugle et permis à une femme stérile d’enfanter des jumeaux. Il prétendait aussi pouvoir parler aux animaux et savait, de fait, dompter les chevaux les plus rétifs.

Après son séjour chez les moines, il voyagea dans toute la Russie et fut invité dans les salons huppés de Saint-Pétersbourg. La bourgeoisie locale s’ennuyait, et ce spécialiste des sciences occultes les émerveilla en leur parlant de la communication avec les morts, en organisant des cérémonies de tables tournantes à la manière des sœurs Fox.

Or Alexis, le fils du tsar Nicolas II, souffrait d’hémophilie, aussi appelée « maladie des rois ». La tsarine Alexandra Féodorovna, à court de solutions, invita Raspoutine à son chevet dans l’espoir qu’il accomplisse un miracle. Et, de fait, l’enfant soigné par le moine aux longs cheveux et aux grands yeux bleus sembla rapidement aller mieux après sa visite. Raspoutine fut donc invité à s’installer au palais pour soigner toute la famille grâce à ses mystérieux pouvoirs.

Il avait la confiance du couple impérial – dont il profitait pour coucher avec les domestiques. Mais cette confiance ne s’arrêtait pas à la médecine : le tsar et la tsarine lui posaient des questions sur l’avenir du pays, lui demandaient conseil sur la politique militaire à suivre, la valeur ou la loyauté de leurs ministres. Si bien que son influence sur toute la politique du pays ne cessait de croître.