En 1911, il déclara : « Dieu a placé la famille impériale et la Russie sous ma seule sauvegarde. Si je venais à disparaître prématurément, le tsar, la tsarine et leurs cinq enfants périraient à leur tour dans la douleur. »
Quand la Première Guerre mondiale éclata, la France et l’Angleterre demandèrent à leur allié russe d’ouvrir un front à l’est pour soulager le front ouest. Raspoutine conseilla au tsar de refuser. Dès lors, un complot contre lui fut monté par les services secrets occidentaux avec le soutien des aristocrates qui tous détestaient ce sorcier beaucoup trop influent.
Le 29 juin 1916, alors que Raspoutine quittait une église, il fut poignardé par une espionne déguisée en mendiante, mais il se remit facilement de ses blessures.
Le 29 décembre 1916, profitant d’une fête au palais de la Moïka, le prince Felix Youssoupov introduisit une grande quantité de cyanure de potassium dans un gâteau. Raspoutine consomma l’aliment, mais le poison censé agir de manière fulgurante ne lui procura aucune gêne et il passa le reste de la soirée à chanter et à jouer de la guitare. À bout de patience, Youssoupov alla chercher un revolver, revint dans la salle à manger et tira une balle dans le cœur du médium. Alors que Youssoupov examinait le corps qui ne respirait plus, brusquement l’œil gauche de Raspoutine s’ouvrit, il se releva d’un bond et se précipita sur Youssoupov pour l’étrangler. Ce dernier parvint difficilement à se dégager et courut chercher quatre de ses complices en criant : « Il est encore en vie ! » Tous descendirent armés de revolvers, mais s’aperçurent que leur victime était parvenue à quitter le palais. Les conjurés suivirent les traces qui prouvaient que leur proie rampait dans la neige. Ils le retrouvèrent et lui tirèrent trois balles supplémentaires pour l’achever. Puis ils l’enveloppèrent dans son manteau, le ligotèrent, l’emmenèrent et le jetèrent du haut d’un pont dans le fleuve Neva gelé. Le cadavre fut retrouvé le lendemain avec de l’eau dans les poumons, preuve que Raspoutine s’était libéré de ses liens, avait nagé, mais, épuisé, s’était finalement noyé.
Ses admirateurs vinrent par la suite recueillir un peu de l’eau entourant son cadavre pour acquérir ses pouvoirs. Quant à son pénis, il fut récupéré pour être exhibé au musée de Saint-Pétersbourg dont il est encore de nos jours une des attractions principales.
La Russie s’engagea dans la Première Guerre mondiale aux côtés des Français et des Anglais, jusqu’à la révolution de 1917 où la prédiction de Raspoutine s’accomplit : le tsar Nicolas II, la tsarine, leurs cinq enfants et quelques proches furent assassinés par des révolutionnaires.
Edmond Wells, Encyclopédie du Savoir Relatif et Absolu, tome XII.
68.
Leurs auriculaires sont en contact avec les pouces de leurs voisins. Les deux politiciens, leurs épouses respectives et la médium sont fébriles.
Gabriel-femme, vêtu d’une belle robe lamée noire et arborant des bijoux clinquants, ferme les yeux et se concentre.
– Dites-leur qu’ils vont former un cercle d’énergie qui permettra aux âmes invoquées de venir leur rendre visite, lui intime Lucy.
– Nous allons former un cercle de magie qui…
– Non, concentrez-vous, vous ne m’écoutez pas bien, je n’ai pas dit « de magie » mais « d’énergie ». Le mot « magie » peut les mettre mal à l’aise.
– Donc un cercle d’énergie qui…
– Il faut prononcer exactement ce que je vous indique, soyez attentif, Gabriel. « Qui permettra aux âmes invoquées de venir nous rendre visite. »
– Qui permettra aux âmes invoquées de venir nous rendre visite.
– Parfait. Demandez-leur qui ils veulent invoquer et pourquoi. Je vous transmettrai en direct toutes les réponses.
– Qui voulez-vous invoquer ? Et pourquoi ?
Le ministre de l’Intérieur Valladier dit à son collègue Brocard :
– Vas-y, Gérard, commence !
– Bien ! La situation est grave. Des journalistes un peu trop fouineurs ont découvert une affaire de détournements de fonds normalement destinés à l’office des HLM. Nous voudrions… enfin, je voudrais savoir comment celui qui a mis au point cette petite magouille que nous avons tous reprise a prévu d’agir dans cette situation gênante. Je voudrais appeler l’ancien président François Mitterrand.
– Très bien, concentrons-nous. J’appelle… François Mitterrand.
Les cinq personnes ferment les yeux et attendent.
Lucy fait appel à Dracon. Ce dernier apparaît, et pour la première fois, grâce à sa présence dans le monde invisible et à ses nouveaux sens, elle peut enfin voir ses traits. C’est un petit homme bedonnant au visage joufflu, qui porte une toge et des sandales.
– Bonjour, Lucy !
– Bonjour, Dracon ! Contente de vous voir.
– Que puis-je faire pour vous aider ?
– J’aimerais que vous alliez chercher François Mitterrand.
– Vous avez de la chance, il n’est pas encore réincarné, s’il est dispo je vous l’amène.
Il revient avec l’ancien président français moins d’une minute plus tard, qui déclare :
– Dracon m’a expliqué la situation. Je trouve normal d’aider mes successeurs. C’est, comment dire, le « service après-vente ». En plus, cela m’amuse de continuer d’exercer une action politique, fût-ce depuis l’au-delà.
Se met alors en place un étrange dialogue où François Mitterrand parle à Lucy qui elle-même communique avec Gabriel pour retransmettre chacune de ses paroles.
Ainsi Mitterrand informe-t-il Brocard sur les montages complexes qu’il utilisait à son époque pour financer les caisses secrètes du parti, puis de son gouvernement, et qui lui permettaient de payer les campagnes d’affichage, les meetings en province, puis les « coups ». Pour ce qui est des journalistes, il explique qu’il n’hésitait pas à les mettre sur écoute et ensuite à les faire chanter ou, si cela ne suffisait pas, à les soumettre à des contrôles fiscaux, voire à des menaces physiques. Enfin, il reconnaît qu’il a quand même dû parfois « éliminer » des gêneurs qui auraient pu ébranler le socle de son gouvernement.
L’ectoplasme a l’air ravi de pouvoir enfin confier ses petits secrets.
– Bon, voilà, je t’ai tout dit, Gérard. Si j’étais toi, en remerciement de ces bons conseils, je m’invoquerais comme référence dans mon prochain discours. Cela va te rendre automatiquement crédible et sympathique, voire te permettre de devenir président. Ciao.
Gabriel-femme a terminé de répéter ce que lui dictait l’ancien président par la bouche de Lucy.
Dans l’invisible, Mitterrand dialogue avec ceux qui l’ont invité :
– Vous savez, les filles, ici je m’ennuie un peu. Quand j’étais sur terre, je consultais des médiums et des marabouts. C’était amusant. J’imaginais comment pouvait être l’au-delà ; mais depuis que je sais ce que c’est et que j’y vis, je m’ennuie. Ça vous dirait qu’on se fréquente un peu plus régulièrement ? On n’aurait qu’à se retrouver chez moi. Je vis encore à l’Élysée. Vous verrez, c’est très chic.