– Elle vous ressemble, mais… maintenant que je vous vois, je me rends compte que vous êtes vraiment différentes.
– C’est un compliment que vous essayez de me faire ?
– Oui… enfin… je voudrais vous dire que si ma vie de Gabriel Wells et mon assassinat n’ont servi qu’à vous rencontrer comme âme errante, eh bien tout cela valait la peine.
– Merci.
– Pourrais-je vous revoir ?
– Cela dépendra de ce qui va vous arriver là-dessous.
– Et que va-t-il m’arriver, selon vous ?
– A priori vous allez rencontrer des êtres du Haut Astral. Je ne sais même pas s’ils seront plusieurs, tel un jury d’archanges, ou si ce sera une seule personne, une sorte de dieu ou de divinité. Pour être honnête, j’aimerais beaucoup vous accompagner, mais cela m’est interdit. « On » m’a juste demandé de vous amener jusqu’ici. Et je pense que j’ai été choisie parce que j’étais votre idéal féminin.
– J’aurais tant aimé à cet instant avoir un papier et un stylo pour vous demander un autographe, ose timidement lui avouer Gabriel.
– Cela fait partie des petits inconvénients d’être mort, on ne peut pas demander d’autographe aux célébrités qu’on rencontre dans l’au-delà…
L’actrice laisse fuser un petit rire poli, puis elle se penche vers lui et l’embrasse. Il ne sent rien, voit juste son visage translucide à quelques centimètres du sien.
– Cela remplacera l’autographe, déclare-t-elle. Allez, maintenant vous devez descendre. Et appréciez la chance que vous avez d’approcher du Haut Astral !
Il lui fait un baisemain. Il a envie de lui dire tant de choses, mais il ne sait pas par quoi commencer.
– Jamais je n’oublierai cet instant. Même si je me réincarne, je garderai gravées ces secondes merveilleuses au plus profond de mon âme, quels que soient mes prochains corps d’emprunt.
Elle lui fait signe qu’il n’y a plus de temps à perdre. Alors, à regret, il s’enfonce sous la couche de roche du Purgatoire, et aboutit à une caverne qui ressemble à l’intérieur d’une géode améthyste. Toutes les parois sont hérissées de cristaux mauves translucides qui émettent une lueur bleutée.
Au centre se trouve un immense trône de quartz.
Quelqu’un est assis, unique silhouette dans cette salle démesurée.
Gabriel s’avance.
Il fait le tour du trône, voit la personne qui est assise dessus, la reconnaît et recule brusquement, dans un mouvement de surprise.
– VOUS ?! s’exclame-t-il.
– Contente de te revoir, Gabriel…
86. ENCYCLOPÉDIE : ÂMES LUMINEUSES
Si certaines personnes passent leur vie à se demander comment détruire un maximum de leurs congénères, d’autres ne pensent qu’à les aider. En voici trois peu connues :
– Irena Sendler était la fille d’un médecin polonais qui avait dédié sa vie à aider les défavorisés. En 1942, déguisée en infirmière officiellement chargée de repérer les traces de typhus, elle organisa l’évasion du ghetto de Varsovie de 1 200 enfants juifs. En 1943, elle fut dénoncée, arrêtée, torturée, mais ne livra jamais aucune information. Condamnée à mort, elle parvint à s’évader et continua sa résistance active. À la fin de la guerre, elle aida les enfants qu’elle avait sauvés à retrouver leurs parents (elle avait caché la liste de leurs noms dans une jarre enterrée dans son jardin). Elle mourut à 98 ans en exprimant le regret de ne pas avoir pu en sauver plus.
– L’Australien James Harrison avait 13 ans lorsqu’il dut subir l’ablation d’un poumon. Il fallut lui transfuser plusieurs litres de sang et il resta trois mois à l’hôpital. Durant cette période, James ne cessa de penser à tous les donneurs auxquels il devait sa survie ; cette dette morale l’obsédait. À sa sortie, il décida que, dès qu’il serait majeur, il donnerait son sang le plus souvent possible. Or James Harrison possédait un antigène rare, capable de sauver les bébés souffrant de la maladie de Rhésus, une forme mortelle d’anémie. Il offrit ainsi plus de 1 000 transfusions en cinquante-six ans, qui permirent de sauver 2 millions d’enfants. Grâce à son sang, les biologistes purent même mettre au point un vaccin.
– Shavarsh Karapetyan, né en 1953, était arménien. Il fut 17 fois champion du monde de natation, 13 fois champion d’Europe, 7 fois champion d’URSS, et il détenait 11 records du monde. Le matin du 16 septembre 1976, alors qu’il effectuait son jogging quotidien avec son frère, il vit un bus dévier de sa route et chuter dans les eaux glacées du lac d’Erevan. Les 92 passagers perdirent tous connaissance sous le choc. Shavarsh plongea, progressa dans l’eau sombre, repéra le bus à 10 mètres de profondeur, brisa la vitre arrière avec ses pieds, se blessant avec les morceaux de verre, et parvint à remonter 30 personnes qui furent ensuite secourues par son frère ; parmi elles, 20 survécurent. À la suite de cet exploit, épuisé, blessé et frigorifié, il tomba lui-même quarante-cinq jours dans le coma. Neuf ans après ce drame, il se trouva à proximité d’un bâtiment en feu, avec plusieurs personnes piégées à l’intérieur. Une fois de plus, il n’hésita pas et fonça, cette fois-ci dans les flammes, pour tenter de les sauver. Là encore, il dut passer plusieurs mois à l’hôpital pour se remettre de ses brûlures. Un astéroïde a été baptisé en son honneur.
Edmond Wells, Encyclopédie du Savoir Relatif et Absolu, tome XII.
87.
L’écrivain la fixe, encore sous le choc.
– Je crois que tu vas rater ton excipit, mon cher Gabriel.
Silence.
– Et tu sais pourquoi ? Parce que ton incipit était un défi impossible à relever.
Il n’arrive pas à la quitter des yeux et balbutie :
– Si… si… si j’avais su que c’était vous !
– J’ai tout fait pour que tu n’y penses même pas.
Il l’observe dans les moindres détails et n’en revient pas. Pourtant, c’est bien elle. Il la reconnaît. C’est la petite vieille au bonnet péruvien à pompons roses qui promenait son caniche en laisse le matin de sa mort. L’animal dort d’ailleurs sur ses genoux en ronflant.
Elle a, derrière ses lunettes épaisses, un regard malicieux.
Gabriel se dit que, pour avoir choisi cette apparence, elle doit avoir le sens de l’humour. Lui qui voyait le monde du dessus peuplé d’anges sérieux aux longues ailes… Quel manque d’imagination de sa part !
– Relève-toi, Gabriel. Pour commencer, il faut que tu saches deux choses : je me nomme Métraton et je suis fan de la Terre. Le concept, le lieu, la forme, l’emplacement, la couleur… Cette planète, c’est mon truc.
Elle caresse son chien.
– Moi aussi j’ai une jumelle. C’est elle qui a créé le chemin de la réincarnation. J’ai pour ma part mis en place le système de gestion des âmes qui ne veulent pas encore se réincarner. Le Bas Astral, le Moyen Astral, le Haut Astral, le Purgatoire… Tout ça, c’est moi.
Elle esquisse une révérence.
– Au début, la plupart des âmes voulaient renaître. Seuls les suicidaires et les amoureux voulaient stagner près de leur ancienne enveloppe charnelle. Ils représentaient tout au plus…
– 10 % ?