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– On se croirait sur la Terre, dit-il en mentant un peu, avec cette différence que là-bas, il n'y a pas besoin de descendre au fond d'un trou pour voir ça. C'est partout comme ici.

Il suivit Nira, qui l'entraîna dans une course folle en direction d'une vaste prairie. Ils la traversèrent pour pénétrer dans une forêt.

– Où m'emmènes-tu? demanda Jâ.

– Sur les bords du lac, c'est ce que je préfère.

Ils couraient comme des dieux, allégés par la faiblesse de la pesanteur lunaire. Soudain, Jâ s'arrêta. Nira courut encore quelques foulées et se retourna.

– Que faites-vous?

Jâ désigna un arbre.

– Un cerisier, dit-il. Est-ce que tu ne manges jamais de cerises?

– De cerises? Oh, si, bien sûr. Mais ce n'est pas fait pour manger, ça sert seulement à se distraire la bouche.

– J'aime bien l'expression. En tout cas, j'ai fort envie de me distraire la bouche avec, pour changer de la pâte.

Il pilla littéralement une branche et se gorgea de cerises, sous l'œil étonné de sa compagne.

– Est-ce que vous êtes tous gourmands comme ça, sur la Terre? demanda-t-elle.

– Non, dit Jâ la bouche pleine (les fruits passaient facilement en forçant un peu les mailles élastiques du vêtement). Je ne suis pas particulièrement goinfre, ma petite, mais c'est la seule nourriture vraiment sympathique qu'il m'ait été donné de rencontrer depuis longtemps.

Il emplit sa main gauche de cerises, et poursuivit sa marche aux côtés de Nira, tout en crachotant des noyaux de temps en temps.

Ils s'engagèrent dans une gorge où chantait une petite cascade d'une eau incroyablement claire. De chaque côté, une lisse muraille de basalte montait,jusqu'à la voûte invisible d'où tombait la réconfortante lumière.

Des touffes de buissons à larges feuilles croissaient çà et là, sous l'ombre de fougères arborescentes.

– En fait, dit Nira, la chaleur serait insupportable ici, sans nos maillots. Mais elle est nécessaire à l'exubérance des plantes. Nous arrivons au lac.

La gorge s'élargit et Jâ s'emplit les yeux d'un merveilleux spectacle. Une vaste étendue d'eau limpide s'étalait devant eux au bas d'une pente fleurie. La surface que n'agitait aucune brise était polie comme un miroir et reflétait les vertigineuses falaises vertes et les plages qui l'entouraient.

– Si nous allions nager! dit Nira.

Ils coururent au lac, quittèrent leurs cothurnes et plongèrent côte à côte. Jâ se dit qu'il n'avait jamais si bien plongé de sa vie. La faible pesanteur lui avait permis une chute donnant une délicieuse impression de lenteur: un véritable vol plané. Il brassa largement l'eau et avança très vite, laissant loin derrière lui la jeune femme. Tous ses gestes lui paraissaient faciles, exempts d'efforts, il se sentit un surhomme.

Sa nage le mena sur une petite grève; il s'allongea, plongea amoureusement ses mains dans le sable et attendit Nira. Quand elle arriva, il lui sourit et lui fit signe de s'asseoir à son côté. Après de longs jours de souffrances morales dans des paysages désolés, il se sentait revivre.

CHAPITRE XXII

Dans les jours qui suivirent, Jâ fut informé d'avoir à se présenter au building du Conseil pour remplir les formalités exigées des arrivants.

On lui présenta un questionnaire de cinq pages sur lequel on lui demandait un résumé clair et détaillé à la fois de sa vie terrienne. Jâ remarqua que la trentaine de questions posées ne laissaient rien au hasard. Il cacheta le formulaire, le donna à une femme fonctionnaire et attendit une bonne demi-heure qu'on s'occupât de lui plus avant.

Au bout de ce temps, la femme revint et lui tendit une feuille encore criblée de questions. Cette fois, il s'agissait de dévoiler d'une façon plus poussée ses antécédents professionnels, afin de savoir à quoi on pourrait employer ses compétences. Jâ répondit de son mieux et la femme le débarrassa de la deuxième feuille.

A peine cinq minutes plus tard, une voix se fit entendre.

– Citoyen Jâ Benal (C.S. 177), veuillez prendre le couloir N° 5 et vous présenter à la porte B.

La femme fit signe à Jâ d'obéir. Le jeune homme regarda autour de lui, avisa le couloir indiqué et s'y avança. Il n'eut pas à chercher la porte B. Un homme debout sur le seuil lui faisait signe. Jâ s'approcha.

– Vous êtes Jâ Benal? dit l'homme. Entrez.

L'inconnu le fit installer sur un hamac et lui offrit un verre de Drinil lunaire. Puis il le considéra en silence pendant deux minutes.

– Qu'avez-vous à me dire? dit Jâ agacé.

L'homme sourit.

– Je suis en train de me demander si vous êtes le roi des plaisantins.

– Comment?

– Oui. Vous êtes mathématicien, n'est-ce pas?… (Il consulta la dernière feuille remplie par Jâ.) Cinquante-cinq ans: un très jeune mathématicien! Et vous prétendez avoir résolu le problème de Stero? De qui vous moquez vous?

Jâ sourit.

– Je suppose que vous êtes mathématicien vous-même?

– Naturellement! Je suis là pour aiguiller sur leurs spécialités respectives les savants qui nous arrivent de la Terre. Je dois avouer que j'ai rarement l'occasion d'effectuer ce travail. La plupart des nouveaux arrivants sont des criminels arriérés… Eh bien? Ce problème de Stero?

– Si vous êtes de la partie, cela va simplifier les choses. Vous connaissez les données du problème de Stero? Vous connaissez la fonction Z?

L'homme fit un signe affirmatif.

– Bon! dit Jâ. Sachez donc qu'il y a environ trois ans, j'ai prouvé que la fonction Z existe vraiment. Elle forme un minimum de l'intégrale.

L'homme resta pensif. Il ouvrit enfin la bouche.

– Les meilleurs cerveaux de la Lune butent depuis des années contre cette difficulté, dit-il d'une voix lente. Si vous n'êtes pas un bluffeur, vos travaux vont révolutionner le monde savant. Expliquez un peu votre affaire.

Jâ se mordit la langue. En remplissant trop bien son formulaire, il avait dévoilé aux savants lunaires un secret qui pouvait faire avancer leur science dans des proportions dangereuses pour la Terre.

Il s'empara d'un stylo qui traînait sur le bureau du fonctionnaire et commença à noircir un papier de formules et d'équations.

La tête penchée sur le bureau, les deux hommes travaillèrent longtemps. Et Jâ, jouant serré, s'efforça de convaincre son adversaire tout en faussant héroïquement les calculs par patriotisme.

Au bout de plusieurs heures, le fonctionnaire se leva et dit

– Je n'en peux plus. Vous êtes trop fort pour moi. Je ne suis pas assez compétent pour pouvoir aller jusqu'au bout.

Mais vous aurez à faire la démonstration complète. Elle sera examinée par nos spécialistes. En tout cas, vous m'avez convaincu de vos capacités. Nous vous trouverons un poste élevé. En attendant, vous serez astreint à une formation accélérée pendant un mois.

– Formation accélérée?

– C'est-à-dire qu'on va vous inculquer des notions de ce que tout lunaire doit savoir. Malgré votre intelligence, il y a des tas de choses simples que vous ignorez. Sur la Lune, vous êtes un peu comme un enfant dans un monde nouveau. Même une femme en sait plus que vous sur… la Sélénographie, par exemple, ou sur le droit lunaire. Il est indispensable que vous arriviez à votre majorité. Vous n'y serez pas tant que vous aurez besoin d'un guide.

* * *

Pendant un mois, Jâ redevint écolier. Il lui fallait devenir un vrai Lunaire. Il était nécessaire qu'il n'ait plus à demander «Où est-ce?» quand on parlait devant lui de la chaîne Rok, ou qu'il ignore le nom des cinq grandes villes.

Il apprit que Ptol, la cité où il se trouvait, quoique capitale administrative, était relativement peu importante à côté d'énormes agglomérations comme Fram dans la plaine des Nuées, ou même Dav dont on distinguait pendant la nuit les lumières à l'horizon. On lui enseigna le fonctionnement d'un antigé, ces bizarres boîtes volantes en matière transparente. Il dut se familiariser avec tous les détails courant de sa nouvelle vie.