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Ébloui par les techniques avancées révélées par tout ce qu'il apprenait, il frémit en pensant que la seule supériorité de la civilisation terrienne était peut-être constituée par ses travaux personnels sur la fonction Z.

Il envisageait les multiples perfectionnements que le problème de Stero résolu pouvait apporter au pouvoir scientifique de ses ennemis. Il se tua au travail pour essayer d'établir des calculs vraisemblables, quoique faux, et dont la vérification demanderait des mois aux savants du satellite.

Sa solitude en pays étranger lui pesait. Personne à qui se confier. Tem était bien sympathique, mais Jâ se méfiait de ses réactions possibles s'il lui avouait être un faux banni, un espion au service de la Terre. Quant à Nira, qui lui paraissait pourtant dévouée corps et âme, non vraiment, il ne pouvait lui faire confiance. C'était un être trop faible et son absence totale d'instruction en ferait un poids mort. Il résolut de continuer à poursuivre seul ses efforts.

Que prescrivaient les dernières instructions reçues de la Terrienne Flore, qui l'avait embrassé dans sa prison? Premièrement: chercher par tous les moyens à occuper un poste clé dans le gouvernement lunaire. Deuxièmement: recueillir le plus de renseignements possible sur les moyens prévus pour attaquer la Terre. Troisièmement: essayer de mettre au point un système de sabotage étendu, capable d'anéantir d'un seul coup la puissance offensive par une opération presse-bouton. Quatrièmement: en cas d'échec des instructions trois, rallier la Terre de la façon la plus discrète possible pour rendre compte de toutes ses observations.

En cas d'impossibilité, cinquièmement: étudier les possibilités de rallier à la cause terrienne les natifs de la Lune descendants d'exilés, contre lesquels le gouvernement terrien n'avait aucun grief. Faire envisager au besoin l'éventualité d'une remise de peine aux exilés depuis plus de cinquante ans. Diviser ainsi l'opinion des Lunaires et organiser un coup d'état. Instructions rocambolesques, germées dans des cerveaux enfantins, pensait Jâ. Comment le gouvernement terrien pouvait-il avoir trouvé des idées aussi ridicules, qui assimilaient son rôle d'agent secret à une aventure de magazine en couleurs. Il prenait Jâ pour Superman, sans doute! Les deux premières étapes de sa mission paraissaient ne pas offrir trop de difficultés. Mais le sabotage et le retour individuel dans la mère patrie: ridicule! Il s'imaginait qu'il était aussi aisé de franchir près de quatre cent mille kilomètres de vide sans se faire repérer, que d'aller de Lepolvi à Staleve en rampant dans la jungle!

Seules, les instructions cinq avaient une apparence raisonnable. Mais que d'habileté et de prudence ne faudrait-il pas pour réussir!

Enfin, il lui fallait accomplir son devoir, même s'il le jugeait impossible. Il était trop tard pour reculer. Des miracles l'avaient déjà sauvé. De nouveaux miracles pouvaient lui faire mener à bien sa mission. Déjà, après l'avoir destiné à un haut poste dans un laboratoire nucléaire, le gouvernement lunaire avait changé ses projets et l'affectait d'office à la direction de la cohorte de savants attachés à la «Défense Lunaire», en raison de sa valeur scientifique exceptionnelle.

Jâ était loin de se douter que sa qualité d'espion était connue et qu'on chercherait à tirer de lui le maximum de renseignements pouvant servir aux progrès lunaires, tout en surveillant étroitement son activité. Il ignorait que Tem et Nira étaient chargés de rapporter ses moindres actions ou ses moindres paroles suspectes. Il ne savait pas que le nommé Sli, qui avait pris contact avec lui en tant que futur secrétaire particulier, était également placé à ce poste dans le même dessein.

CHAPITRE XXIII

Quelques mois plus tard, sa situation avait considérablement changé. Transféré dans la ville industrielle de Dav, il y avait la jouissance d'un véritable palais à trois dômes, dont le sous-sol était constitué par un Eden particulier, et quatre antigés à sa disparition. Chaque appareil pouvait le mener en deux minutes à l'usine d'armement où étaient ses laboratoires; ou encore, s'il avait besoin de détente, le conduire aux portes de la cité où il le troquait contre une fusée lui permettant d'aller se promener au-dessus des exaltants paysages lunaires. Mais, sous prétexte qu'il n'était pas assez familiarisé avec ce moyen de locomotion, on lui imposait la présence d'un pilote, malgré ses nombreuses protestations.

En fait, cette brimade lui mit la puce à l'oreille. Il se savait bon conducteur et ses réflexes ne laissaient rien à désirer; pourquoi donc n'imposait-on pas les mêmes obligations à de nouveaux exilés dont l'arrivée sur la Lune était plus récente que la sienne? La réponse qu'on lui avait donnée, que sa valeur scientifique était trop précieuse à l'État pour qu'on risquât de la voir anéantie par un accident, ne le satisfaisait pas entièrement. Il commença à se méfier de tous ceux qui l'entouraient.

Un fait renforça sa méfiance. Un jour qu'il rentrait chez lui plus tôt que d'habitude, il surprit Nira en train de lire…

De lire! Il fit semblant de ne s'être aperçu de rien, mais il n'avait pas oublié la réflexion de Sore, l'habilleuse: «Une camarade m'a dit qu'il y a des femmes qui savent lire parmi les fonctionnaires attachées au Conseil».

Jâ s'étant emparé discrètement du volume de Nira, quelques heures plus tard, vit que la jeune femme ne lisait pas n'importe quoi, mais un traité de parapsychologie qui n'était pas à la portée d'un esprit sans culture. Pourquoi Nira lui avait-elle caché ses connaissances? Il montrait cependant assez de largeur d'esprit pour qu'elle lui confiât s'être instruite malgré la loi imposant l'ignorance des femmes.

Par la suite, il remarqua de petits détails en apparence insignifiants dans la conduite de Nira, mais qui, ajoutés les uns aux autres, renforcèrent considérablement sa méfiance. Chose étrange, il en souffrit. Jusqu'alors, il avait toujours considéré cette femme comme une agréable compagne, sans plus. Il avait su réprimer sa propre faiblesse masculine et n'était contenté de donner à Nira des marques d'amitié et de camaraderie, se gardant bien de prolonger un tête-à-tête quand il risquait de devenir trop intime. Il réservait ses rêves d'amoureux à Flore, son ancienne petite élève terrienne.

Il fallut qu'il soupçonnât Nira pour découvrir à quel point il s'était attaché à elle, à son insu; pour s'apercevoir que son flirt éclair dans la prison de Lepolvi ne lui avait laissé qu'un vague sentiment platonique, un attendrissement passager et puéril de collégien. L'idée que sa compagne lunaire lui avait toujours menti lui donna une sensation de solitude morale insupportable.

Son attitude à l'égard de celle-ci en fut changée. Lui si indulgent, si modéré dans l'expression de son autorité, devint dur et maussade, si bien que Nira redoubla d'attentions et de gentillesse pour l'amadouer. Cette façon d'agir de la jeune femme, loin de réussir, irritait Jâ au plus haut point. Il y voyait une preuve supplémentaire de duplicité.

Un jour, Nira se jeta en pleurant dans ses bras, chose extraordinaire si l'on considère que son attitude avait toujours été empreinte de respectueuse réserve. Sur le moment, Jâ, surpris, la serra contre lui avec passion. Puis, rageur, il dénoua l'étreinte hypocrite et repoussa violemment Nira dont la tête heurta le montant d'un hamac. La jeune femme s'affala mollement sur le sol. Affolé, en proie à des sentiments contraires, Jâ se précipita pour lui porter secours. Il l'étendit sur le hamac et essaya de la ranimer, lui prodiguant des paroles de tendresse. Celle-ci ouvrit les yeux, prit la tête de Jâ dans ses mains et l'approcha de son visage.

– Mon amour, lui dit-elle, je ne peux plus supporter cette vie de cauchemar, il faut que je t'avoue quelque chose.