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Nira pensa: «C'est moi qui lui ai tout avoué».

Elle répondit fermement:

– Dans un mois.

– Comment pouvez-vous être si précise?

– Je suis sûre de moi, Excellence.

L'Excellence sourit.

– Vous être sûre de vos charmes, surtout.

Il continua le regard brillant

– Quand cette histoire sera finie, je te prends comme femme. Ça me changera de toutes les petites imbéciles qui se sont succédées chez moi. Maintenant, file!

Nira devint cramoisie de colère et marcha vers la porte. Mais son attitude parut amuser considérablement l'Excellence.

Sur le point de sortir, elle se retourna.

– Excellence, dit-elle d'un ton un peu sec quoique déférent, j'aimerais, si la chose est possible, pouvoir consulter la fiche de Benal.

– Demandez à mon secrétaire, belle esclave.

La jeune femme tourna rageusement les talons et passa dans le bureau du secrétaire. La voix de l'Excellence retentit dans l'interphone.

– Donnez à Nira Slid connaissance de la fiche secrète de Jâ Benal. Il faut qu'elle le connaisse à fond.

– Bien, Excellence, dit le secrétaire.

Il fit signe à Nira et l'emmena dans une petite salle où se trouvait un écran. Il se pencha sur un micro et ordonna:

– Passez la fiche C.S.177!

Presque aussitôt, l'écran s'éclaira et un texte y défila lentement:

«C.S.177, Jâ Benal, arrivant du 27.3.3692. Rescapé du 13.4.3692: cinquante-cinq ans. Né à Staleve, Afrique. Chargé de cours à la Faculté des Sciences de Staleve à l'âge de quarante-trois ans. Brillant. mathématicien…»

Nira fixait l'écran sans le voir, elle savait par cœur tout ce qu'on croyait lui apprendre. Elle se demandait comment elle pourrait connaître les fiches de Kam et de Terol, demandées par Jâ. A ce moment, le secrétaire parla:

– Excusez-moi, dit-il. J'ai du travail et cette fiche est particulièrement longue. Je vous laisse seule. Si vous avez besoin de relire le texte, commandez-le comme vous m'avez vu faire.

Il s'approcha du micro et dit

– Obéissez aux ordres de la citoyenne Nira Slid.

Il s'en alla.

Nira eut une bouffée de joie. Elle se précipita le cœur battant sur les répertoires et chercha les matricules de Kam et de Terol. Par malheur, les fiches étaient classées par matricules et non par patronymes. Elle feuilleta désespérément le registre pendant que l'écran rabâchait pour la cinquième fois son texte. Enfin la chance lui sourit. Elle trouva le nom du professeur Kam.

Elle s'approcha du micro.

– Assez sur le C.S.177! coupa-t-elle. Passez la fiche A.A.32.

L'écran s'éteignit aussitôt et se ralluma deux minutes après. Les lettres défilèrent.

«A.A.32, Bor Kam, arrivant du 7.2.3570. Rescapé du 23.2.3570. Age: cent cinquante-deux ans. Né à Frise, Amérique du Nord. Médecin cardiologue. Condamné à la peine capitale pour pratique d'euthanasie…»

A cet instant, Nira crut entendre quelqu'un arriver. Elle parla rapidement dans le micro.

– Arrêtez tout! Merci.

L'écran s'éteignit juste comme le secrétaire revenait dans la pièce.

– Que faites-vous donc? demanda-t-il. Il y a une demi heure que vous êtes ici.

– Je me méfie de ma mémoire, dit. Nira. J'ai préféré tout apprendre par cœur.

Le soir même, Nira rendit compte à Jâ du demi-succès de sa mission.

– Je tâcherai d'y retourner pour chercher le matricule de Terol, dit-elle.

Non, dit Jâ, ce serait trop dangereux. Ne t'inquiète pas, Kam suffira pour l'instant.

Il rêva un moment.

– Condamné pour euthanasie! reprit-il, songeur. Il aurait dû être réhabilité depuis longtemps. Il y a bien soixante-dix ans que l'euthanasie est devenue chose courante sur Terre. Ce n'était pas un criminel, mais un précurseur. D'ailleurs, il serait gracié automatiquement, étant donné son temps d'exil. Quelle est la date de sa condamnation, déjà?

– Trois mille cinq cent soixante-dix.

– Cent vingt-deux ans d'exil! articula Jâ d'une voix lente.

– Pourquoi t'intéresses-tu à Kam?

– Je vais m'en faire un allié.

– Tu crois qu'il accepterait?

– Ce vieillard de cent cinquante-deux ans m'a paru tout à fait sage et ennemi de la violence. J'ai l'impression que la propagande officielle n'a pas de prise sur lui. Il l'a vue naître, cette propagande, il n'y croit guère. C'est un des premiers compagnons de l'Ancêtre. Il l'a connu à l'époque héroïque où celui-ci n'était pas encore nimbé de son prestige. De même que nous, il doit le juger comme une forte personnalité certes, mais aveuglé par le ressentiment et, disons le mot: fou à lier.

– Crois-tu?

– J'en suis sûr. A chaque fois qu'il voit toutes les têtes s'incliner quand le nom de l'Ancêtre est prononcé, il fait comme les autres. J'ai surpris plus d'une fois une expression excédée sur son visage à ces moments-là.

– Et Terol?

– Malheureusement, il t'a été impossible de consulter sa fiche. Mais c'est un ami de Kam, et j'ai l'impression qu'il a les mêmes opinions. Nous verrons plus tard si je me trompe…

Il s'interrompit.

– Nira! Pourquoi fais-tu cette tête?

Nira sursauta. Elle devint toute rouge.

– Je ne t'ai pas tout dit, murmura-t-elle. L'Excellence me veut.

Les paupières de Jâ se plissèrent, ses yeux brillèrent comme ceux d'un loup.

– Raconte un peu, dit-il.

– Il m'a dit textuellement: quand cette histoire sera finie, je te prends. Ça me changera de toutes les imbéciles qui se sont succédé chez moi. Maintenant, file! Il m'a aussi appelée esclave.

– C'est tout?

– Oui.

– Il ne t'a pas touchée?

– Non. Qu'allons-nous faire, Jâ?

Jâ serrait les poings.

– Ce gros porc! dit-il. Tâche de le tenir à distance jusqu'à…

Nira secoua doucement les épaules. Elle coupa:

– Tu parles comme un Terrien. Comment veux-tu que je tienne à distance un membre du Conseil? Il est tout puissant.

Jâ marchait de long en large dans la pièce. Il s'arrêta devant un hamac et déchira rageusement la toile de plastique. Nira se jeta sur lui, l'étreignit.

– Voyons, Jâ, dit-elle. Je ne le reverrai pas avant un mois. On peut faire bien des choses en un mois.

Jâ se calma. Il caressa amoureusement les longs cheveux blonds.

– Tu as raison, dit-il. Il faut que je voie Kam le plus tôt possible.

CHAPITRE XXV

Le professeur Kam était la bonté et la sagesse incarnées. Il devait d'ailleurs son exil à sa faiblesse devant la souffrance humaine. Il avait subi sa condamnation sans révolte, s'étant dénoncé lui-même après avoir abrégé l'agonie de malades grièvement brûlés lors d'une explosion accidentelle.

Considérant comme de son devoir d'effectuer un acte illégal, mais qui constituait un cas particulier, il n'avait pas faibli devant un second devoir, livrer un homme ayant forfait à la loi: lui-même.

C'était une très, très vieille histoire. Depuis, il avait été à même de condamner les excès de l'euthanasie lunaire. Celle-ci s'étendait en effet à toutes les bouches inutiles. Et Kam s'était heurté plusieurs fois à la volonté implacable de l'Ancêtre, à ce sujet. Il avait même catégoriquement refusé, en plein Conseil, de sacrifier des vies humaines et ne devait la vie qu'à sa valeur scientifique indispensable. Mais on ne réussit pas à obtenir sa collaboration pour l'œuvre de mort.

Indirectement, cette situation favorisa les progrès de la médecine. Car le vieux Professeur s'acharnant à disputer à l'État tous les malheureux qu'il pouvait sauver, avait été conduit par cette passion à des découvertes sensationnelles, qui avaient prolongé la vie humaine d'une façon considérable.

Il reçut avec plaisir la visite de Jâ Benal. Celui-ci avait décidé de jouer le tout pour le tout et d'entrer dans le vif du sujet. Il serra la main du vieil homme et lui glissa un papier qui demandait: «J'ai à vous parler, êtes-vous sûr que personne ne peut nous entendre?» Etonné, Kam fit entrer Benal dans son bureau.