– Il n'y avait plus de fusées disponibles, coupa Jâ brutalement, laissez-nous passer.
– Ah, c'est comme ça! dit l'officier en colère.
Il fit signe à deux autres gardes.
– Emmenez-les!
Jâ cueillit son adversaire au menton d'un crochet du gauche. Il s'empara du désintégrateur de celui-ci et en menaça les autres.
– Laissez tomber vos armes, ordonna-t-il.
Les gardes obéirent. La foule s'amassait autour d'eux.
– Bravo, dit une voix.
– J'en avais assez de voir ces types-là faire les malins, c'est bien fait, cria une autre voix.
Jâ glissa les deux autres désintégrateurs dans sa ceinture, prit Nira par la main et se fraya un passage dans la cohue.
A cet instant, trois antigés de la police arrivèrent, sirènes hurlantes et barrèrent la rue dans toute sa largeur. Les gardes sautèrent sur le sol et avancèrent vers le sas, ratissant la foule devant eux. L'un d'eux se trouva nez à nez avec Jâ, un éclair brilla dans ses yeux, il braqua son arme. Plus rapide, Jâ tira et sauta par-dessus le cadavre, entraînant Nira dans sa fuite.
Ils se jetèrent dans une rue transversale, entrèrent dans un immeuble et se laissèrent emporter jusqu'au sommet par le puits magnétique.
– On m'a reconnu, on me cherche, dit Jâ. Il faut absolument que nous arrivions au Palais. C'est le seul endroit où l'on ne pensera pas me trouver. Ce vieux truc marche toujours. Il se pencha avec précaution à un hublot. La rue grouillait de gardes qui commençaient à fouiller les maisons. Après les premiers moments de désordre, le gouvernement paraissait avoir repris en main la situation.
Jâ fit signe à Nira de le suivre et pénétra sur une terrasse où étaient rangées cinq antigés. Ils en prirent une et s'éloignèrent vers le centre de la cité. Tout en pilotant d'une main, Benal regarda l'heure et parla dans son émetteur.
«Lunaires, dit-il, l'heure a sonné. Toutefois, nous vous laissons encore une demi-heure de sursis! Eloignez-vous des arsenaux et des villes industrielles. La Terre ne vous veut pas de mal, la Terre vous offre la liberté. La Terre ne vous veut pas de mal, la Terre vous offre la liberté…»
Il jeta un regard au-dessous de lui et un sourire détendit ses traits à la vue de la foule respectueuse et craintive qui regardait vers la Terre.
Ils arrivèrent en plein quartier administratif et se posèrent sur une terrasse proche du palais.
Quittant leurs cothurnes, ils sautèrent par-dessus la rue et s'accrochèrent au toit de la grande bâtisse. Nira, qui connaissait bien la topographie de l'endroit, fit signe à Jâ de la suivre. Ils entrèrent par un hublot et suivirent un ou deux couloirs. Enfin, la jeune femme s'arrêta devant une porte et prononça son nom à haute voix. La porte se dématérialisa. Ils se trouvèrent dans une enfilade de vastes pièces tapissées de rayonnages numérotés. Des bobines métalliques s'étageaient jusqu'au plafond.
– Ce sont les archives, expliqua Nira. Certaines bobines sont des enregistrements sonores. La plupart ne transmettent qu'un texte écrit dont les mots défilent sur un écran. Elle entraîna Jâ dans une salle plus petite que les autres.
– Personne ne viendra nous chercher là, dit-elle. J'ai travaillé aux archives autrefois. En deux ans, je n'ai entendu demander qu'une fois une bobine placée dans cette chambre.
– Quelle section est-ce?
– Je n'en sais rien. On te demande le numéro de la bobine, tu la places dans ce petit puits magnétique et elle monte à l'étage supérieur, c'est tout. Quand on s'en est servi, elle redescend par le même chemin.
– Comment se fait-il que nous n'ayons rencontré personne?
Nira sourit.
– C'est vrai, je suis bête, je m'explique mal. Tout est automatique.
Elle prit le bras de Jâ et désigna quelque chose dans la pièce voisine.
– Tiens, justement! Regarde.
Jâ tourna la tête. Il vit deux bobines sortir de leur alvéole, rouler lentement sur un rail et aller se placer d'elles-mêmes dans le puits magnétique.
– J'ai fait ce travail à la main, pendant une panne qui n'a duré qu'une journée. D'habitude, je travaillais à l'étage supérieur, il suffisait d'appuyer sur le bouton numéroté correspondant pour obtenir la bobine demandée.
Jâ regarda l'heure. Il pâlit légèrement et mit un doigt sur ses lèvres. Il approcha sa bouche du micro qu'il avait au poignet.
«Lunaires, dit-il, la Terre va vous prouver sa puissance. Les arsenaux et les usines vont sauter.»
Il s'empara du déclencheur placé sous son aisselle et en tira la poignée. Nira serra les dents en clignant des yeux, puis elle vit Jâ sourire et jeter le déclencheur dans un coin.
– C'est fait, déclara-t-il. Cette machine ne sert plus à rien. Tu t'attendais à entendre quelque chose
Nira fit oui en avalant sa salive.
– Grosse bête, dit Jâ en l'attirant à lui, tu sais bien qu'il n'y a pas d'usines à Ptol. Mais je peux t'affirmer que Num, Dav et Sacram sont en poussière.
Il reprit son émetteur et dit
«Lunaires, votre gouvernement n'a plus d'armes interplanétaires à sa disposition, ni les moyens d'en fabriquer d'autres avant plusieurs mois. Il est à votre merci. Mais n'oubliez pas que la Terre ne vous veut aucun mal, la Terre vous offre la liberté.»
CHAPITRE XXIX
Pendant ce temps, le plus grand désordre régnait dans la capitale. Les gardes n'étaient pas assez nombreux pour faire face à la foule déchaînée des réfugiés qui avaient réussi à forcer les portes de la cité. Une centaine de policiers se trouva coincée au fond d'une impasse, ils braquaient leurs armes sur l'émeute. Un civil hissé sur les épaules de ses compagnons, leur adressait la parole.
– Soyez raisonnables, disait-il. Vous voulez nous faire quitter Ptol. Où irons-nous? Dav n'existe plus. Là où était cette ville ne se dressent plus maintenant que des ruines. Le dôme a sauté. La vie est devenue impossible là-bas.
Il se tourna vers la foule.
– Citoyens, cria-t-il, il faut forcer le gouvernement à abdiquer. Allons tous au Palais.
Cette proposition fut accueillie avec un enthousiasme délirant. Le remous d'hommes et de femmes qui piétinaient autour de l'orateur se transforma en un courant humain qui déferla vers le quartier administratif. Les gardes, se voyant oubliés, respirèrent un peu. Leur chef parla dans son poste portatif.
Aux abords du Palais, la foule fut stoppée par un barrage de policiers. Elle tourna par une autre voie afin d'atteindre le Palais par une autre rue: nouveau barrage. Le siège du gouvernement était protégé par une ceinture de gardes armés jusqu'aux dents. La multitude fit une molle tentative d'assaut qui fut aisément repoussée. Des cadavres jonchaient les rues.
A ce moment, la voix de la Terre se fit entendre à nouveau.
«Lunaires, disait-elle, votre gouvernement abdiquera de toutes façons. Ne cherchez pas à obtenir sa chute par la violence. Ce n'est pas votre travail. Rentrez chez vous. Que chaque citoyen privilégié offre largement l'hospitalité aux réfugiés. N'ayez crainte. La Terre veille sur vous. La Terre va bientôt envoyer chez vous des troupes qui rétabliront l'ordre. Patientez quelques jours. La Terre ne vous veut pas de mal. La Terre vous offre la liberté.»
Après avoir parlé, Jâ regarda quelques minutes la foule qui se dispersait en hurlant des cris de triomphe. Figés dans leur attitude hostile, les gardes n'avaient pas bougé.
Jâ quitta son hublot et tourna vers Nira un sourire triste.
– S'ils savaient la vérité! dit-il.
– Que veux-tu dire?
– S'ils savaient que tout cela vient d'un seul homme, obligé de se cacher comme un bandit. Un seul homme qui se demande comment faire pour avertir la Terre de ce qui se passe; car la Terre ne sait rien. Quel malheur que tout contact radio soit impossible avec cette planète! La Terre attend que je revienne faire mon rapport. Il faut absolument trouver un moyen d'y retourner. Sais-tu où nous pourrions trouver un astronef?