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– Tu les as tous détruits.

– Je n'ai détruit que les astronefs de combat.

Nira fronça les sourcils.

– Attends, dit-elle, il y a bien l'astro-gare du Palais. Mais elle doit être gardée, surtout en ce moment. Elle contient de petits appareils destinés à porter au plus trois personnes. Ils sont utilisés pour envoyer des espions sur la Terre. Tem m'en a parlé. Il avait été envoyé plusieurs fois en mission.

– Nous n'en demandons pas plus, dit Jâ. J'aime mieux un petit appareil, il sera moins facilement repérable. Il faut que tu me conduises à cette astro-gare.

– C'est bien risqué, Jâ.

– C'est notre seule chance, essayons toujours. Nous n'allons pas rester ici cent sept ans. Mais auparavant, je veux vérifier une dernière fois mon enregistrement.

Ils se dirigèrent vers la petite salle où Jâ avait monté un électronique caché derrière des rayonnages. Il avait eu la chance de découvrir des placards remplis de pièces détachées et de bobines vierges et s'était empressé d'enregistrer un texte qui répétait à voix indiscernable les litanies de paix attribuées à la Terre. Toutes les quatre heures, la voix s'enflait et disait

«Lunaires, patientez quelques jours, la Terre veille sur vous.»

Ainsi, Jâ était tranquille. Il pouvait s'absenter, retourner sur Terre même tout en sachant que sa propagande continuait sans lui.

Il vérifia le bon fonctionnement de l'appareil, le mit en marche et introduisit l'émetteur qu'il avait au poignet dans une logette faite pour lui en face de l'émetteur.

Ils revinrent dans la grande salle. Jâ s'arrêta un instant devant l'innombrable collection de bobines. De temps en temps, l'une d'elles roulait sur un rail, arrivait au puits magnétique et montait à l'étage supérieur. D'autres revenaient prendre leur place en sens inverse.

– Ils continuent à travailler, là-haut, dit Jâ. J'ai l'impression qu'ils seraient bien gênés si je bouleversais tout ça.

Une bobine passa à côté de lui. Il tendit la main pour la prendre. Nira l'en empêcha d'un geste.

– Tu es fou, dit-elle. Si ça ne tourne pas rond, ils vont venir ici pour voir ce qui se passe. Nous aurons du mal à en sortir. Et puis, veux-tu qu'ils trouvent ton électrophone?

– Tu as raison, dit Jâ.

Il laissa rouler la bobine. Celle-ci s'avança lentement vers le puits et monta aussitôt. Jâ la vit disparaître avec un sentiment de malaise. Puis il haussa les épaules, passa un désintégrateur dans sa ceinture, en prit un autre à la main et confia le troisième à Nira.

– Tout va peut-être rater, dit-il. Embrasse-moi, ma chérie.

Ils s'étreignirent avec fougue. Enfin, Jâ se dégagea. Il regarda Nira dans les yeux.

– J'ai eu un moment de cafard, dit-il. J'ai eu tort. Nous allons réussir, Nira. Montre-moi le chemin.

* * *

La bobine épargnée par Jâ arriva à l'étage supérieur. Un homme s'en empara, en vérifia le numéro et la porta dans un autre puits qui l'aspira encore plus haut. Elle parvint entre les mains d'un autre fonctionnaire qui la plaça sur un appareil. La bobine se dévida lentement en silence, envoyant son texte dans les bureaux de l'Excellence.

Le gros homme scrutait l'écran; les mots défilaient

«C.S.177, Jâ Benal, arrivant du 27.3.3692. Rescapé du 13.4.3692. Âge: cinquante-cinq ans. Né à Staleve…»

Une lueur mauvaise dans les yeux, l'Excellence attendait impatiemment la suite. Enfin, il lut le renseignement qu'il cherchait et inscrivit sur un papier: «bio-longueur: 87; type: A2». Il s'approcha du micro et dit: «ça va, merci». L'écran s'éteignit.

Il passa en trombe dans le bureau de son secrétaire, considéra méchamment le hamac vide et bougonna:

– Traître! obligé de tout faire moi-même.

Il s'approcha d'un plan de la ville accroché au mur, consulta son papier et pressa successivement les boutons marqués A2, puis les boutons rouges 8 et 7. Un point lumineux apparut au centre du plan.

L'Excellence eut un sursaut d'étonnement. Puis il se hâta vers un micro et hurla:

– Alerte générale! L'homme que nous cherchons est caché dans le Palais même. Prenez note. Bio-longueur 87, type A2. Répétez!

Il parut s'impatienter.

– Allô, vous m'entendez?

Il frappa le micro du poing.

– Allô, Mox! Eh bien, quoi, mon vieux?

Une voix nasilla

– Excusez-moi, Excellence. Je ne sais plus où donner de la tête, la moitié de mes hommes sont absents.

– Les traîtres! ragea le gros homme… Alerte générale, mon vieux. Jâ Benal est au Palais. Bio-ondes: 87, A2. Trouvez-le en vitesse, et surtout prenez-le vivant; l'Ancêtre le veut vivant. Armez-vous seulement d'immobilisateurs pour éviter tout accident.

CHAPITRE XXX

Jâ et Nira couraient dans un couloir interminable. Enfin, ils arrivèrent à un puits et montèrent une dizaine d'étages. Un garde les arrêta.

– Nira Slid! annonça Nira. Mission spéciale! Les astronefs sont-ils prêts?

– Oui, dit le garde, passez citoyenne.

Il regarda Jâ d'un air vague. Une sonnerie retentit et le garde s'approcha d'un transmetteur.

– Oui, dit-il… D'accord!

Il se tourna brusquement vers Nira et Jâ qui s'éloignaient.

– Halte! cria-t-il.

Les fugitifs stoppèrent.

– Désolés, citoyens, dit le garde en s'approchant d'eux. Il y a alerte générale.

Il considéra Jâ avec suspicion, puis se tourna vers Nira en portant la main à son arme.

– D'ailleurs, vous avez l'air bien pressés tous les deux. Vous ne m'avez même pas montré votre ordre de mission.

Jâ ne s'attarda pas. Il poussa violemment le canon de son désintégrateur dans l'estomac du garde qui tomba à la renverse. L'arme de l'homme partit toute seule et Jâ sentit une brûlure à l'oreille gauche. Il poussa un cri de douleur et marqua un temps d'arrêt. Le garde en profita pour lui faucher les jambes d'un ciseau et tendit la main vers son arme.

– Laissez ça, dit Nira menaçante.

Elle tenait l'homme en joue. Celui-ci pâlit et se mit à vomir sur le sol. Jâ se releva et lui assena un coup de crosse derrière l'oreille; l'homme s'effondra.

Jâ se précipita sur lui, le priva de son casque et de son pectoral et s'en revêtit. Nira lui fit signe et l'entraîna vers la terrasse. Un deuxième garde y faisait les cent pas.

– Mission spéciale, mentit la jeune femme. Mon nom est Nira Slid.

– Votre ordre de mission, citoyenne!

– Elle me l'a montré, dit Jâ avec une assurance pleine de bonhomie.

Le garde était d'un naturel méfiant, il se tourna vers Jâ.

– D'où sors-tu, toi? Je ne te connais pas.

– Je suis dans des gardes depuis seulement une semaine.

L'homme plissa les yeux.

– Je croyais que Slod était de service à l'étage aujourd'hui.

– Il était malade, je l'ai remplacé. Alors, oui ou non, tu l'ouvres, le tube de lancement?

Le garde haussa les épaules et prit une clémettrice dans sa poche. Il s'approcha d'une porte métallique. Jâ marchait à côte de lui. Soudain, l'homme s'immobilisa, il avait remarqué l'oreille de Jâ qui dégoulinait de sang. Il fit un pas en arrière et dit

– Décidément, je voudrais bien voir votre ordre de mission.

Sa main descendait vers sa hanche. Jâ bondit en avant et lui assena un terrible coup de crosse qui manqua son but. Son adversaire s'était éclipsé comme un chat. Emporté par son élan, Jâ le bouscula au passage. Ils tombèrent tous les deux et luttèrent sauvagement. Leur corps à corps les empêchait de se servir de leurs armes. Nira n'osait pas tirer. Le garde était très vigoureux; placé sous Benal, il leva le genou et l'atteignit au ventre. Jâ roula de côté en réprimant un gémissement. L'homme se rua sur lui et le prit à la gorge. Jâ lui frappa le cou du tranchant de la main. Le garde hoqueta. Jâ renouvela son geste. L'étreinte du garde mollit. Violemment rejetée en arrière par un coup de manchette, sa tête heurta le sol. Il resta allongé.