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– Je n'oublierai pas votre dévouement, disait l'Ancêtre. Vous, Excellence, pourrez accéder aux plus hauts honneurs. N'oubliez pas que je ne suis pas éternel et qu'un jour ma place sera vacante.

Quant à vous, jeune homme, l'un des seuls médecins qui ne m'aient pas trahi, vous êtes assez capable pour remplacer le traître Kam. Je vous félicite d'avoir eu l'idée de le spectographier à son insu. Nous savons tout maintenant. Nous savons que cette impressionnante voix de la Terre n'est qu'une comédie due à l'esprit rusé de Jâ Benal. Nous savons que notre victoire dépend de la capture ou mieux de l'anéantissement des trois fugitifs, ce qui ne saurait tarder.

– Excellence, avez-vous des nouvelles des télédésintégrateurs?

– Ancêtre vénéré, dit l'Excellence, nous avons les trois nouveaux types de bio-ondes des fugitifs, nous n'avons plus qu'à régler les télédésintégrateurs sur leurs longueurs respectives. C'est une question d'heures. Les physiciens qui vous sont restés fidèles sont à l'œuvre. Malheureusement, l'équipe des ingénieurs n'est pas au complet et cela retarde leur travail.

– Le passage du grand X par la fusée volée est également une question d'heures. Dites aux physiciens de faire vite et tenez-moi au courant.

«Tâchez également de trouver l'endroit où Jâ Benal a caché son émetteur. Ces phrases stupides attribuées à la Terre sont insupportables et abaissent le moral de la population.»

* * *

En tirant au hasard dans la chambre de pilotage, Jâ avait eu la chance d'atteindre un garde. Celui-ci en tombant s'était rattrapé au tableau de bord et avait appuyé à pleine paume sur le bouton de départ.

La fusée avait bondi vers le ciel à une vitesse folle qui annihila toute conscience chez ses occupants. Jâ reprit le premier ses sens. Il s'assura de la santé de Nira et de Terol. Il allongea confortablement sa compagne évanouie, elle n'était pas en danger. Quant à Terol, il s'effraya de constater que celui-ci avait le visage inondé de sang sous son masque transparent.

Jâ s'empressa de lui retirer son casque et vit que le physicien était mort. Il ne devait plus être tout jeune et son organisme usé n'avait pas résisté au démarrage trop rapide. Jâ, peiné, mit amicalement la main sur l'épaule du mort et lui ferma les yeux.

Il grimpa l'échelle le plus vite possible et entra dans la chambre supérieure. Trois hommes allongés jonchaient le sol. Deux d'entre eux étaient morts. Le troisième respirait faiblement. Jâ s'empara de toutes les armes qu'il trouva et les mit en sûreté dans la soute à bagages. Il y trouva Nira debout et chancelante.

– Repose-toi, mon petit, lui dit-il. Il n'y a plus de danger, nous filons vers la Terre.

– Je… Ça va, Jâ. Je me sens de mieux en mieux. Quelle secousse!

Elle regarda le physicien allongé.

– Jâ, dit-elle, est-il…?

Jâ inclina lentement la tête. Les yeux de la jeune femme s'embuèrent.

– Pauvre Terol!

Jâ prit Nira par les épaules.

– Ma chérie, dit-il, s'il pouvait nous voir et nous parler, je sais ce qu'il dirait: «Jeunes gens, ne vous occupez pas de moi. Ça ne servirait plus à rien. Dépêchez-vous de neutraliser le garde qui est encore vivant à l'étage au-dessus et accomplissez votre mission. Prévenez la Terre le plus vite possible, pour éviter de perdre d'autres vies humaines»

Nira s'essuya les yeux.

– Tu as raison, dit-elle. Il n'en reste qu'un là-haut?

– Oui, et je l'ai désarmé. Malgré notre petite taille, nous sommes les maîtres à bord. Viens m'aider à le tenir en respect.

Ils s'empressèrent de remonter. Le garde s'était assis et tenait à deux mains sa tête douloureuse. Il jeta sur les deux petits êtres qui le tenaient en joue un regard hébété.

– Levez-vous, dit Jâ.

L'autre obéit et se dressa péniblement.

– Vous allez m'aider à nous débarrasser des cadavres. Ouvrez le sas à déchets. Continue à le tenir en joue, Nira.

Les deux morts eurent bientôt disparu dans le vide. Jâ ne voulut pas se séparer de la dépouille de Terol.

– Nous l'inhumerons sur la Terre, dit-il. Il peut rester trois jours avec nous sans nous incommoder. Asseyez-vous aux commandes et n'oubliez pas que je vous surveille étroitement.

Le garde s'exécuta avec humeur.

– Vous croyez vous en tirer, ricana-t-il. L'Ancêtre aura tôt fait de trouver votre type de bio-ondes. Vous serez désintégrés.

– Pas du tout, sourit Jâ. Nous avons passé 1e grand X, les rayons ne nous atteindront plus. D'ailleurs, nos types de bio-ondes ont été changés, il n'aura pas le tempe de capter notre nouveau type, nous serons trop loin.

* * *

– Ils ont passé le grand X? dit l'Ancêtre. Très bien, attendez mes ordres.

Il éteignit l'écran, resta immobile un instant et éclata d'un rire bref. Puis il marcha de long en large dans la pièce, le front plissé par d'amères réflexions.

La partie était perdue. Si le gouvernement terrien était mis au courant de la situation sur la Lune, il s'empresserait d'envoyer une armada de fusée à la conquête du satellite et n'aurait aucune peine à faire la loi chez une nation privée de tout moyen de défense, ou presque.

Il était inutile d'organiser une résistance quelconque. La majorité des Lunaires étaient déjà acquis à la cause terrienne. C'était la fin de plus d'un siècle d'efforts tendus vers un seul but.

Les Terriens n'auraient aucune pitié pour l'Ancêtre. Il aurait d'ailleurs ressenti cette pitié comme une injure. Quelle issue lui restait-il sinon la mort, la mort volontaire? L'Ancêtre passa devant un miroir et se regarda.

– Tu es le grand rebelle! dit-il à son image. Le plus grand homme ayant existé. Tu n'accepteras pas une défaite humiliante. Tu auras une fin digne de toi. Comme ces anciens souverains qui entraînaient dans la mort toute leur famille et tous leurs esclaves à leur suite, tu vas anéantir avec toi l'humanité tout entière.

Il fit encore un petit rire sec. Une étincelle de folie brillait dans ses prunelles. Face au miroir, il leva les bras, dans une pose théâtrale. Puis il avança vers le mur, l'air inspiré, un sourire figé au coin des lèvres. Une porte secrète se dématérialisa; le vieillard descendit les nombreuses marches d'un escalier monumental. Un halo lumineux naissait sous ses pas et mourait derrière lui.

Il parvint à une vaste salle ronde et, très droit, s'avança vers l'estrade de basalte qui trônait au milieu et supportait une espèce de sarcophage.

– Voici mon dernier lit, psalmodia le dément. Voici mon dernier séjour. A l'instant où ma tête s'appuiera sur ce coussin, le couvercle claquera sur mon corps et l'enfermera pour toujours. A l'instant même où le couvercle claquera, la Lune, ma belle Lune éclatera en milliards de corpuscules désintégrés, fuira en poudre étincelante à travers l'espace, enroulera la Terre dans une ronde insensée avec moi au milieu, intact dans mon sarcophage.

«Et pendant des millénaires, je mènerai autour de la Terre une ronde infernale. Autour de la Terre qui va basculer sur son axe, autour de la Terre haïe et morte, éternellement prisonnière de l'anneau lumineux formé des glorieux débris de ce qu'elle avait de plus grand et de plus précieux.»

L'Ancêtre s'approcha à pas lents de l'estrade, en gravit les degrés d'une façon solennelle. Il s'allongea dans le sarcophage, inclina lentement la tête en arrière, la posa sur le coussin d'étoffes précieuses. Le couvercle claqua sur lui.

Une seconde de calme effrayant s'ensuivit, puis la pièce parut basculer, les murs se lézardèrent, un océan de flammes multicolores submergea tout.

CHAPITRE XXXIV

Le garde, pilote malgré lui, avait été lié aux commandes. Jâ et Nira s'étaient installés derrière lui sur le rebord d'un hublot, position facilitée par leur taille réduite.

– Nous ne grandissons plus du tout, s'inquiéta Nira.