Tout allait recommencer avec le soleil, il faudrait prendre le car… il y aurait les doigts des dames, les traites… Martine se leva et traîna son corps endolori jusqu’à la cabane. Se retrouver ici… Elle regardait le lit, le buffet, la table… Le jour avait du mal à pénétrer à travers les vitres sales, mais les rats se tenaient tranquilles. Il faisait plus froid que dehors, humide : d’un geste retrouvé, Martine tira un fagot de derrière la cuisinière… Les allumettes étaient par-là… elle attendait que les fagots prennent bien[319] pour ajouter de petites bûches, puis elle sortit prendre de l’eau au puits. L’eau qu’elle ramena dans un seau était d’un froid propre, transparent. Il devait y avoir dans le buffet de la menthe ou du tilleul… il y en avait toujours eu.
Il y en avait. L’eau bouillait. Du revers de la main, Martine nettoya la table, y posa un bol, sucra sa menthe d’un bonbon… Elle était chez elle… Après tout, elle pouvait attendre Bébert ici. Ici où sa mère a été heureuse avec tant d’hommes, un seul suffira à son malheur à elle. L’amour, quand ce n’était pas celui de Daniel était le plus violent, le plus atroce des poisons. Le crochet de la suspension était toujours là, mais se pendre devenait inutile : Bébert ferait l’affaire[320].
Elle se mit à attendre.
Huit jours plus tard, un camion fou traversait le village, accompagné de cris, de hurlements… Miracle qu’il n’ait tué personne, ni accroché une voiture ! Le camion s’arrêta devant la Gendarmerie Nationale, le conducteur sauta de sa cabine, entra d’un bond dans la pièce où deux gendarmes faisaient une belote[321]…
— Dans la cabane de Marie Vénin… dit-il, il faut y aller…
Ses yeux bleus étaient injectés de sang, la sueur lui collait les cheveux au crâne, les muscles du corps tressaillaient.
— Qu’est-ce qu’il se passe ? demandaient les gendarmes bouclant leurs ceinturons, un accident, un crime ?
— Les rats ! cria l’homme, les rats ont dévoré la fille à Marie… Ils ont dû l’attaquer en masse…
Les gendarmes enfourchaient leurs bicyclettes.
C’est en 1958 qu’est apparue sur le marché la rose parfumée MARTINE DONELLE : elle a le parfum inégalable de la rose ancienne, la forme et la couleur d’une rose moderne.