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M. de Frontenac l'ignorait peut-être, mais il ôta son feutre avec respect et se signa.

– Des reliques ! L'évêque va être enchanté. Il a fait déposer plus de quatre-vingts reliques sous les pierres d'autel de nos églises. Notre cité est une cité sainte.

Le cortège s'organisa avec en tête les musiciens, puis les oriflammes. La châsse entourée des jésuites, récollets, prêtres du séminaire, qui l'isolaient du désordre populaire, suivrait, après les officiels, portée et escortée par les hommes d'équipage.

Angélique refusa la chaise à porteurs tant proposée par Ville d'Avray. Frontenac expliquait quelque chose à propos d'un carrosse d'honneur qui n'avait pu se frayer passage.

N'était-ce pas plus agréable de se rendre doucement à la cathédrale en s'élevant peu à peu dans la lumière dorée de cette belle journée d'arrière-automne ?

Le soleil, encore dans le milieu du ciel, dispensait un peu de tiédeur.

Le long de la côte de la Montagne qui était le chemin principal pour se rendre vers la Haute-Ville, une foule dense donnait à cette rue escarpée l'allure d'un torrent roulant des eaux tumultueuses et sombres.

Mais ces eaux s'écartèrent volontiers et lorsqu'on eut franchi le défilé étroit des dernières maisons dont chaque fenêtre ou lucarne, portait des têtes en grappes, il y eut assez d'espace pour permettre au cortège de s'élargir.

Au départ, l'étroitesse du passage avait posé une question de protocole. Qui de Peyrac ou de M. de Bardagne devait se tenir à la droite du gouverneur ? M. de Frontenac la résolut à la française, c'est-à-dire de façon galante, en faisant placer Angélique à sa droite et en s'avançant seul avec elle en tête.

Ensuite, lorsque le chemin se révéla un peu plus spacieux, à la gauche du gouverneur se trouva M. de Bardagne que personne ne remarquait. On le prit pour un officier d'escorte de Joffrey de Peyrac qui se tenait derrière le gouverneur et dont la haute taille et la magnificence attiraient tous les regards et suscitaient, ainsi que la beauté d'Angélique, des exclamations et des commentaires passionnés.

La rumeur des vivats et des applaudissements précédait et suivait leur passage.

Voici donc qu'Angélique et Joffrey de Peyrac gravissaient cette pente qui allait des quais de Québec à la ville aristocratique et conventuelle édifiée dans les hauteurs, pente aussi escarpée, rude et rocailleuse que le chemin du Paradis, et comme lui découvrant à mesure qu'on s'élevait des perspectives d'une surprenante beauté.

On arrivait au point culminant de ce rude chemin. Angélique fit halte, désireuse d'embrasser du regard le magnifique horizon, dont la beauté les accompagnait dans leur ascension, comme un hymne s'élevant et déployant peu à peu ses plus beaux accents.

Du ressaut de la falaise où ils se trouvaient, le fleuve se découvrait comme une immense baie miroitante que les lointains roses et bleus des montagnes élargissaient sans fin. Le ciel et l'eau semblaient se confondre dans une même tonalité lavée de rose, et, très loin, en bas, l'on apercevait les navires de la petite flotte de Peyrac, rangés en demi-cercle devant la ville, comme des jouets sur un miroir.

L'on se remit en route et à un tournant, ils rencontrèrent un prêtre en surplis blanc, sur sa soutane noire, l'étole violette au cou et qu'escortaient deux gamins à gros sabots, eux aussi en lévites noires et surplis. L'un secouait une clochette à manche de bois, l'autre ployait sous la hampe d'une haute croix d'argent qu'il maintenait de son mieux dressée à deux mains. Un dogue les accompagnait.

L'attitude du prêtre était un peu celle d'un prophète chargé de rappeler à l'humanité pécheresse et négligente que la vie est douleur et que le service de Dieu passe avant toutes choses.

Mais la présence du chien changeait tout. Car si le visage de l'ecclésiastique exprimait des sentiments courroucés, l'attitude de l'animal, assis sur sa queue, la langue pendante et regardant venir la compagnie avec un beau regard paisible était l'image même de cette ville bon enfant et ôtait beaucoup de la solennité que souhaitait donner le prêtre à son discours. Affectant de ne pas remarquer Angélique qui pourtant n'était pas une apparition négligeable, il héla le gouverneur d'un ton impérieux.

– Est-ce une heure pour le Te Deum ? C'était prévu pour vêpres et vous arrivez à none. Ces messieurs du chapitre ont pris racine, on a usé la provision d'encens d'une semaine et Monseigneur est sur le point de retourner chez lui.

– Hé l'abbé ! Croyez-vous que toutes les questions diplomatiques peuvent se régler à la va-vite ? Surtout quand le canon s'en mêle... Et vous-même, que faites-vous ici à vous promener alors que vous devriez être avec les chantres ?

– J'ai été requis pour porter les saintes huiles aux victimes du bombardement.

– Quoi ! Cette canonnade stupide aurait fait des victimes ? Il y a eu des morts ?

– Deux. Mais ils ont pu recevoir les sacrements avant d'expirer.

M. de Frontenac fit halte derechef et repoussa son chapeau, cette fois pour se gratter le front sous sa perruque, avec souci.

– Diable ! Et que disent les familles ? Le voisinage ?

– C'étaient des gredins, déclara sèchement le vicaire. Personne ne s'en soucie. Profitant de l'absence des propriétaires, ils étaient en train de cambrioler la maison de Monsieur de Castel-Morgeat qui a été atteinte...

– Bravo ! cria la voix de Ville d'Avray dans la foule.

Et le gouverneur militaire, furieux, joua des coudes pour essayer de le rejoindre.

– Mais, je vous rappelle humblement, continuait le prêtre à l'adresse de Frontenac, que tout le monde attend sur le parvis de la cathédrale. Je vous en prie, hâtez-vous ! Ce n'est pas tolérable.

D'une bourrade, il intima aux deux petits acolytes de reprendre leur marche en le précédant, ce qu'ils firent, claquant des sabots, l'un hissant la croix le plus haut qu'il pouvait, l'autre faisant carillonner sa clochette. Le grand chien se redressant poussa une sorte de soupir et, dodelinant de l'arrière-train, les suivit avec philosophie.

Tout le monde leur emboîta le pas et l'ascension reprit. Tournant le dos au fleuve, on gagnait maintenant le revers du plateau. La pente se faisait moins rude et le chemin s'ouvrait. Les abords de la Haute-Ville s'annonçaient par des habitations plus vastes et cossues, sises au milieu de beaux jardins, entourés de palissades de pieux de cèdre et certaines avaient la prestance de petits châteaux campagnards, au milieu des prés et des vergers. On avait laissé sur la droite un cimetière, disposé en terrasse, au-dessus du fleuve.

Une puissante odeur de graisse d'ours et de fumée s'imposa comme on parvenait au carrefour des quatre routes et simultanément tous les habitants d'un petit camp de Hurons situé derrière la cathédrale déboulèrent dans un grand concert de cris, femmes, enfants et chiens en tête, poussant des acclamations, des « hous ! hous ! » et dansant en frappant des mains.

On profita de cet intermède et de l'espace de ce carrefour qui formait une sorte d'étoile, pour reformer les rangs selon un autre cérémonial, afin de déboucher sur la Grand-Place de la Haute-Ville avec toute la solennité voulue.

On pria les musiciens de se regrouper derrière la croix de l'abbé. Puis la châsse de sainte Perpétue escortée de soutanes et de bures et des principaux chefs Indiens.

La cathédrale était au fond d'une grande place, bordée de maisons et plantée d'arbres, un peu inclinée comme tous les espaces dégagés de Québec. Le clocher était planté à la croisée du transept et la façade, tournée vers la place, présentait un grand portail et deux belles fenêtres de forme arrondie. Sur le parvis, vaste et très avancé avec tout un déploiement de marches qui rattrapaient la dénivellation, se déployait une imposante assemblée en surplis, chapes ou dalmatiques.

La hauteur des dentelles au bas des surplis variait suivant le grade hiérarchique. Les plus jeunes enfants de chœur portaient la soutane rouge, les plus âgés la soutane noire. Balançant des encensoirs, ou portant de gros chandeliers, la tête droite, ils encadraient l'évêque qui se tenait au sommet des marches devant la porte ouverte de l'église.