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Monseigneur de Laval était un homme de belle prestance d'une cinquantaine d'années. La mitre qui le coiffait ajoutait encore à sa haute stature. Il tenait en main la crosse épiscopale, signe distinctif de son ministère qui le faisait gardien et conducteur des âmes et dont cette houlette précieuse d'argent massif représentait le symbole.

Comme il s'avançait, le soleil fit miroiter les cabochons de pierres précieuses qui ornaient la volute ouvragée de la crosse et briller les émaux de la tige et des deux petits globes entre lesquels se posait la main gantée de violet et garnie de bagues.

Le comte de Peyrac s'avança, fit un profond salut de cour, et ployant à demi le genou baisa l'anneau que Monseigneur de Montmorency-Laval lui tendait.

En le voyant se détacher du cortège, un murmure courut dans l'assistance. Était-ce lui l'homme noir de la vision de Mère Madeleine ?

Or, il n'était pas vêtu de noir, ni même de sombre, et cela entraînait un premier flottement dans les réactions populaires.

Joffrey de Peyrac parlait à l'évêque et l'entretenait sans doute des saintes reliques qu'il lui apportait en présent car on voyait le visage du prélat, jusqu'alors marmoréen et volontairement inexpressif, s'éclairer et ne pouvoir retenir une marque d'intérêt.

Angélique trouvait que l'on tardait à nommer Nicolas de Bardagne. Son malheureux ami de La Rochelle, arrivé après un voyage interminable, bardé de titres et de responsabilités d'une importance extrême, se voyait retirer l'attention qui lui aurait été consacrée en cette occasion, au profit d'étrangers dont il avait, par ailleurs, mission d'examiner le cas.

N'importe quel diplomate, à sa place, aurait été en droit de leur tenir rigueur.

Elle vit avec soulagement que le gouverneur Frontenac, peut-être sur l'initiative discrète d'un de ses officies, paraissait se rappeler la présence de l'envoyé du Roi et l'annonçait avec beaucoup d'emphase. M. de Bardagne s'agenouilla à son tour, baisa l'anneau avec piété, mais comme après qu'il se fut relevé l'évêque s'informait avec civilité de son voyage, M. de Bardagne se déroba aux questions disant qu'il partageait l'impatience de tous de rendre hommage aux saintes reliques. Angélique qui n'entendit que quelques bribes de ce discours lui sut gré de se tirer avec tact d'une situation qui jusqu'ici avait été assez mortifiante pour lui et son rang.

Mais voici qu'il se tournait dans sa direction :

– Cependant, Monseigneur, auparavant et me trouvant en terre française, nation que l'on sait des plus courtoises envers les dames, je voudrais vous présenter moi-même sans attendre Madame de Peyrac dont la beauté et le charme viennent honorer votre cité, ce qui ne peut manquer de réjouir un homme de goût tel qu'on vous en a fait la réputation.

Force fut à Angélique de s'approcher à son tour, de s'agenouiller devant l'évêque et de baiser l'anneau que le prélat tendait avec une certaine raideur. Elle avait bien senti que l'évêque, comme l'abbé précédemment, affectait de ne pas la remarquer, mais l'intervention de M. de Bardagne n'en restait pas moins inattendue. Tout le monde s'accorda à juger que ce n'était pas le rôle de l'envoyé du Roi de présenter la noble visiteuse, qu'il avait outrepassé ses droits et qu'on ne s'expliquait pas pourquoi.

– Certes non, je n'aurais eu garde d'oublier la comtesse de Peyrac, bougonnait Frontenac vexé, de quoi se mêle cet imbécile ? Ça commence bien !

Par la suite, la passion de l'émissaire du Roi s'étant fait rapidement reconnaître des bonnes commères aux aguets, on débrouillait mieux les raisons de ce comportement bizarre. L'envoyé du Roi était subjugué et ne voyait que par elle. On croirait, naturellement, que ce « coup de foudre » ne datait que de Tadoussac, où ils avaient été censés se rencontrer pour la première fois.

Angélique ne s'attarda pas à observer sur le visage de Monseigneur de Laval les traces de la surprise. Elle se releva promptement. M. de Bardagne voulut lui offrir son bras, mais Ville d'Avray encore une fois ne se « laissa pas faire », et la ramena vivement en arrière, près de lui.

La châsse de sainte Perpétue arrivait sur son brancard de satin et de bois des îles, portée par les matelots. Sa vue suscita une rumeur d'admiration, de curiosité et d'émotion mystique. La châsse scintillait et, après qu'elle eut été surélevée à bout de bras afin que tous pussent l'apercevoir, elle fut déposée devant l'évêque.

– Quelle idée mirobolante et incroyable ! chuchota Ville d'Avray à Angélique. Votre époux ne pouvait trouver mieux pour encourager Monseigneur à voir d'un œil favorable des pourparlers entre la Nouvelle-France et les envahisseurs du Sud. Comment ce diable d'homme fait-il toujours pour me damer le pion et me surprendre ? Je suis jaloux !

Angélique partageait l'opinion du marquis que Joffrey ne finirait jamais de l'étonner.

Elle était toujours prise de court par son activité, ses mille idées et projets qu'il tramait et entrecroisait sans cesse. Elle se demandait quand il avait pu se préoccuper de faire venir ces reliques, ces « authentiques », ces manuscrits, d'une valeur inestimable ?

Le fait est qu'ils étaient là.

On attendait sur le parvis.

– Il fait froid, dit Ville d'Avray. Le soleil tourne. N'en déplaise aux martyrs de Tunis, nous ne sommes pas en Orient ici. Couvrez-vous !

Et pour bien montrer, au su et vu de tous, qu'il avait des droits sur elle, il l'aida à ramener sur ses cheveux la capuche de satin ourlée de fourrure, soins qui lui attirèrent un regard noir de Nicolas de Bardagne.

– Que vous êtes ravissante, ma chère ! Personne n'a pu résister à votre image, vous avez vu ? Victoire sur toute la ligne...

Cependant l'évêque remerciait en quelques phrases choisies et qui parurent aux témoins, venant de sa part, chaleureuses.

Ensuite, il invita tout son cher peuple de Québec à entrer dans la maison de Dieu pour y chanter le Te Deum...

– Victoire ! Victoire sur toute la ligne, répétait Ville d'Avray, tandis qu'Angélique à son bras ils gravissaient les marches et s'avançaient vers la grand-porte ouverte à deux battants, d'où s'échappaient par bouffées des roulements d'orgue solennels.

– À propos, reprit-il, je sais qui a fait tirer du canon sur votre flotte... Oui ! On vient de m'en instruire dans la montée... C'est tout à fait inattendu... Vous ne me croirez pas... Je vous le donne en cent, je vous le donne en mille.

– Mais parlez... Vous me faites mourir !

– Eh bien ! c'est MADAME DE CASTEL-MORGEAT !...

Chapitre 12

– Madame de Castel-Morgeat ! répéta Angélique. Une femme ! Tirer du canon ! Mais elle est folle ! Elle aurait pu tuer son propre fils...

– Elle ne le savait pas à bord.

Il pouffa.

– Elle était si furieuse qu'on n'assurât pas la défense de Québec contre vous et que son mari ait cédé à Frontenac, qu'elle a pris sur elle de pénétrer dans la redoute et après avoir terrorisé les malheureux soldats qui s'y trouvaient de garde et subjugué l'officier qui les commandait, elle leur a ordonné de couler votre flotte. On dit qu'elle a placé elle-même la gargousse4 dans la bouche du canon et l'a crevée d'un coup de baïonnette dont elle s'est emparée. C'est parce qu'il craignait d'être éborgné par ses moulinets et qu'elle ne fasse sauter la pièce et tout le monde en y boutant le feu que l'artificier a fait partir le coup... Bien pointé, il faut le reconnaître ! Quelle amazone !

– Quelle folle ! dites plutôt.

L'annonce pour le moins stupéfiante fit manquer à Angélique son entrée dans la cathédrale ainsi que le plaisir qu'elle s'en était promis, car elle était bien décidée à savourer chaque seconde d'une cérémonie aussi émouvante.