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– Ne devrais-je pas, plutôt, arriver simplement mise, passer inaperçue, comme à Tadoussac ? avait-elle demandé.

– Non, répondait Peyrac. Vous devez les séduire, les subjuguer... ne pas les décevoir aussi. Le peuple attend une apparition... Il faut la lui donner. La Dame du Lac d'Argent... Un personnage de légende...

Ainsi donc Angélique ne se dissimulait pas l'importance des premiers moments et de l'impression qu'elle ferait sur cette foule, assemblée pour la voir et au sein de laquelle se disputaient des sentiments contraires.

Ce soir, Joffrey de Peyrac et les siens coucheraient dans les murs de Québec ou bien ils seraient obligés de se retirer, leur petite flotte vaincue et, de plus, piégée par le grand fleuve septentrional que, bientôt, envahiraient les glaces.

Joffrey de Peyrac le sentait également. C'était Angélique qui supporterait le rôle le plus décisif. Et conscient de la charge qui lui incombait, il avait élaboré un plan audacieux, insolite et, pour Angélique, inattendu.

– Vous débarquerez la première, seule et point de mire de tous les regards. Monsieur de Ville d'Avray vous escortera. Je l'en ai prévenu. Il est ravi. Deux chaloupes vous accompagneront avec des hommes en armes : votre garde d'honneur. Ainsi, venant des navires, vous serez seule à leur apparaître et la vue de votre splendeur leur causera de la stupeur. Vous en profiterez pour poser votre pied charmant sur la rive de Québec comme une déesse revenant de Cythère. M. de Frontenac, le gouverneur, ce galant homme qui nous est acquis vous tendra la main et ainsi la foule verra bien que vous n'êtes qu'une femme des plus gracieuses, un être sans danger, l'incarnation même de la féminité et de ses charmes. Vous serez donc reçue pour vous-même et non parce que vous êtes mon épouse et sous la protection de mes armes.

Il avait ajouté :

– ... S'il vous agrée ?...

Mais il n'avait pas besoin d'attendre la réponse. Les yeux brillants d'Angélique lui disaient combien ce plan lui paraissait heureux et convenait mieux à sa nature impétueuse et entreprenante.

– Car nous connaissons les gens de France, n'est-ce pas ? Chez nous, on peut se montrer ombrageux devant les forces armées. En revanche, on ne peut repousser une femme qui s'avance seule...

– Et vous, pendant ce temps-là, que ferez-vous ?

– Moi ! Pendant ce temps-là... j'encerclerai la ville.

Chapitre 2

La robe était très belle. Angélique, malgré les soucis ne pouvait que se féliciter de son image dans le miroir. Dans cette toilette venue de Paris elle avait remarqué certains détails nouveaux. Ainsi, l'on ne portait plus, semblait-il, ou l'on portait moins, de manteau-de-robe, retroussé en « paniers » sur une ou deux autres jupes, mais ce manteau maintenant retombait tout à fait, de la même couleur que la jupe sur laquelle il s'entrouvrait.

On donnait toute la magnificence au tissu dont les nuances irisées étaient dignes d'enchanter l'œil le plus raffiné. Le corselet aux courtes basques également rebrodées de roses et le plastron raidi par le buse étaient du même ton moiré. Il y avait un nœud de satin et une sorte de col de dentelle un peu raide qui suivait la ligne du décolleté et remontait par-derrière sur la nuque, encadrant le cou dont la blancheur se dégageait avec grâce de cet écrin précieux.

Angélique dans cette vêture de rêve avait l'air irréelle. Sa peau ambrée qu'elle avait poudrée captait la lumière. On aurait dit qu'elle était éclairée par l'intérieur. Elle avait apporté un soin particulier au maquillage de ses yeux, avait tracé la ligne exacte des sourcils. Un peu de rose – jus d'orcanette mêlé d'un ocre pâle – soulignait d'une onde imperceptible le méplat des pommettes. Elle avait passé plus d'une heure, dès l'aube, à ces entreprises, et malgré le froid vif qui régnait dans la cabine, elle avait eu très chaud à force de s'appliquer. Sa vie d'aventurière lui avait fait perdre quelques tours de main qui étaient, pour elle, routine, lorsque, à Versailles, elle devait se farder avant de paraître sous les lumières de la Cour.

Elle en était venue à bout et il fallait croire que le résultat était réussi, d'après le regard que Joffrey de Peyrac posait sur elle. Les yeux sombres du comte brillaient de satisfaction mais il y avait aussi un peu d'attendrissement dans son demi-sourire.

C'était encore une nouvelle Angélique qu'il découvrait, celle qui avait été une grande dame de Versailles, désirée par le Roi. Mais il n'en prenait pas ombrage, car depuis qu'il l'avait retrouvée il avait appris à la connaître et à aimer tous les aspects de son caractère. Elle le surprenait souvent, l'inquiétait parfois, mais le ravissait plus encore, par sa nature changeante et pourtant logique avec elle-même.

Il avança la main et posa ses doigts à la naissance du cou, l'effleurant d'une caresse.

– Des diamants s'imposent sur ce décolleté admirable.

Puis il reprit :

– Non, des perles ! Elles sont plus douces.

Il se tourna vers le coffret que lui présentait le serviteur noir Kouassi-Bâ. Il choisit un collier de trois rangs de perles.

Dans la psyché le couple qu'ils formaient leur ramenait en mémoire le souvenir d'une scène semblable qu'ils avaient vécue l'un et l'autre jadis, dans leur palais de Toulouse, il y avait bien des années de cela.

Ils surent qu'ils évoquaient la même image : Toulouse.

– Vous ne m'aimiez pas alors, dit Peyrac. Que cela semble loin ! Vous m'avez fait souffrir mille morts. Mais, mordious, je vous aurais attendue jusqu'à la fin des temps. Je ne voulais vous tenir que de vous-même et non de mes droits d'époux, ma petite merveille ! Il en est toujours ainsi.

Ils regardèrent vers la ville avec le pressentiment que ce retour dans le cadre de la France allait leur offrir l'occasion de recommencer tout ce qui avait été détruit, saccagé. Enfin ils ne seraient plus des errants sur la mer ou au fond des bois. Ils se retrouveraient parmi leurs pairs, jouant leurs jeux, ou tenant leurs rôles au cœur d'une société calquée sur l'Ancien Monde.

Les mains la tenant aux épaules il s'informa tout bas.

– Avez-vous peur ?

– Un peu.

Et comme elle avait eu un léger frisson, il dit :

– Vous avez froid. On va faire chercher votre manteau.

Delphine, la jeune chambrière, appela Henriette et Yolande et requit même l'aide du tailleur et de Kouassi-Bâ, car ce manteau n'était pas une mince affaire à porter. Il était fait de fourrure blanche, doublé de laine fine et de satin blanc avec un capuchon ample et brodé d'or et d'argent au revers. Il fallait veiller à ne pas le laisser traîner à terre, les planchers d'un navire n'étant pas toujours ce que l'on pouvait trouver de plus net. Ils sortirent en cortège pour aller le chercher dans un cabinet voisin, où il était entreposé, étalé sur des coffres, depuis la veille.

Joffrey de Peyrac regardait Angélique dans le miroir.

– Que pouvez-vous craindre, mon amour ? De ne pas réussir, c'est-à-dire de ne pas émouvoir. Ignorez-vous à quel point vous fascinez ceux qui vous rencontrent ? Êtes-vous tellement ignorante de ce pouvoir de séduction qui émane de vous ? Qui a pu détruire cette confiance invincible qui devrait être la vôtre ?

« Cependant, même si vous doutez, sachez-le, ce charme n'en demeure pas moins d'une puissance extrême. Et plus redoutable que jamais... Plus irrésistible que jadis... Il me plairait d'analyser dans mes cornues les éléments qui le composent. On y trouverait les mille secrets d'une alchimie qui n'est pas loin de confiner à la magie. Oh ! Ma très chère et ma très belle, vous qui êtes si habile à me torturer, au moins que ce qui vous assure un tel empire sur ceux qui vous entourent vous confirme dans la certitude de votre victoire...