Выбрать главу

« Monsieur de Peyrac, nous avons ordre de vous arrêter. Au nom du Roi ! »

Tout recommençait...

Et lorsqu'elle entendit un bruit, en bas, dans la maison devenue sombre comme un four, elle ne douta pas que ce fût comme autrefois, le tragique Kouassi-Bâ, à nouveau l'appelant et gémissant : « Médème ! Medeme !... Ils ont pris mon grand sabre ! »

D'un élan elle s'arracha à son inertie. Dans un grand jaillissement d'eau elle se ruait hors de la baignoiree. Elle attrapait un drap et s'en entortillait.

Le gosier bloqué sur des cris qu'elle retenait à grand-peine, prête à laisser éclater son désespoir elle se précipitait sur le palier.

Un homme était là, au pied de l'escalier.

Un homme vêtu de noir.

Chapitre 15

Joffrey de Peyrac se tenait là, au pied des marches.

Il était tout habille de noir.

La tête levée, il regardait Angélique.

Il portait une casaque courte, à manches larges et dont le col de fourrure d'ours, dressé et se confondant avec sa chevelure, lui faisait comme une auréole hérissée où le reflet du feu dans l'âtre accrochait des petites étincelles rousses.

Angélique, penchée sur la rampe, haletante, figée, le considéra comme un revenant.

Et Joffrey de Peyrac, charmé de son apparition mais surpris de son expression tragique, haussait les sourcils d'un air interrogateur

Elle était demi-nue, ruisselante, les cheveux en désordre, charmante...

Dans le visage tendu vers elle, Angélique vit fleurir l'éclat blanc du merveilleux sourire. Elle ne parvenait pas à y croire.

Elle dit à mi-voix :

– Alors ? Vous avez pu leur échapper ?

– Leur échapper ?

– Qu'est-il arrivé ? Je vous attendais... Je me suis endormie et...

– Et... vous n'avez pas encore tout à fait retrouvé vos esprits, mon cœur ! semble-t-il... Je vous avais informée de ce chapitre du Grand Conseil au château Saint-Louis... Et, en effet, j'ai pu leur échapper... Enfin... Il me tardait de venir vous rejoindre dans vos appartements... Mais nous nous sommes quittés dans les meilleurs termes...

Un soupir s'échappa des lèvres d'Angélique. Elle vola de marche en marche et se jeta dans ses bras, l'étreignant et répétant :

– Que c'est bête ! Dieu, que c'est bête !

Elle enfouissait son visage dans les plis de son vêtement et y frottait sa joue. Elle crispait ses doigts sur ses épaules.

– Est-ce que nous recommencerions à être menés par des esprits malins ? s'enquit-il, d'un ton moqueur. Quel événement aurait le pouvoir de transformer l'éclatante reine de Québec en une nymphe apeurée ?

– J'ai cru qu'ils vous retenaient prisonnier !

– Enfantillages ! N'avez-vous donc pas compris, aujourd'hui, que ce ne serait pas chose si facile ? Mes défenses sont bien en place et mes amitiés assurées. De plus, le vent de la popularité a tourné en notre faveur. Vous devriez en être convaincue.

– Ce pourrait être une ruse.

– Non ! Nos Français du Canada sont bien trop francs et bien trop bons vivants pour cela.

– Vous m'avez fait très peur, dit-elle. Et surtout quand je vous ai aperçu du haut de l'escalier tout en noir.

– J'ai voulu me rendre à cette réunion nocturne ainsi.

– Pourquoi ?

– L'homme noir, dit-il. Vous vous souvenez, l'homme noir qui se tient derrière la femme démoniaque, dans la vision de la Mère Madeleine. Je savais qu'on m'y avait identifié volontiers. Après avoir installé mes gens au manoir, j'ai changé de tenue et me suis rendu au Conseil ainsi, escorté de mes Espagnols.

Angélique était suffoquée.

– Joffrey, ce n'est pas raisonnable, fit-elle avec agitation. Nous sommes dans un guêpier où tout malentendu peut déchaîner contre nous le pis, et vous vous amusez à provoquer les esprits en rappelant une prédiction que certains ont peut-être oubliée, mais qui continue à en inquiéter beaucoup d'autres.

– Raison de plus pour éclairer, sans attendre, ma lanterne à ce sujet. J'étais curieux d'observer les réactions de ces messieurs à ma vue et je me suis autorisé à le faire car l'évêque ce soir n'était pas présent. On m'a accusé d'être l'homme noir, comme on vous a prêté l'identité de la Démone. D'un tour de magie, je leur soumets le personnage pour en détruire le mythe à leurs yeux et je constate, d'autre part, que vous ne craignez pas vous-même d'apparaître comme « la femme nue sortant des eaux ».

– Je ne me suis pas rendue au Grand Conseil sous cette apparence...

– Dieu soit loué ! Angélique, mon amour, vous prenez la vie beaucoup trop au sérieux et vous recommencez à être une adorable petite chanoinesse, comme l'an dernier, lorsque je vous ai enlevée aux farouches protestants de La Rochelle. Mais, croyez-moi, après ce que vous m'avez révélé de vos talents, ce rôle ne vous sied plus du tout.

Il la serrait contre lui, l'embrassait à petits coups et, après la frayeur qu'elle avait éprouvée, sa désinvolture était ce qui pouvait y avoir de plus efficace pour dissiper ses appréhensions.

Elle releva la tête pour le regarder et bien se convaincre de sa présence.

Elle poussa un cri.

Par-dessus son épaule, elle voyait au fond de la salle surgir d'un cercueil un crâne, suivi de deux yeux pétillants comme des lucioles, puis d'une bouche fendue par un rictus hilare.

Peyrac s'était retourné.

– Bonsoir, Monsieur Macollet, grand pardon d'avoir troublé votre sommeil.

– Pas de mal ! émit la voix grinçante du vieux coureur des bois. De quoi me plaindrais-je ? Le spectacle est plaisant.

Il l'était, en effet.

Le comte de Peyrac botté et engoncé dans ses lourds vêtements fourrés, tenant Angélique en naïade dans ses bras. Du fond de l'espèce de caisse où il se trouvait, le vieil Éloi ramena son bonnet rouge et se l'enfonça sur sa tête scalpée. Puis il bâilla largement et bredouilla quelque chose à propos d'un ours qu'il avait tué sur la ferme du Roi et pour lequel M. Le Bachoys, agent général de la Compagnie, lui cherchait des noises, et c'est pourquoi il s'était réfugié chez eux, parce qu'à Québec avec l'administration on ne pouvait jamais savoir ce qui pouvait arriver à un pauvre voyageur des Pays-Hauts.

– Alors j'ai pensé qu'ici, chez vous, je serais à l'abri... comme à Wapassou.

– Vous avez bien pensé.

– Mais dans quoi dormez-vous donc ? s'exclama Angélique, qui s'évertuait à rattraper les pans de son drap de bain qui glissait et échappait.

– J'ai ouvert le banc-lit, le banc du mendiant, comme on dit chez nous. Il y a de la paille au fond et une couverte... Si cela ne vous dérange pas, Madame.

Et il replongea dans les profondeurs de son long coffre afin de reprendre son somme.

Dans les caves, on entendit une chèvre bêler.

Plus de doute. On était au Canada.

Le comte de Peyrac passa son bras autour d'Angélique et ils montèrent lentement l'étroit escalier.

Sur le palier de l'étage, ils firent halte. Sur la droite s'ouvrait la chambre où se trouvait le vaste lit annoncé par Ville d'Avray et qui, en effet, avec ses degrés de bois marqueté, ses courtines d'épais damas doublé de satin, un ciel de lit plus vaste et garni de franges qu'un dais royal, occupait quasiment toute la place d'un mur à l'autre.

– Notre marquis est un hôte incomparable, dit Angélique.

Mais ils s'attardaient devant la haute fenêtre qui s'ouvrait au centre du palier. Les murs épais permettaient d'y ménager un recoin avec deux banquettes en vis-à-vis, de chaque côté de la fenêtre.

Attirés par la clarté qui luisait derrière les petits carreaux, ils vinrent s'asseoir côte à côte et Joffrey de Peyrac entrouvrit sa chaude casaque afin d'en entourer les épaules d'Angélique et de la serrer plus étroitement contre lui.