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Cette tirade où passait dans la voix chaude et un peu voilée du comte le souffle inspiré de l'amour courtois des troubadours du Languedoc dont il avait été l'un des plus renommés, cette tirade énoncée sur le ton de la tendresse et de la gaieté mais où l'on sentait vibrer une si totale passion, arracha un sourire à Angélique. Derechef, elle se tournait vers le miroir. Et le reflet lui apportait l'image. Don de séduction dont elle avait joué avec tant d'hommes, qu'elle avait maudit parfois, béni à d'autres heures, mais qu'elle ne pouvait regretter de sentir toujours en elle.

Joffrey avait raison de le lui rappeler. Le jour était venu de retrouver cette Angélique qui, au cours de l'année, s'était relevée de ses défaites.

Elle irait à cette foule avec toute la confiance dont elle était capable et elle ne la décevrait pas. Si on la trouvait belle et heureuse, ainsi se calmeraient les peurs, et momentanément s'engourdiraient les haines.

Elle toucha un de ses pendants d'oreilles pour voir jouer le reflet du diamant sur sa joue. Tout cela était très beau. Ses doigts rangèrent encore quelques mèches de cheveux ici et là. C'était le geste ultime qu'ont toutes les femmes à l'instant de se livrer aux regards du monde. Rite magique. Signes d'exorcisme afin de se recréer, s'incarner et surgir à ses propres yeux telle qu'on s'aime, telle qu'on se plaît, telle qu'on existe.

Alors la réussite est certaine et l'on sourit dans le miroir.

Leurs gens revenaient avec le manteau blanc, le portant aux quatre coins comme un étendard. Le comte de Peyrac s'en empara et le drapa lui-même sur les épaules d'Angélique en arrangeant les plis, disposant la moelleuse capuche autour de ses cheveux brillants. On aurait dit qu'il la revêtait pour un adoubement de chevalerie. Comme si ce manteau ainsi qu'une armure pouvait lui donner protection, mais aussi la désignait pour le combat.

C'était l'armure de sa séduction féminine qui aujourd'hui lui livrerait Québec.

Delphine s'approcha et proposa un peigne, une épingle.

– Madame, vous suivrai-je ? interrogea la jeune fille. J'ai là le coffret avec vos accessoires.

– Non, c'est inutile, je ne veux pas vous exposer. Il y aura peut-être du danger.

Joffrey de Peyrac intervint.

– Damoiselle, votre souci me paraît louable. Mais je ne veux point aujourd'hui pour vous et vos compagnes de position... en première ligne. Vous allez rejoindre le Rochelais où se trouvent également les enfants avec Yolande. On vous donnera là-bas les instructions afin que vous puissiez toutes débarquer au bon moment et prendre part à la fête.

Docilement, les jeunes filles déposèrent les objets et colifichets dont elles étaient chargées et, après une petite révérence, se retirèrent sous l'égide d'un des hommes du Gouldsboro qui avaient été plus spécialement chargés de leur protection au cours de l'opération de débarquement envisagée.

Angélique entendit le comte intimer à Kouassi-Bâ :

– Fais venir ici Monsieur de Castel-Morgeat...

Elle sursauta.

M. de Castel-Morgeat, colonel, gouverneur militaire de la Nouvelle-France, et qui, bien que gascon, était réputé comme un de leurs plus féroces adversaires, se trouvait-il à bord ? Que signifiait ?

Elle comprit en voyant surgir sur le seuil, en lieu et place de l'irascible colonel-gouverneur que l'on disait fort peu maniable, moustachu, noir de poil et d'humeur, son fils, le jeune Anne-François, lui, par contre, telle une apparition charmante. Le sang gascon ne coulait encore dans ses veines que pour y apporter la gaieté languedocienne, le goût de l'amour courtois et des poésies, la joie de vivre. Fin et long, il avait de sa race les yeux noirs, le teint de pruneau mûri par le soleil et l'aventure, le sourire éclatant. Il ressemblait à Florimond comme un frère, et rien d'étonnant qu'ils se fussent entendus au mieux lorsque le hasard les avait fait se rencontrer du côté des Mers Douces, ainsi qu'on appelait les Grands Lacs.

Avec ses cheveux retenus par un bandeau à l'indienne brodé de perles, sa vêture de peaux de chamois, mais accompagnée d'un jabot de dentelle noué à la diable qui suffisait à lui donner un air d'élégance, il était tout à fait à l'image de ces jeunes gens, fous de liberté, que la colonie produisait comme fruits nouveaux, d'une espèce pas tout à fait connue, quoique rappelant la saveur du Vieux Monde et des castes ou des provinces dont ils étaient issus.

Il salua avec une grâce de jeune seigneur et renouvela son salut plus profondément devant Angélique. Les yeux ardents ne cachaient pas l'admiration que sa vue lui inspirait. Il demeurait ébahi et eut de la peine à se tourner vers Peyrac devant lequel il se tint courtoisement, attendant que celui-ci l'informât des raisons de sa convocation. Le comte l'examinait avec sympathie et indulgence.

Quand on les regardait ainsi face à face, le jouvenceau et le gentilhomme d'aventure aux tempes grisonnantes, à la face couturée, il était étonnant et presque émouvant de sentir combien l'Aquitaine avait forgé des fils aux racines semblables.

– Beau sire, lui dit Peyrac, on m'a laissé entendre que vous aviez servi comme page à la cour de France pendant quelques années...

– Cela est vrai. J'ai été au service de Madame de Valenciennes, une amie de ma mère, je lui portais la traîne. Et ensuite, lorsque mes parents sont partis pour la Nouvelle-France, je suis entré au service de Madame de Tounnay-Charente à la Cour de Monsieur. Mais quand il y a trois ans Monsieur de Ville d'Avray vint à Saint-Cloud m'apportant des nouvelles des miens, il vit combien je m'ennuyais de ma mère et il obtint de m'emmener avec lui à son retour à Québec. Je ne le regrette pas, ajouta le jeune homme avec fougue. La vie est plus plaisante à courir les bois qu'à porter l'aiguière et le linge, passer la bonbonnière, éventer les dames, serait-ce une princesse.

– Ah bien ! Voici pourtant le moment de vous rappeler vos apprentissages. Madame de Peyrac a besoin d'un page pour l'accompagner en cette journée, lui porter son nécessaire à parures et l'assister autant que faire se peut au cours de la cérémonie qui exige de sa part beaucoup d'apparat et qui ne sera pas exempte pour elle de fatigues. J'ajoute que je vous ai choisi pour votre réputation de courage, d'habileté et d'amabilité. Vous connaissez le peuple de Québec. Vous saurez, s'il le faut, vous en faire reconnaître, et apporter ainsi toute votre aide à celle que vous escortez. Vous sentez-vous apte à remplir cette mission auprès de la comtesse de Peyrac ?

L'expression et l'attitude d'Anne-François de Castel-Morgeat disaient combien il en était ravi. C'était une chance inespérée pour lui que ce rôle à tenir près d'Angélique pour laquelle il nourrissait une admiration de plus en plus ardente depuis qu'il avait abordé à Tadoussac, venant du Grand Nord.

Sans particulièrement se soucier de sa tenue de coureur des bois, Anne-François s'informa du cortège, puis, avec beaucoup de diligence, alla examiner le coffret qui était d'écaille serti d'or et dont le couvercle relevé présentait un miroir où jeter à l'occasion un regard rapide et discret. Il s'informa de son contenu, vérifia la présence des peignes et brosses, des boîtes de fards. Y avait-il assez d'épingles ? Un flacon de senteur en cas d'évanouissement ? Des pastilles à la girofle à croquer pour dissiper la nausée ? Des mouchoirs de dentelles parfumées pour s'éventer, toujours en cas de malaise ? Les dames qu'il avait servies jadis devaient être des femmes particulièrement sujettes aux vapeurs. Il avait été dressé et tout son savoir lui revenait sans coup férir, car la vie est dure pour les petits pages dans les cours princières. Avec ses beaux yeux, sa grâce, sa défroque d'Indien et le sérieux dont il se revêtait tout à coup, il était plein de séduction. Il dit qu'il allait se renseigner sur Neals et Timothy qui devaient tenir le bord du manteau et que si M. et Mme de Peyrac n'avaient plus besoin de lui, il les attendrait sur le pont. Il sortit, emportant le nécessaire d'écaille.