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Angélique aurait écouté Marguerite Bourgeoys pendant des heures. Comme à Tadoussac, elle s'apercevait que, lorsqu'elle était en sa compagnie, le temps filait comme le vent. La paix de l'âme de Marguerite était communicative. Elle avait beau faire le récit des « pires ennuis », elle gardait l'âme légère.

– Vous passerez avant nous chez l'évêque, déclara-t-elle tout à coup à Angélique. Certes, il est important que vous voyiez l'évêque, mais vous ne pouvez perdre trop de temps. Vos activités mondaines sont attachantes et vous avez beaucoup à faire. Nous autres, nous pouvons attendre.

Angélique se souvint qu'elle avait en effet rendez-vous avec Joffrey au château Saint-Louis pour y rencontrer le gouverneur, vers l'heure de midi. Elle remercia chaleureusement.

De nouveau, la porte du cabinet de l'évêque s'ouvrit, et, cette fois, ce fut le marquis de Ville d'Avray qui en surgit tel le diable d'une boîte. À demi tourné, il s'adressait au prélat, dont la haute stature, en camail violet, se profilait derrière lui.

– ... Ainsi, Monseigneur, vous voyez que vous n'avez nulle crainte à éprouver quant à la fidélité de nos catéchumènes d'Acadie. À preuve cette moisson de scalps d'Anglais hérétiques que j'ai apportée à Monsieur le Gouverneur et qui traduit l'attachement que ces pauvres sauvages gardent à Dieu et à l’Église que nous leur avons appris à connaître, attachement qu'ils manifestent selon leurs moyens et à leur manière, en allant semer la guerre chez nos ennemis de Nouvelle-Angleterre...

Il mit prestement un genou à terre pour baiser l'anneau de l'évêque, et s'éloigna traversant le parloir d'un talon assuré sans apercevoir Angélique.

Celle-ci se jeta sur ses pas et le héla du haut de l'escalier qu'il avait déjà descendu de moitié.

– Monsieur de Ville d'Avray !...

Il se retourna et, en l'apercevant, son visage s'illumina.

– Oh ! Très chère !...

Elle ne le laissa pas poursuivre son élan.

– Que racontiez-vous à l'évêque ? Des scalps d'Anglais ? Prendriez-vous à votre compte le coffre que le baron de Saint-Castine a fait envoyer à Québec afin de témoigner de son zèle auprès des autorités...

– Pourquoi pas ? dit-il, avec un sourire enjôleur.

– Que nenni ! Je ne vous laisserai pas accréditer ce bruit. Bien que cette marchandise me répugne, je me chargerai d'en faire connaître la provenance. Il ne manquerait plus que vous vous en adjugiez tout l'avantage alors que notre pauvre Saint-Castine va se faire blâmer, et peut-être déplacer, pour n'avoir pas soutenu la campagne guerrière du Père d'Orgeval10.

Voyant qu'elle ne plaisantait pas, le marquis se rebiffa.

– Toutes les têtes d'Acadie m'appartiennent, assura-t-il avec superbe.

– C'est ce que nous verrons. Je vais avertir les soutiers du Gouldsboro de vous refuser ce coffre si vous le demandez.

– Je l'ai déjà...

Après un échange de paroles assez vives, Ville d'Avray s'en alla fâché.

Retournant au parloir, Angélique s'aperçut que cette altercation lui avait fait perdre le tour généreusement cédé par Mlle Bourgeoys. Celle-ci et ses filles avaient été introduites près de l'évêque.

L'angélus annonçait midi. Les autres personnes attendant se dressèrent pour réciter en commun la prière de la salutation à la Vierge

L'Ange a annoncé à Marie

Et elle a conçu par

L'opération du Saint-Esprit...

Un clerc vint avertir Mme de Peyrac des regrets de Monseigneur de Laval, qui devait, après l'audience en cours, aller prendre une légère collation. Il attendrait Mme de Peyrac dès le début de l'après-midi.

Angélique se précipita dehors. Elle ne voulait pour rien au monde manquer son rendez-vous avec Jorfrey chez le gouverneur.

Sur la place elle hésita. Chaise à porteurs ? Carrosse ? Qu'est-ce qui valait le mieux ?

Prendre ses jambes à son cou. Lorsqu'on était pressé à Québec, cela réclamait moins de temps que de racoler valets et cochers.

Elle atteignit promptement le château Saint-Louis et, dès le vestibule, elle aperçut Joffrey en grande conversation avec une charmante brunette aux yeux noirs, Bérengère-Aimée de La Vaudière, l'épouse du procureur Noël Tardieu.

Celle-ci s'était fait remarquer le jour de son arrivée par sa grâce aimable. Sa famille, de haut lignage, était originaire de Tarbes. Les dames et gentilshommes s'apprêtaient à partager le repas du gouverneur. En l'attendant les conversations avaient pour sujet le ravissement dans lequel avaient été plongées ces dames qui la veille avaient reçu des mains du plénipotentiaire de M. de Peyrac qui un bijou, qui un objet de piété, une miniature ou un colifichet.

Bérengère de La Vaudière en avait les larmes aux yeux, ce qui les rendait plus brillants encore et plus noirs.

Toutes, dans l'ensemble, levaient sur Joffrey un regard extasié. Il se défendait, en souriant, de n'avoir eu que le geste naturel de remercier tant de charmantes personnes de leur aimable accueil.

Angélique qui arrivait les joues roses de la course répondit distraitement aux salutations et se jeta vers Joffrey. Il lui semblait qu'il y avait trop longtemps qu'elle ne l'avait vu.

– Mais, que devenez-vous ? lui demanda-t-elle, tourmentée de l'envie irrésistible de l'embrasser et de le serrer sur son cœur.

– Et vous-même, Madame ?

– J'ai rendu visite à l'évêque.

– Comment l'entrevue s'est-elle déroulée ?

Angélique reconnut qu'elle avait passé une matinée passionnante avec Marguerite Bourgeoys, mais qu'elle n'avait pas encore vu l'évêque.

M. de Frontenac arrivant baisa les deux mains d'Angélique, l'une après l'autre, et la fit asseoir à sa droite. Mme de Castel-Morgeat était à sa gauche. Elle avait le visage tuméfié et personne n'osait la regarder.

Après le repas, le gouverneur proposa une promenade en son jardin qui était situé un peu plus haut, sur le revers du Mont-Carmel.

Angélique abandonna la compagnie, elle voulait en terminer avec l'évêque.

*****

Monseigneur de Laval ressemblait à Bossuet. Le pasteur de la Nouvelle-France avait sa stature robuste, l'abord direct, l'intelligence prompte, alimentée par une culture que l'on sentait vaste et diverse.

Une fine moustache à peine esquissée, une virgule de poils entre lèvre et menton soulignaient la bouche belle et autoritaire. Le nez busqué, le front haut sous sa calotte épiscopale auraient pu lui donner un air de domination si les paupières un peu tombantes n'eussent atténué l'éclat des yeux, leur communiquant un regard songeur et bienveillant.

Comme le grand aumônier de la Cour, il montrait à la fois de la simplicité et de la grandeur. Cette ressemblance joua pour aider Angélique à se trouver de plain-pied avec son auguste interlocuteur.

Elle fut sur le point de parler la première, mais comme l'évêque au même moment se décidait elle se retint et il fit de même. Ils sourirent.

Angélique exprima alors l'admiration que lui avaient inspirée la cathédrale et la pompe des cérémonies. L'évêque ne cacha pas que ces propos lui étaient agréables. On avait toujours vu grand à Québec. Lorsqu'il était arrivé en son diocèse, Québec ne comptait que quatre-vingt familles, à peine six cents personnes. Mais déjà les jésuites avaient donné aux manifestations de la piété et du culte cette tournure élevée dont toute la mentalité du pays se trouvait imprégnée.

Gràce à leurs soins et à ceux des ursulines, la génération, grandie au pays, savait lire, écrire, chanter le latin. Cette base de choix assez inhabituelle l'avait encouragé à créer le grand et le petit Séminaire afin d'assurer la formation de jeunes clercs parmi les enfants du pays. Il fallait les détourner de la désastreuse vocation de courir les bois dès l'âge de quinze ans.