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Pour tout vous confier, je crains que l'un ou l'autre de ces gentilshommes, et peut-être tous les quatre, ne soient atteints du mal napolitain, cette horrible gangrène due à l'amour charnel et que les armées du roi Charles VIII ont rapportée en France d'une guerre trop galante avec les Italiens, lesquels l'avaient prise chez les Espagnols revenant d'Amérique.

Terrible fléau que ce mal où les hommes risquent de voir leur virilité tomber comme fruit pourri et les femmes devenir objet de dégoût, par la lèpre qui ronge ce qu'elles possèdent de plus intime, de plus précieux, de plus convoité et de plus charmant.

Je ne cessais de penser à cela durant cette visite, et vous me comprendrez si je vous déclare que je n'étais pas enchantée de les voir assis dans mes fauteuils de soie brodée.

M. de Saint-Edme et M. d'Argenteuil m'ont demandé si je croyais que Mme de Peyrac était sorcière comme on l'avait dit. C'est alors que nous l'avons vue passer. Elle était accompagnée de M. de Bardagne, l'envoyé du Roi, qui rôde toujours en ces parages.

Ces messieurs se sont tus et M. de La Ferté s'est penché en avant. J'ai vu briller ses yeux, qu'il a très bleus, mais qui ne me plaisent pas...

Chapitre 32

La deuxième semaine commença mal. On aurait pu croire cependant qu'elle commençait bien car Angélique, tirant sa porte ce lundi matin, se trouva en présence d'un jeune et bel homme à la vigoureuse et élégante prestance et auquel la lumière du soleil levant donnait l'inattendu et la douceur d'une apparition archangélique.

Trompée par cette auréole éblouissante, Angélique mit quelques secondes à reconnaître le procureur du Grand Conseil, Noël Tardieu de La Vaudière, en personne.

Comme elle lui souriait et le priait d'entrer en lui demandant des nouvelles de sa charmante femme, il se récusa, faisant comprendre sans tarder qu'il n'était pas venu pour badiner, mais s'occuper d'une plainte dont il avait été saisi, à propos d'un Anglais que M. de Peyrac comptait dans sa « recrue », plainte présentée par les sept cordonniers de la ville.

De plus, on avait vu ce suppôt d'une religion déformée, le protestantisme nommé, traverser la ville coiffé de ce haut chapeau noir en pain de sucre marqué d'une boucle d'acier par-devant qui caractérisait cette engeance du diable appelée Puritains, lesquels, en Angleterre, avaient poussé le sacrilège jusqu'à faire tomber sous la hache la tête de leur roi légitime.

Sans vergogne, et sans se soucier d'éveiller l'effroi de la population par l'apparition de cette silhouette drapée dans la cape genevoise qui rappelait celle de l'horrible Calvin, maître de la cité réformée des bords du Léman, il était descendu au port se promenant comme chez lui, était monté à bord du navire qu'on venait de remorquer dans l'un des bassins pour le radouber.

Angélique exposa que cet Anglais, s'il était de leurs amis, n'était pas de leur recrue. Jamais ils n'avaient eu l'idée de l'amener à Québec.

Elle raconta l'histoire d'Élie Kempton, colporteur itinérant de l'État du Connecticut en Nouvelle-Angleterre, que son commerce avait amené jusque dans le Golfe Saint-Laurent, où sa barque avait été arraisonnée par le Saint-Jean-Baptiste monté, Monsieur de La Vaudière ne l'ignorait pas, par un équipage de forbans, lesquels l'avaient capturé afin de faire main basse sur ses marchandises.

– Que faisait cet ennemi dans le Golfe Saint-Laurent, dont les rives acadiennes appartiennent à la Nouvelle-France et où seuls peuvent circuler les pêcheurs normands, malouins, bretons et basques ? Tout bâtiment anglais doit y être coulé sans sommation. Votre colporteur du Connecticut a encore eu de la chance.

Enfin, conclut-il, il doutait que cet Élie Kempton ne fût pas protégé officiellement par M. de Peyrac, car, durant son passage à travers la ville, il s'était montré évidemment escorté par des matelots du Gouldsboro que l'on avait reconnus sans peine à leurs uniformes.

Qu'allait-il faire au bassin de radoub ?

– Il allait porter des provisions et de la paille à son ours savant qui s'est endormi pour l'hiver dans les cales du Saint-Jean-Baptiste.

– Un ours ?

M. Tardieu de La Vaudière pinça ses belles lèvres renflées qui semblaient plus destinées à dispenser et recevoir des baisers, qu'à s'enlaidir par des moues sévères. Un ours ? Cette histoire ne lui disait rien qui vaille. Pourtant, Angélique plaidant qu'Élie Kempton était l'être le plus inoffensif qu'on pût trouver et prenant en considération qu'il avait été victime du capitaine Félon, lequel se trouvait en prison pour l'instant, il admit qu'il pouvait demeurer en liberté. Il pourrait même, à la rigueur, pratiquer son métier, à condition de se cantonner dans la chaussure de luxe dont on n'avait pas de fabricant en Canada.

– Il faudra qu'il paye patente.

– Il la paiera.

– Et qu'il se cantonne dans les hauts de la ville, qu'on ne l'y voie pas se promener, surtout avec ce sinistre chapeau.

– On ne le verra pas !

Elle était sur le point de le remercier chaleureusement, mais il l'interrompit.

– Un instant, je vous prie... Il y a une ordonnance spéciale à propos des prisonniers anglais en Nouvelle-France. Je vais vous la faire lire afin que vous sachiez bien à quoi vous vous engagez.

Il s'était fait accompagner d'un petit tambour de l'armée, ainsi que du héraut de la ville avec sa pique dont le fer était garni à la base de rubans aux couleurs de la ville et portant en bandoulière sa sacoche dans laquelle il mettait les rouleaux de parchemin des proclamations.

Nicaise Heurtebise en portefaix hirsute était arrivé coltinant sur ses épaules une énorme barrique, de la mesure de celle qu'on baptisait « tonneau d'Orléans, contenance 204 pots ».

Devant la porte, il retourna la barrique, heureusement vide, et le héraut se hissa dessus éveillant l'attention des Indiens du petit campement et de quelques voisins tôt levés.

Après avoir déroulé une feuille et fait signe au tambour de frapper une première jetée de baguettes, le fonctionnaire municipal psalmodia d'une belle voix de basse :

« Savoir faisons qu'ayant par notre règlement de police du 26 mars 1673 entériné les ordonnances sur les rassemblements des captifs anglais, rappelons aux habitants de cette ville de les respecter sous peine d'amende... »

– Qu'appelez-vous un rassemblement ? demanda Angélique au procureur.

– Deux, trois personnes au plus...

– Y a-t-il seulement autant d'Anglais que cela dans Québec ? À part notre puritain du Connecticut ?...

– Il y en a, affirma-t-il, ne serait-ce que la servante de Mlle d'Hourredanne, ajouta-t-il en se tournant vers la petite maison de l'autre côté de la rue, la nommée Jessy, une enragée qui refuse de se convertir et que l'on est bien bon de tolérer dans notre ville, au lieu de la renvoyer aux Indiens Abénakis qui l'ont capturée.

Angélique commençait à comprendre les réserves de la Polak sur le beau procureur : « C'est une teigne ! » Il n'avait de doux que son prénom : Noël.

– Et il va y avoir encore les deux Anglais captifs des Hurons, que Madame de Mercouville va faire venir quotidiennement, pour en apprendre le secret de la teinture des laines et du lin... Aussi, je vous engage...