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– Je l'accompagne, décida Ville d'Avray.

Les hôtes de Mlle d'Hourredanne, après l'avoir vue sortir ployée sous le poids de son chagrin mais tendrement soutenue par le marquis, s'accordèrent à dire que celui-ci serait un consolateur beaucoup plus efficace que le mari.

*****

En ce début d'année, outre la succession ininterrompue des visites que tout le monde voulait se rendre, à plusieurs reprises, il y eut au château de Montigny collations, jeux, bals, petite musique ou petit théâtre suivis de médianoche.

Et l'on conservait l'habitude parisienne de sortir masqué le soir dans les rues, ce qui avait l'avantage, les masques étant de velours ou de soie, de protéger les visages des intempéries souvent cinglantes.

Malgré les fêtes il y avait beaucoup d'activités. Les deux prisonniers anglais arrivaient chaque matin du campement des Hurons pour enseigner à Mme de Mercouville comment teindre sa laine et son lin. Mais la veuve indienne, qui était à un double titre la maîtresse de l'un d'eux puisqu'il remplaçait près d'elle à la fois un domestique auquel elle avait bien droit, son fils qui devait l'assister ayant été tué au combat contre les Anglais et un mari, également tué au combat, prit ombrage de ces visites qu'elle avait autorisées pour faire plaisir à M. l'intendant et à Onontio, c'est-à-dire au gouverneur.

Elle vint elle-même, solennellement, voir de quoi Mme de Mercouville avait l'air et, la trouvant avenante, elle fit toute une histoire. C'est qu'elle y tenait à son John, la veuve ! Il lui plaisait ce laboureur puritain du Massachusetts, qui était dur à l'ouvrage et avait au moins le mérite de ne pas rechigner à faire l'amour. Encore que moins entreprenant que les Français, il était, comme tous les Européens, porté sur la chose, ce que les femmes indiennes apprécient, leurs guerriers, chez elles, étant trop souvent préoccupés de ménager leurs forces pour courir plus vite, combattre plus habilement et supporter plus vaillamment la torture, lorsque leur tour viendrait de tomber entre les mains des Iroquois.

Elle ramena donc, avec diligence, son captif anglais au bourg de Lorette et Mme de Mercouville dut se contenter de l'autre, un jeune rouquin, tout à fait indianisé, mais qui se souvenait de ce que lui avait appris son père, artisan à Salein.

L'intendant Carlon, lui, réquisitionnait du monde pour porter les métiers à tisser dans les différents foyers où les femmes se mettraient à l'ouvrage. C'étaient des engins fragiles, lourds, encombrants, mais la colonie devait se suffire à elle-même, répétait-on. C'était important les toiles, les étoffes. Cela coûtait cher à importer. Et puis les femmes ne devaient pas rester oisives.

Tout en aimant bien sa Haute-Ville, ses salons, églises et monastères, Angélique se trouva à descendre quotidiennement dans la Basse-Ville, au Navire de France où là, les souvenirs évoqués, s'ils n'avaient pas le raffinement de ceux du palais du Gai Savoir, au moins n'appartenaient qu'à elle.

Or, on remarqua ceci... Le jeune Cantor de Peyrac, cet adolescent grave, beau comme un ange, mais dont l'expression rappelait parfois à Angélique celle un peu maussade de certains des garçons de Sancé de Monteloup, ses propres frères : Josselin, Gontran, Denis... ne riait et ne plaisantait qu'avec Madame Gonfarel, patronne du Navire de France.

Un jour qu'il était venu à l'auberge avec une bande d'amis et quelques officiers de la recrue de Peyrac, l'aimable tavernière qui était un peu ivre lui dit :

– Bonjour, mon ch'tit. Vous ne me connaissez pas, mais moi je vous connais et depuis longtemps. Je vous ai quasiment donné le sein.

Cantor éclata de rire. Il se leva de son banc d'un air ravi et lui jetant les bras autour du cou l'embrassa sur les deux joues.

– Y m'a reconnue ! confia la Polak bouleversée à Angélique quand elle la revit, pense ce que tu voudras ! Y m'a reconnue ! Il se souvient de moi quand j'ai couru jusqu'à Charenton pour l'arracher aux Bohémiens... Tu sais, les bébés, ça regarde et ça ne dit rien. Mais ça se souvient.

C'était un fait que Cantor revenait fréquemment au Navire de France et se montrait toujours très joyeux et aimable avec Janine Gonfarel. Cette gaieté, qui ne lui était pas habituelle, le transformait, faisant briller ses yeux verts et lui conférant la beauté si vivante de sa mère.

– Ah ! Je me le paierais bien, ce beau petit, confiait la Polak à Angélique lorsqu'elle était un peu éméchée. Tu sais ce que je ressens, ce côté incestueux des nourrices...

– Mais tu n'as jamais été sa nourrice ! protestait Angélique. Personne n'a jamais été la nourrice de Cantor... Même pas moi... Je n'avais pas de lait... Il a été nourri au « petit pot ».

Aujourd'hui Florimond et Cantor de Peyrac allaient sur leurs dix-neuvième et dix-septième années, et se trouvaient au Canada, beaux, vigoureux, bien portants et heureux selon les apparences, bien qu'ayant traversé tant de « hasards », comme on disait.

La considération dont les membres de la famille de Peyrac honoraient l'auberge du Navire de France amena en ces lieux la fine fleur de la noblesse comme de la haute bourgeoisie.

On y vit même l'intendant Carlon. Nicolas de Bardagne était un fidèle.

Les manières civiles et amènes de l'envoyé du Roi, sa simplicité et sa complaisance à vider force hanaps lorsque l'occasion s'en présentait, ce qui rappelait qu'il avait une saine disposition à apprécier les plaisirs de la vie, lui avaient attiré beaucoup d'amis. Les officiers de sa maison et jusqu'à son écuyer, son secrétaire et son premier valet de chambre étaient issus de bonnes familles bourgeoises ou de petite noblesse.

On aimait les voir arriver au Navire de France.

En revanche, la joyeuse exubérance se refroidissait lorsqu'on voyait paraître le duc de La Ferté et ses compagnons. Ils s'étaient fait des ennemis par leur morgue et en traitant les habitants du Canada de « manants » et de « croquants ».

La Polak répétait chaque fois qu'elle saurait leur faire comprendre un jour de n'avoir pas à se représenter chez elle, mais elle n'en faisait rien car elle leur savait l'escarcelle bien garnie.

Pour Nicolas de Bardagne c'était une épreuve d'être obligé de rencontrer M. de La Ferté lorsque Angélique était présente.

– Ainsi, il fut votre amant... Il l'est peut-être encore ? lui dit-il un jour.

– Monsieur de Bardagne, vous m'insultez et vous insultez à l'honneur de mon époux, présent dans cette ville. J'avais perdu jusqu'au souvenir de ce Monsieur de La Ferté et je ne vous cache pas que sa présence m'a surtout contrariée, mais qu'y pouvons-nous ?

– Ainsi vous avouez, dit Bardagne en pâlissant c'est donc bien vrai. Il a été votre amant ?

– Mais puisque vous en êtes persuadé vous-même à quoi bon nier, fit Angélique en s'énervant. Admettez une fois pour toutes que j'ai eu un passé et n'en faites pas toute une tragédie qui ne rime à rien dans les circonstances présentes. Il ne peut plus rien y avoir désormais entre ce gentilhomme et moi.

– Il m'y semblerait fort disposé pour sa part.

– Mais dans ces sortes d'échanges, ce sont mes préférences qui priment, vous devriez le savoir, vous me connaissez assez.

– Hélas ! Je croyais vous connaître. Mais les facettes inattendues de votre caractère ont jeté le doute dans mon esprit. À La Rochelle, qui aviez-vous comme galant ?

– Vous !

C'était devenu presque un jeu entre eux que ces conversations auxquelles Bardagne se présentait bourré de pensées dramatiques qu'il avait longuement ressassées et qu'Angélique affectait de prendre à la légère. La discussion se développait suivant un certain tour théâtral sur les mêmes thèmes remaniés, développés.