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– Oui.

– Pourquoi ?

– Notre ami le comte de Varange avait disparu et nous voulions savoir ce qu'il était devenu.

Angélique s'accorda un moment de réflexion. Elle but une gorgée d'eau pour se remettre.

– Ne vous ai-je pas entendu répéter maintes fois, Monsieur, que les sorciers de Nouvelle-France ne valaient rien ? Ce sont vos propres termes. Je ne discuterai pas de votre jugement en la matière, mais si telle était votre opinion, pourquoi apporter créance aux racontars de l'un d'eux ?

– Parce qu'il m'a prouvé par cette révélation qu'il était très fort.

– Je me serais plutôt méfiée. D'après les précisions que m'a données Monsieur le Lieutenant de Police, lequel à mon avis ne se doute pas d'où vous tenez vos renseignements, lorsque votre Varange a disparu, notre flotte n'était pas encore parvenue à Québec.

– Précisément.

La voix de Saint-Edme devenait sifflante et son regard luisait.

– ... Il était parti au-devant de votre flotte... Fou de douleur.

– De douleur ? répéta-t-elle ébahie.

– Il avait vu dans le miroir magique le visage de celle qu'il attendait, ensanglanté, meurtri, vaincu... Elle avait prononcé deux noms : Peyrac, Angélique... Aussi, comprenez, Madame, que lorsque le sorcier vous nomma, tout devint clair à nos yeux.

Angélique se rejeta en arrière et s'appuya contre le dossier de sa chaise.

– Je vois que Monseigneur l’Évêque a été bien avisé de nommer un grand exorciste en son diocèse du Canada, fit-elle après avoir paru méditer les paroles qu'elle venait d'entendre, l'ouvrage ne lui manquera pas.

Le comte de Saint-Edme la sidérait comme en une vision de cauchemar, avec en arrière-fond les flammes de l'âtre, le miroitement des poulets embrochés, et à travers les barreaux de sa cage tournante l'ombre du chien esclave qui galopait sans fin.

– Vous vous égarez ! dit-elle. Je vous en prie, cessez de jouer avec ces crimes de magie et de sorcellerie, sinon cela surgira au jour, et vous serez jugé et condamné.

Ils échangèrent un regard amusé.

– Mais, ma chère enfant, dit Saint-Edme, d'un air patelin, d'où sortez-vous ? Vous n'êtes au courant de rien. On n'est plus jugé de notre temps ou condamné pour crime de sorcellerie ou de magie. L'Inquisition a fait son temps. La nouvelle police ne se préoccupe pas des distractions ésotériques auxquelles les esprits inspirés aiment se consacrer. Elle a assez à faire à nettoyer Paris de ses classes dangereuses et les grands chemins de leurs bandits.

– La nouvelle police intervient s'il y a meurtre derrière vos amusements ésotériques, Monsieur.

Le comte de Saint-Edme étira ses lèvres fardées en une grimace froide qui était sa façon de sourire, mais portait plutôt à frémir.

– Qui parle de meurtre, à part vous, Madame ? Monsieur de Varange a-t-il tué quelqu'un ? Non, je le pense à l'abri d'une telle accusation. Tandis qu'il n'en serait pas de même pour vous si l'on en croit le Bougre Rouge, ha, ha !

– Et il n'en serait pas de même aussi pour vous, Monsieur de Saint-Edme. Combien de personnes avez-vous envoyées à la mort par vos incantations, vos messes noires ou le poison ? Je l'ignore, mais il me serait facile de le savoir, et de recueillir au moins le nombre des enfants immolés dans vos sacrifices au Diable. Pas besoin d'opérations magiques pour cela, j'ai mille sources de renseignements qui me donneraient de quoi réjouir à votre sujet Monsieur de La Reynie et Monsieur François Desgrez. Et sur vous, Monsieur le duc, et vous aussi, Monsieur d'Argenteuil. J'ai su avant la police elle-même à quelles expériences se livrait votre chère marquise de Brinvilliers... Je l'ai su par les coquillards de Paris, les mendiants qui l'avaient surprise à l'Hôtel-Dieu glissant des poudres dans les bouillons ou les tisanes des pauvres malades... Il s'agit bien de crimes, n'est-ce pas, d'assassinats ?

– Alors c'est vous qui l'avez livrée au policier ? demanda-t-il avec une lueur dans les yeux. Je m'en doutais... Et savez-vous que, bien qu'elle ait avoué, ils l'ont soumise à la « question ordinaire » ?

Elle haussa les épaules. Celui-là était vraiment fou. Elle revint à Vivonne.

– Quelle perversion vous habite pour que vous vous livriez ainsi au Mal ? Vous, Monsieur le duc, que le Roi a élevé si haut dans des fonctions de son État et votre sœur qu'il aime d'une si grande passion, comment avez-vous pu, vous comme elle, vous laisser aller à d'aussi basses actions... Aviez-vous vraiment besoin, Monsieur l'Amiral, de vous y livrer pour conserver votre rang, vos avantages, les faveurs du Roi ? Ne peut-on trouver le salut que dans le poison, les aphrodisiaques, la sorcellerie et les crimes ? Pourquoi faites-vous cela ?

Vivonne qui l'écoutait en brassant ses cartes avec une indifférence affectée eut une réponse surprenante.

– Tout le monde le fait.

C'était une mode. Un mondain se doit de suivre la mode. La voyant coite, il ajouta :

– À la Cour, qui n'empoisonne pas est empoisonné. Qui n'écarte pas un rival disparaît à son tour... C'est le jeu !

– Non ! Pas le Roi. Le Roi n'a jamais empoisonné, ni fait empoisonner personne, que je sache ! Et il y a du mérite car ce ne fut pas toujours le cas de ses prédécesseurs. Mais il est vrai qu'il est petit-fils d'Henri IV qui lui aussi était un honnête homme. Cette lignée neuve de nos rois a rompu avec les mœurs dépravées des autres dynasties. Mais vous, les Grands du royaume, ne l'imitez point.

La belle bouche du frère d'Athénaïs se tordit dans une grimace.

– Le Roi peut se permettre d'être honnête, fit-il avec amertume. Pour la vertu dans son royaume, il ne fait la part belle qu'aux bourgeois... Quant à nous, peuple de courtisans à sa merci, il s'est vengé de la Fronde des Princes en nous émasculant. Nous privant de nos fiefs, de nos provinces, de notre pouvoir sur nos terres, il ne nous a laissé que les armes fatales !...

*****

Avec soulagement, elle retrouvait dehors l'or et le rose de praline de l'hiver sur la neige des toits et des rues. Elle retrouvait l'air pur et glacé et la surprise, comme sur un coup de baguette magique, d'être transportée au Canada...

« Ce ne serait pas la peine d'être venue si loin, si je devais encore me taire... et les craindre... »

Elle courait presque en approchant du jardin du gouverneur dans son impatience d'apercevoir la silhouette de Loménie vêtue de gris dans la blancheur entrelacée de mauve des parterres.

Il était là. Il l'attendait. Son regard se posait sur elle et, comme la veille, elle ne prenait garde qu'au plaisir d'être en sa compagnie.

Elle marcha près de lui dans un rêve paisible et heureux, le regardant par moments parce qu'elle était consciente du charme qui émanait de son visage et qui la rendait indifférente quelques secondes aux mots que prononçait cette bouche dans le désir d'y poser la sienne.

Heureuse du plaisir éprouvé à sentir le mouvement de sa marche près d'elle, à croiser son regard, à attendre l'instant où, prenant congé d'elle, elle sentirait autour de sa main la préhension de cette main qu'elle n'aurait cessé de désirer retenir et presser tout au long de leurs allées et venues dans le jardin.

– L'amour avec vous n'a plus le même visage, dit-il.

Angélique se récria.

– Monsieur, je ne suis pas parfaite.

Devant lui, avec ses lèvres qui restaient encore meurtries par les baisers sauvages et interdits de Bardagne, elle se sentait un peu pécheresse.

« Que savait du désir ce bel homme aux doux yeux ? »

Ces mains qui savaient manier si bien l'épée, le sabre et le mousquet, s'étaient-elles jamais posées sur le corps d'une femme ? Elle pouvait supposer que non car le vœu de chasteté entrait dans la règle de l'Ordre de Malte.

– Et vous ? Avez-vous peur de la Femme, Monsieur le chevalier ?