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– Quand elle prend vos traits, certes non, répliqua-t-il en riant.

Son existence de moine guerrier dans le monde lui avait appris l'art de la repartie.

Une bouffée de neige arrachée d'un arbre par le vent leur poudra le visage comme le froid baiser d'un rêve. Ils rirent. D'un doigt, Loménie écarta la neige des sourcils d'Angélique. Leur courbe dorée au reflet de soie n'avait cessé d'attirer ses regards. Le geste lui fut si naturel qu'il n'aurait pas voulu s'en défendre.

Lorsqu'ils s'entretinrent d'Honorine, il lui dit combien il aimait les enfants. Il les avait enseignés et avait aidé à leur survie à Ville-Marie. Dans les expéditions ou les escarmouches contre l'Iroquois qu'il menait avec une poignée de soldats-laboureurs, il pensait toujours aux enfants qui, ignorants les horribles dangers planant sur eux, attendaient avec confiance dans le fort ou dans les maisons de rondins l'issue des combats. Cette pensée décuplait ses forces.

Il avait de l'estime pour ces petits êtres. Il admirait leur sagesse et leur innocence. Et il enviait les joies élémentaires et presque divines qui étaient l'apanage de cet âge béni. Il se souvenait de son enfance comme d'un hymne perpétuel à la joie de vivre.

Elle aima l'entendre parler de sa mère et de ses sœurs avec lesquelles il gardait des liens d'amitié.

Ce fut une promenade merveilleuse qui avait un goût de paradis.

Le petit moulin tournait au sommet du Mont-Carmel. La croix, le poteau et le gibet auréolés de lumière avaient l'ingénuité d'une image pieuse.

Au loin, l'île d'Orléans, pastellisée de bleu doux, poursuivait son dialogue avec Québec. Entre elle et le Roc, les traînes et les traîneaux tissaient un réseau animé. Ils marchaient, goûtant la tiédeur du soleil avec la reconnaissance de convalescents. Elle lui avoua qu'elle avait craint de sa part des solutions radicales. Qu'il décidât, par exemple, que leur amitié ne pouvait se poursuivre. Or, elle avait besoin de son amitié. Elle avait besoin, ne serait-ce que de pouvoir le rencontrer au hasard des rues, de savoir qu'il existait dans la ville, car il lui offrait aussi une image si sereine et si juste de l'homme qu'elle sentait ses rancœurs et ses craintes inexprimées s'apaiser, mieux, s'effacer à jamais. Il la rendait meilleure.

Chapitre 55

En revenant de sa promenade avec Loménie au jardin du gouverneur, Angélique trouva le lieutenant de Barssempuy qui l'attendait devant sa maison pour lui remettre une lettre du comte de Peyrac. Il était sur le point de repartir ne l'ayant pas trouvée.

Angélique rompit aussitôt le cachet et lut avec déception que Joffrey était passé le matin pour l'avertir qu'il partait en tournée le long du Saint-Laurent avec M. de Frontenac. Le temps était si constamment beau que cela permettait d'entreprendre, sans danger, quelques parcours en suivant les pistes du fleuve. Ils visiteraient des seigneuries dont le gouverneur souhaitait présenter à Peyrac les propriétaires, seigneurs pour la plupart entreprenants, soucieux du bien-être de leurs censitaires, et qui avaient le mérite et la conscience de vivre sur leurs terres même l'hiver. Ils inspecteraient aussi quelques redoutes de bois abandonnées que le comte de Peyrac proposait de remettre en état, car il n'y avait jamais assez de tours de guet le long du fleuve pour surprendre à temps une expédition des Iroquois. L'une d'elles, à l'embouchure de la Chaudière, route du Midi, pouvait être empruntée aussi par les sournois et haineux ennemis de la Nouvelle-France.

Joffrey lui expliquait tout cela avec sa minutie et sa gentillesse habituelles, protestant de son regret de ne l'avoir pas trouvée lorsqu'il était venu lui faire ses adieux. Il fallait se hâter de partir car les journées étaient courtes et, en dehors des environs d'une seigneurie bien peuplée, les pistes du fleuve n'étaient pas balisées.

Malgré les phrases aimables dont il enroba ses adieux, Angélique ressentit un sentiment de frustration car il s'y mêlait, en dehors du fait qu'elle voulait le VOIR et lui parler au moins des soupçons du Lieutenant de Police, un malaise qui lui restait à propos de l'assemblée des Gascons... Tourmentée, elle s'apercevait que, dans les derniers temps, elle s'était assez bien accommodée de le voir moins souvent. Les jours passaient, riches pour elle d'un bonheur très certain et très substantiel. Ne dit-on pas que la vraie signification du bonheur c'est qu'il délivre du malheur ? De quel malheur la délivrait cette liberté qu'elle avait réclamée ? Elle ne savait, mais elle en ressentait le bienfait.

Cependant, en cette occasion elle déplora de s'être trouvée absente toute la matinée. Devant Barssempuy elle ne voulut pas montrer sa contrariété.

Elle profita qu'elle le voyait tranquillement pour lui demander de ses nouvelles. Elle avait pris en pitié ce jeune homme sachant combien il avait souffert de la mort de la jeune fille qu'il aimait, Marie-la-Douce. Elle lui sourit et s'informa de sa santé, de son bien-aise et de l'état de son cœur dont elle espérait qu'après quelques mois à Québec il était moins endolori. On lui avait conté qu'une charmante demoiselle s'intéressait à ses beaux yeux. Tout cela avec une grâce et une expression charmeuse, mi-maternelle, mi-galante, qui fit noter à Mlle d'Hourredanne de son alcôve :

J'ai appris, hélas, de Mme de Peyrac en l'observant lorsqu'elle s'adresse à quiconque devant sa maison, où une sorte de cour des plus variées se succède, comme les courtisans et les quémandeurs dans l'antichambre du Roi, j'ai donc appris, vous dis-je, toutes les nuances de l'art de s'adresser à un être humain, homme, femme, enfant, vieillard, noble et pauvre, et de toutes les races ou couleurs que nous avons en notre cité, de s'adresser à lui en le charmant, ce qui n'est pas sans me causer une douleur assez cruelle et que vous comprendrez vous qui aimez vous pencher sur les subtilités du cœur humain, car si j'avais su en pratiquer les règles au temps de ma jeunesse, il me vient l'idée qu'en bien des occasions il m'aurait été donné de vivre de ces aventures de cœur, d'amour et de tendresse dont je vois passer le reflet sur son beau visage lorsqu'elle le lève sur un autre visage, serait-il celui de cet ivrogne d'Heurtebise ou de son Indien aux longues dents, le Narrangasett, au lieu de n'être aujourd'hui qu'une vieille femme dans son lit, que l'on n'aime point et dont la vie est bien pauvre en souvenirs aimables.

Barssempuy avait remercié Angélique de son intérêt. Tout allait bien pour lui, affirma-t-il, et pour son cœur aussi... bien que... Un éclair passa dans les yeux du jeune officier dont il ne fallait pas oublier qu'il avait été sous les ordres de Barbe d'Or, un franc pirate.

– Ceux qui l'ont tuée, celle que j'aimais, n'ont pas été assez châtiés, Madame... Mais, pour l'instant, Dieu m'a demandé de me résigner.

La vie était plaisante à Québec, et il fallait reconnaître que M. de Peyrac était un chef qui ne laissait guère chômer les hommes de sa recrue ou de ses équipages. Barssempuy disposait de peu de temps pour s'appesantir sur ses peines de cœur. Ayant donc « pris sur elle » comme le lui recommandait autrefois sa tante Pulchérie, car c'était le premier devoir d'une dame de qualité de savoir « prendre sur soi » dans le monde, afin de ne jamais rien laisser transparaître de son déplaisir, Angélique regagna la cour à l'arrière de la maison et rentra chez elle, le message de Joffrey à la main et sans être tout à fait sûre qu'elle n'était pas au bord des larmes.

M. de Ville d'Avray et Mme de Castel-Morgeat l'attendaient dans le petit salon assis tous deux sur le canapé. Ils se levèrent.

– Sabine s'est émue d'apprendre que vous la blâmiez d'être intervenue dans l'affaire du comte de Varange, dit le marquis. Elle souhaite s'en expliquer et je vous l'ai amenée.

Angélique le foudroya du regard. Ce que voyant le marquis s'esquiva avec un sourire hypocrite.