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– Parlons-en de votre civilisation ! s'exclama Angélique qui s'enflamma. Voici des sornettes dont j'aimerais mieux le voir se détourner et qui lui ont coûté assez cher.

Angélique jeta un regard autour d'elle afin de vérifier que personne ne se trouvait à portée de voix.

– Je trouve que mon mari s'intéresse beaucoup à votre civilisation depuis que nous sommes à Québec...

– Vous ne pouvez lui demander de renier la culture des troubadours.

– Il n'y a plus de troubadours ! Cela ne vous suffit-il pas qu'il ait été torturé, condamné, et banni, sans que vous le remettiez en danger maintenant qu'il parvient, après des années, à être reconnu et peut-être réhabilité ?

– En danger ? répéta Sabine. Que voulez-vous dire ?

– Que nous ne sommes pas venus en Nouvelle-France pour donner au comte de Peyrac le loisir de comploter contre le Roi, dit précipitamment Angélique qui regrettait ses mots au fur et à mesure qu'ils lui sortaient de la bouche. Faudra-t-il que je découvre que l'injustice de notre souverain à son égard n'était pas sans fondement ?

– Que me baillez-vous là ? Vous perdez l'esprit ! Angélique, qu'allez-vous imaginer ? Nous sommes tous fidèles sujets du Roi de France.

– Je vous ai vus dans le bois rassemblés et il vous parlait en langue d'oc.

Mme de Castel-Morgeat sourit et cela irrita Angélique, car, à ce moment-là, elle se sentait très amoindrie.

– Nous nous réunissons souvent ainsi pour parler notre langue familière, celle de l'enfance et du pays, cela est doux aux exilés. Monsieur de Frontenac lui-même, qui est gascon, aime se joindre à nos colloques. Monsieur de Peyrac en nous conviant ainsi m'a rappelé de lui sa qualité la plus exquise, quoique la moins reconnue peut-être derrière son apparence parfois mordante. Il est très bon.

– Ce n'est pas vrai. Il n'est pas bon du tout. Il est même très méchant.

– Vous le connaissez peu décidément.

– Je le connais mieux que vous, il me semble. C'est mon mari ! Et tous vos souvenirs de lui n'y changeront rien, c'est moi qui suis sa femme. C'est moi qui ai pâti avec lui de sa disgrâce, et qui ai dû subir le sort des réprouvés parce que je portais son nom. Vous, vous l'aimiez parce qu'il était riche et fastueux, parce que vous vous croyiez régnant sur Toulouse, présidant les jeux floraux. Mais auriez-vous supporté de voir sa réputation, sa fortune s'effondrer ? Sa grandeur jetée à bas, ses amis se détourner de lui et vous-même livrée au plus affreux dénuement ?

– Et vous ? L'avez-vous supporté ?...

Sabine se dressait et l'affrontait, les yeux étincelants.

– ... Vous aussi vous l'aimiez parce qu'il était riche et fastueux ? Et vous n'avez pas supporté de le voir tomber de son piédestal ? Voilà ce que je sens derrière vos paroles... Vous lui en voulez toujours de l'abaissement auquel il vous a condamnée... Vous n'étiez même pas capable de souffrir avec lui et pour lui l'éclipse qu'il subissait.

Angélique se dressait à son tour.

– Sotte ! Ne vous mêlez pas de comprendre quelque chose aux sentiments ! De jurer de mon amour pour lui... On l'avait brûlé en place de Grève. Je n'ai su que plus tard que ce n'était qu'en effigie. Je l'adorais, je l'aimais, et il avait disparu à jamais. Une éclipse, dites-vous ? Vous en parlez à votre aise. Vous berciez votre petit Anne-François à l'ombre du château de Monsieur de Castel-Morgeat que vous aviez épousé par dépit, tandis que moi je pataugeais seule dans ma misère avec mes enfants en haillons...

– Qui vous dit que tout fut si facile ? Mon époux a pris fait et cause pour Monsieur de Peyrac et quand ces remous se sont calmés en Aquitaine nous avons reçu l'exil du Canada pour notre punition. C'est vous, quoique vous vous en plaigniez, qui avez reçu la meilleure part. Vous l'aviez aimé, il vous avait aimée. Être liée à un homme que l'on n'aime pas et qui vous répugne est bien la pire des misères.

– Qui vous obligeait à contraindre ainsi votre cœur et vos sens ? Vous êtes une sotte ! Une sotte ! Monsieur de Castel-Morgeat a toutes les qualités pour se faire aimer d'une femme et de bien des femmes.

– Oh, certes ! Il ne se prive pas de courir les putains !

– C'est vous qui l'avez envoyé à elles en vous refusant à lui. C'est vous qui le ridiculisiez par votre rancœur injustifiée et votre hargne. Pour moi, je le juge fort plaisant, courageux, fougueux et de bonne compagnie. J'ai beaucoup d'estime pour lui.

– Et vous vous croyez autorisée à le lui faire entendre afin de compter une victime de plus à votre tableau de chasse de séductrice ? Laissez mon mari tranquille, je vous prie !

– Et vous, de même pour le mien !

– N'est-ce pas suffisant qu'Anne-François, mon fils, se languisse pour vous d'un amour qui le ronge ? Il vous faut le père ?

– Je ne suis pas responsable des folies qui peuvent germer dans la cervelle de ce jeune homme, votre fils... Pour ma part je n'en éprouve qu'ennui... En revanche, l'intérêt qui vous fait vous pencher sur les travaux de mon fils Florimond me semble moins pur. Vous le flattez en vous intéressant à ses cartes, ses voyages, mais ne vous laissez-vous pas attirer par le jeune page-content-de-soi qui ressemble un peu trop à son père pour ne pas vous émouvoir ?

– Vous divaguez ! Je ne suis pas une dévergondée comme vous pour m'intéresser à votre fils...

– Vous m'accusez bien de séduire le vôtre ! En vérité, vous en voulez à Anne-François et vous m'en voulez parce que, en étant amoureux de moi, il vous échappe.

– Oui ! éclata Sabine avec rage. Je n'avais que lui au monde, mon fils ! À son retour des bois je ne l'ai plus reconnu. Il vous avait rencontrée à Tadoussac et il était entièrement changé. J'ai cru qu'il allait me haïr. Il s'est mis à vivre au château de Montigny, dans l'ombre de Florimond parce que c'était encore une façon de se rapprocher de vous. Ai-je commis une action si vile en m'intéressant à leur expédition commune à lui et à Florimond, afin de me rapprocher de mon fils unique ?... Ces deux garçons étaient fort contents de l'intérêt que je portais à leurs récits car la jeunesse aime parler de ses exploits et de ses travaux. Je ne pouvais supporter de perdre Anne-François tout à fait, c'était trop me demander. Sans lui il ne me restait plus rien. Pouvez-vous le comprendre ?

– Je comprends surtout que vous êtes une femme jalouse et qui vous accaparez tout le monde.

– Je vous retourne le compliment. Il ne vous sied guère de m'adresser ce reproche alors que vous n'avez cessé de drainer après vous l'amour de tous les hommes y compris les ecclésiastiques ou religieux comme Monsieur de Loménie, Chevalier de Malte.

– Vous n'êtes guère en reste là-dessus, vous non plus. Votre passion pour votre confesseur est assez connue.

– Mon confesseur ! s'écria Mme de Castel-Morgeat en portant la main à sa poitrine comme si elle allait s'évanouir. Quelle est cette nouvelle calomnie ? De quel confesseur voulez-vous parler ?

– Le très saint Père Sébastien d'Orgeval, naturellement... Vous n'allez pas nier que vous étiez folle de lui.

– Lui ! Jamais l'idée ne m'a effleurée de le regarder autrement que comme un guide de mon âme ! Comment osez-vous imaginer ?

– Je n'imagine rien ! Les manifestations de votre attachement n'ont leurré personne. Toute la ville s'en gausse...

– Vous êtes une vipère !

– Je suis franche. Je ne déguise pas sous des reniements vertueux des attachements venus du cœur et même de la chair et qui contiennent beaucoup plus de vertu à mon sens que vos hypocrisies stériles. Vous vous détruisez, Sabine, en voulant croire que nos élans d'amour ne viennent que de Satan. Car vous êtes une passionnée, une amoureuse, vous aussi...

Cette fois, Mme de Castel-Morgeat et Mme de Peyrac se quittèrent brouillées à mort. Ce n'était pas la peine de s'être réconciliées, d'une façon si éclatante et surprenante au bal de l’Épiphanie.