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Il nommerait sans difficulté ceux qui le payaient pour toutes sortes de manigances et de conjurations criminelles, les amis de ce Varange, dont ce Saint-Edme qui avait répandu des calomnies absurdes sur elle, un baron de Bessart, leur valet à la parfaite mine de bandit un nommé La Corne.

– Vous devriez les arrêter, au moins les mettre sous surveillance car ils sont dangereux.

– Mais ces gens appartiennent à la maison du duc de La Ferté, il me semble, émit Garreau d'Entremont en fronçant les sourcils. C'est un grand seigneur de l'entourage du Roi, à Versailles.

– Qui est ici sous un faux nom comme vous le savez sans nul doute. Ne serait-ce pas pour fuir les conséquences d'actes plus que répréhensibles ?

– Je ne le nie pas, Madame. Mais ces indésirables échappent à mon contrôle, encore que Monsieur le Gouverneur, auquel ils sont recommandés, soit très attentif à surveiller leur conduite. Mais nous avons consigne d'éviter de leur déplaire.

– Alors soyez vigilants. Car ceux-là sont de vrais assassins, je vous l'affirme.

M. Garreau d'Entremont plissa des yeux. Une expression assez fine passa sur son épais visage.

– Et qui placez-vous, Madame, dans la catégorie des « faux » criminels, disons, si je vous comprends bien, des criminels justiciers ? Vous, peut-être ?

– Ah ! Vous en revenez toujours à ce soupçon étrange envers moi. C'est Monsieur de Saint-Edme, ce vieillard lubrique, mêlé à ces horribles orgies, qui est venu m'accuser après avoir lu peut-être cette révélation en signes cabalistiques dans le miroir magique ? Et c'est vous, un policier, qui réclamez des preuves et des cadavres pour accuser, qui ajoutez foi à des sorcelleries ? Eh bien oui ! Sachez-le, si j'avais eu l'occasion de tuer votre immonde Varange, je l'aurais fait cent fois et je m'en féliciterais.

– Mais vous ne le diriez pas...

– Monsieur d'Entremont, vous me blesseriez si je ne sentais que vous veillez sur nous comme Monsieur de La Reynie veille sur Paris, et c'est ce qui vous porte à ne négliger aucune piste... même des plus impensables. Eh bien voyez ! Je vous apporte un renseignement : trouvez le soldat. Peut-être ses aveux vous conduiront-ils au cadavre de M. de Varange... ou à son assassin. Je vous pardonne. Votre tâche n'est pas facile. Maintenant que je vous ai vu, je me sens rassurée. Je suis désolée d'avoir ainsi troublé vos oraisons et vous supplie de m'accorder votre indulgence...

« Ces jolies femmes sont émotives », se dit Garreau en la suivant des yeux... « Mais combien charmantes... »

Il ne la voyait pas tuant quelqu'un.

Et pourtant...

*****

En arrivant chez Mlle d'Hourredanne où la lecture était déjà commencée, Angélique trouva tout le monde en larmes y compris Honorine.

M. de Clèves venait de mourir.

Il était mort de désespoir d'amour. Les aveux que Mme de Clèves lui avait faits de sa passion pour M. de Nemours l'avaient frappé au cœur aussi sûrement qu'un poignard.

– Je vous l'avais dit : n'avouez jamais ! s'écria Ville d'Avray. Cette sotte se confesse et tout le monde en meurt. Joli résultat : de toute façon, il n'y avait rien de grave dans tout cela... Rien !

En amour rien n'est grave, ni ne mérite qu'on se donne la mort et qu'on se prive des bienfaits de la vie...

On pensait trop dans cette ville. On y vivait trop. On y aimait trop. Le vent sifflait.

– Maman, intercédait Honorine, maintenant que Banistère est devenu gentil, peut-être pourrais-tu délivrer le chien ?

Angélique avait la tête qui éclatait.

*****

La confection d'une soupe aux fèves qu'elle élabora le lendemain avec la Polak lui ménagea un temps de répit.

À elles deux, elles dénudèrent activement plus d'un boisseau de fèves. La première peau enlevée, les légumes furent plongés dans l'eau bouillante salée où trempaient des brins de sarriette. Puis on les égoutta et une certaine quantité en fut réservée pour la garniture.

Énergiquement, le reste fut pilé dans des mortiers de bois et la purée, ainsi obtenue, allongée avec l'eau de cuisson. Après un nouveau bouillon dans le chaudron, le potage fut passé à l'étamine dans un autre récipient.

Angélique et Janine discutèrent sur la quantité à délayer dans du lait froid d'une farine anglaise que La Polak gardait cachée et qu'elle ne réservait qu'à des préparations de qualité. Ce produit extrait d'un rhizome exotique et que les « yenglish » appelaient arrowroot, elle l'estimait meilleur pour « lier » les potages que les farines ordinaires.

Le dosage s'étant révélé juste après une nouvelle ébullition qui vit le potage s'épaissir et devenir onctueux comme une crème, quantité de jaunes d'œufs furent ajoutés, plus les fèves réservées et la moitié d'une motte de beurre.

La Polak avait sa façon à elle de mener le Carême de ses clients.

– Les curés n'y peuvent rien redire, c'est du potage de pénitence : légumes et laitage.

Tout en épluchant, pilant et tournant, Angélique mettait son amie au courant de ses déboires et de ses inquiétudes.

Ce qui était réconfortant lorsqu'on parlait à la Polak, c'est que tout lui était vraisemblable. Elle ne doutait pas. Ni de votre esprit, ni de votre bon sens, ni de ce que vous aviez vu et entendu, ni de l'interprétation que vous en donniez. Elle tenait pour évidentes, acquises, toutes les manifestations que peut prendre le drame humain et ne voyait pas d'obstacle à ce qu'elles se manifestassent toutes à la fois, le danger et le miracle, l'espoir et la victoire, l'intervention du diable comme celle de la maréchaussée. Elle adhérait à tout, vous suivait dans tous vos dédales, partageait, réfléchissait, souffrait et tremblait avec vous. Après quoi, elle s'employait avec plus de fougue encore que vous-même à faire le point et à tirer des plans d'attaque et de défense. Allant et venant de son mortier à ses marmites et, de là, à son oratoire où elle alluma deux chandelles dans les chandeliers de bois doré que lui avait offerts Angélique.

– Ne t'en fais pas, frangine, dit-elle. Y a des moments comme ça dans la vie où tout vous tombe sur le râble. Quand on vous veut du bien tout va bien. Mais quand on vous veut du mal, c'est signe qu'on dérange. Et quand on dérange c'est signe qu'on est plus fort que d'autres... Et qu'il y a quelque part un enjeu d'importance à gagner. Où sont-ils ceux qui veulent ta peau ou au moins te réduire au silence ? De quoi ont-ils peur ? Que tu deviennes trop puissante ? Près de qui ? Que tu révèles leurs manigances ? À qui ? Ce soldat, il a peur qu'on apprenne son sacrilège. Et le Ronchon, il veut savoir qui a assassiné le comte de Varange. De ce côté-là, je suis tranquille. Tout ce beau monde se mord la queue. Va voir le Bougre Rouge, il peut te dire de qui te méfier et de qui prendre garde, ou te faire une petite conjuration pour les décourager. Mais, si tu veux mon avis, ça ne tourne pas si mal pour toi et je te vois bien placée.

– C'est ce que m'a dit le Père de Maubeuge.

– M'étonne pas ! Moi et les jésuites, tu vois on se comprend...

En quittant la Polak, elle leva les yeux. Au flanc de la falaise, la lune allumait des diamants aux guirlandes de glace et, sous des babines de neige, de longues dents de cristal pendaient dans l'ombre des cours et des recoins du vieux quartier Sous-le-Fort, au sommet duquel habitait le Bougre Rouge.

Elle irait demain.

Chapitre 64

Fut-elle déçue de la rencontre ?

Elle avait devant elle un petit homme fort savant mais qui ne voulait rien lui dire.

La cahute du sorcier était éclairée par une lampe de fer forgé, de celle qu'on appelait « bec de corbeau », pendue aux solives, et dans une cuve de pierre de stéatite creusée, des mèches qui trempaient dans de l'huile de baleine répandaient une suffisante chaleur.