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– Si jamais, dit La Ferté-Vivonne d'une voix pâteuse s'adressant à Nicolas de Bardagne, de l'autre côté d'Angélique, elle vous a regardé comme elle vient de regarder ce sang-mêlé, vous êtes un homme heureux. Mais je ne crois pas que vous puissiez vous en vanter. Elle est comme l'oiseau qui, évoluant avec grâce dans le ciel, se livre à l'admiration de vos regards et s'en grise, mais inaccessible, comprenez-vous ? C'est un oiseau libre, qui ne se laisse capturer que quand il le veut bien... Ah ! Que n'ai-je connu le moment où je l'ai capturée ! Je l'ai laissé passer sans comprendre... Je n'ai compris qu'ensuite... Elle ne pensait pas à moi... Elle était ailleurs... Elle s'est moquée de moi... Et pourtant elle aime bien faire l'amour. Son plaisir n'était pas une feinte et c'est sa force... C'est lui qui nous déchaîne... Elle aime bien faire l'amour...

– Taisez-vous, Monsieur, dit Nicolas de Bardagne la sueur au front, car toutes les images qu'évoquait le monologue du duc de La Ferté le jetaient dans des états alternés de fureur et de trouble.

Angélique commençait à retrouver l'usage de la parole.

– Par quelle damnation..., dit-elle, par quelle damnation faut-il que vous vous retrouviez toujours ensemble au même endroit... Vous ! Tous les deux ?

– Qu'est-ce qui vous lie à ce jean-foutre ? lui demanda Vivonne en désignant Bardagne du menton.

– Et tous les deux toujours à me poser les mêmes questions stupides : Qu'est-ce qui vous lie à celui-là ? Que vous veut-il ? Pourquoi lui ? Pourquoi pas moi ?

– Monsieur, est-ce à moi que vous venez de faire allusion en parlant de jean-foutre ? demanda Bardagne en fronçant les sourcils.

– À qui voulez-vous que je fasse allusion ?

– Vous êtes pris de boisson, je crois !

– Vous aussi !

– Peut-être, mais il ne m'arriverait jamais, dans le pire état, d'oublier la déférence que je dois à la fonction de certaines personnes. Je suis chargé de mission du Roi, Monsieur, et votre langage à mon propos me semble prouver que vous l'avez oublié...

– Oh ! Vous vous voyez bien gros, Monsieur, persifla le duc. Et moi, je vous vois plutôt jobard en cette affaire. Je connais le Roi et quelque chose qu'il n'a point dit se cache derrière ce choix qu'il a fait de votre personne, car plus je vous connais, moins je comprends les qualités qui ont pu retenir son attention. Il a fallu que vous soyez très, très recommandé... Et je ne vois pas par qui ? Qui, à ma connaissance, aurait pu prendre le risque...

Bardagne l'interrompit avec un froid mépris.

– Monsieur, vous vivez dans un monde où l'on ne peut guère monter sans être cautionné, car la valeur n'a point de part dans le motif de cette ascension. Il n'en est heureusement pas de même partout et ma carrière était suffisante pour me recommander au Roi et lui inspirer confiance en ma personne. Sachez, Monsieur, – et Nicolas de Bardagne se redressait avec dignité – que j'ai été plusieurs années représentant du Roi à La Rochelle pour les affaires religieuses et c'est une position dont vous ne pouvez contester la gravité... Surtout en notre temps où la conversion de tous les huguenots de France est souhaitée par le Roi, problème auquel il apporte tous ses soins...

– Qui donc m'a dit que vous aviez manqué d'énergie à La Rochelle ? Vous peut-être, après tout ! Un jour où vous étiez en veine de confidences. Pas assez d'abjurations, paraît-il, pas assez d'arrestations !

– Monsieur, ces questions de conscience religieuse ne peuvent se traiter brutalement. Pour une conversion, il faut le consentement intérieur. Je me suis évertué à me faire des amis parmi les huguenots...

– Et vous vous êtes retrouvé à la Bastille à ce que je crois... Oui, Monsieur, vos protections ne doivent pas être négligeables. Pour, après de si évidentes erreurs, vous avoir tiré de là et nanti d'une petite mission de consolation en Canada.

– Que savez-vous de l'importance de la mission dont Sa Majesté m'a fait l'honneur de me charger ? Elle est secrète et fort personnelle.

Vivonne haussa les épaules avec un sourire de pitié.

– Que croyez-vous donc ? Je sais tout sur la mission que vous avez si brillamment menée pour le Roi. Vous deviez le renseigner sur un gentilhomme d'aventure qui se faisait appeler le comte de Peyrac.

– Ne parlez pas sur ce ton de Monsieur de Peyrac, intervint Nicolas de Bardagne. Devant Madame de Peyrac, c'est indécent, déplaisant.

– Vous ne vous êtes pas montré si indulgent pour ce pirate dans votre rapport au Roi...

– Comment savez-vous ce que j'ai dit au Roi ? Et comment savez-vous que j'ai déjà envoyé un rapport à Sa Majesté ? s'étonna vivement l'autre. Lui avez-vous parlé de ma lettre écrite à Tadoussac ? s'informa-t-il, alarmé, tourné vers Angélique.

– Mais non... Je ne pense pas..., dit-elle.

Le duc de Vivonne secouait la tête.

– Mon cher, point n'est besoin des indiscrétions d'une maîtresse pour que la moindre des démarches d'un fonctionnaire comme vous soit connue de tous. Il suffit de graisser la patte de vos gens. Vous avez beaucoup à apprendre sur ce point... Si on vous en laisse le temps.... Donc, nous pouvons déjà imaginer le Roi tenant votre rapport en main... Je le vois..., murmura-t-il, je le vois déchiffrant vos lignes, et combien vous l'intéressez en lui parlant de la beauté de cette femme qui accompagne le pirate.

– Je n'ai fait aucune allusion à elle, rétorqua froidement Nicolas de Bardagne, et voilà bien la preuve que vous parlez sans rien savoir et que vous me faites douter en vain de la discrétion de mes serviteurs. Vous plaidez le faux pour savoir le vrai, Monsieur, dans quel but ? Je l'ignore, mais je ne vois pas pourquoi je vous cèlerais d'aussi insignifiants renseignements. Le Roi ne s'intéressait à la femme, épouse ou compagne, qui accompagnait Monsieur de Peyrac que pour être informé s'il ne se cachait pas derrière elle une personne fort recherchée par sa police, qui aurait porté les armes contre lui dans une rébellion de province. J'ai pu répondre à Sa Majesté que non... et c'est tout...

Le « c'est tout » fut noyé dans l'explosion de l'énorme éclat de rire qui s'empara de Vivonne et dont le fracas couvrit presque les miaulements, sifflements et roulements terrifiants de la tempête.

Après s'être tenu la panse à faire croire qu'il allait éclater, il émit, entre deux hoquets :

– Monsieur ! Monsieur, je réitère ce que j'avançais ce tantôt... Vous connaissez mal notre Roi.

– En quoi donc, je vous prie ?

– Assez ! dit Angélique.

Si elle n'avait pas été tellement ivre, elle aurait sauté toutes griffes dehors à la gorge de Vivonne pour le faire taire. Mais grâce à la boisson, elle pouvait considérer de haut les incidences d'un débat qui la mettait en cause de la plus inquiétante façon. Il fallait pourtant faire comprendre au duc que la plaisanterie avait assez duré.

– Si vous continuez de rire et si vous dites un mot de plus... Je vous... Je me vengerais de vous, assura-t-elle en lui dédiant un regard meurtrier.

Sous ce regard Vivonne finit par se calmer, mais il pouffait, comme ne pouvant se retenir, et s'affalait exprimant qu'il n'en pouvait plus d'avoir trop ri.

– En quoi donc, je vous prie, mon rapport pécherait-il pour ne pas satisfaire le Roi ? insistait Bardagne, très nerveux.

– Eh bien ! Disons..

Vivonne pouffa encore en regardant Angélique de côté

– ...il n'est peut-être pas assez... complet... Le Roi aime les détails... souvenez-vous, beaucoup de détails... surtout sur les jolies femmes...

– Assez ! répéta Angélique.

Le jeune Desforges riait bêtement et servilement car il ne devait pas plus comprendre que les autres ce qui réjouissait tant le grand seigneur.

– Je suis désolé pour vous, désolé, continuait ce dernier. Je ne peux m'empêcher d'avoir un pressentiment à votre égard, cher Bardagne. Parce qu'un calamiteux de votre espèce, lorsqu'il est au service du Roi, savez-vous ce qui lui arrive quand... il... déplaît... Ou je ne connais pas le Roi, ou...