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– On l'a vu, votre putois, Pacifique Jusserant, dit-elle en s'adressant à son beau-père après un bref salut. Comme vous l'aviez prévu il est venu rôder une nuit autour de son habitation, mais il n'y a pas pénétré, il se méfiait. Il a disparu soudain.

– Qui l'a vu ?

– Moi, dit-elle.

Pressée de questions, elle dit qu'elle avait monté la garde quelques nuits dans un affût à canards rapetassé. Le jour, elle envoyait un gamin, pour la récompense de quelques sols. Bref, une nuit, elle l'avait vu le « donné » du Père d'Orgeval sortant des bois. Il avait surgi, venant du sud, en avançant péniblement sur ses raquettes qui enfonçaient dans la neige molle. Il s'était arrêté comme flairant le vent à quelque distance de son habitation, puis se ravisant il s'était reculé et était rentré sous le couvert des arbres.

– Il se méfie comme un renard, grommela Macollet en se levant et en commençant d'enfiler sa houppelande et ses mitasses. Et pourquoi ? Qu'est-ce qu'il porte avec lui qu'il craint tant qu'on lui prenne ? A-t-il déjà traversé le fleuve sous Québec ? Il n'aurait pu le faire sans être signalé.

– Et aujourd'hui ça risque plus que jamais, dit la femme. Les courants vous entraînent et les glaces vous écrasent.

– Comment êtes-vous passée, vous ? s'enquit le vieux en lui jetant un regard aigu sous la broussaille de ses sourcils touffus.

– Avec le canot du vieil Antoine, un fou de votre espèce. Mais savoir, ajouta-t-elle, s'ils avaient navigué ou joué au saut de la puce d'un glaçon à l'autre, ça elle n'en décidait pas.

– Vous auriez pu y laisser votre peau, ma bru, fit-il d'un ton acerbe.

– Et ça vous aurait fait bien plaisir, beau-père, répliqua-t-elle de même.

Angélique voulait la retenir, l'engageant à se restaurer. Mais elle refusa et elle redescendit vers la porte en ramenant autour d'elles ses châles. Son bonnet blanc, serré au menton, laissait entrevoir une chevelure châtain clair, mais déjà entremêlée de fils blancs. Pourtant elle ne devait pas avoir beaucoup plus de trente-cinq ans. Angélique l'accompagna jusqu'à la porte.

– Je suis contente de vous connaître, Sidonie, et je vous remercie. N'auriez-vous pu confier le message au vieil Antoine plutôt que de vous risquer à traverser le fleuve qui devient dangereux ?

– Le beau-père m'avait dit de ne jaser de l'affaire à personne, fit-elle en désignant du pouce derrière elle Éloi Macollet, et que cela ne devait pas sortir d'entre nous.

Elle examinait Angélique et la jaugeait d'un regard sans douceur.

– Ainsi c'est vous la Dame du Lac d'Argent ? Vous qui avez réussi à retenir ce petit vieux au logis ?

– Il n'est ni petit ni vieux, répliqua Angélique qui aimait son Éloi. Et je ne vois pas pourquoi vous voudriez lui faire mener une existence de vieillard. Il demeure d'une santé et d'une vigueur peu communes, il a encore tué au couteau, à l'automne, un de ces grands ours gris si dangereux. Et il pourrait en remontrer à bien des jeunes hommes...

– Oh ! Ça oui ! À son gars, mon époux par exemple. Ça oui, après ce scandale de Noël avec la veuve et les deux filles, ça on peut le dire, il pourrait en remontrer à des jeunes.

Elle ajouta avec amertume.

– ... Avec lui, au moins, on peut être sûre de gagner un enfant.

Chapitre 70

Sur le mur du verger de Mlle d'Hourredanne se dressait dans l'ombre la haute stature du chef abénakis Piksarett. Il regardait au loin, vers le nord.

Le fleuve craquait, emplissant la nuit de sa rumeur. La lune n'était pas encore levée. Le ciel était d'un bleu sombre de métal, si bleu que les étoiles en portaient le reflet et brillaient bleues comme un regard pur.

Vêtu de sa grosse fourrure d'ours, Piksarett ressemblait à un héron avec ses longues jambes maigres d'échassier.

De sa lucarne, la servante anglaise l'observait. Elle songeait vaguement à ses enfants disparus et elle fut prise d'une nostalgie pour le bébé qu'un Indien, lors de sa capture, un Abénakis comme celui-là, lui avait arraché des mains, pour le fracasser contre un arbre.

Elle souhaita lire quelques versets de la Bible. Elle était effrayée des turpitudes papistes dans lesquelles elle se trouvait plongée et plus effrayée encore de sentir qu'elle commençait à y prendre goût, jusqu'à aimer ouïr la lecture d'histoires amoureuses en français.

À l'étage au-dessous, Mlle d'Hourredanne surveillait aussi le Narrangasett.

« Que se passe-t-il ? Que craint-il ? Il a marqué son visage de peintures de guerre. Ce n'est pourtant pas le temps où les partis iroquois commencent à entrer en campagne. »

Elle écrivit quelques notes, mais quand elle releva les yeux, la grande silhouette de héron s'était envolée.

Cantor ouvrant les yeux le vit à son chevet, ses tresses d'honneur hérissées de chaque côté de sa face anguleuse et les trois plumes d'aigle plantées dans sa chevelure effleurant les poutres du réduit où couchait le garçon.

– Celui qui apporte le malheur arrive, chuchota l'Indien. Viens sans bruit, je vais chercher ton frère.

Il disparut comme un fantôme. Cantor s'asseyant sur sa couche chercha ses bottes en tâtonnant et les enfila, se vêtit.

– Eh quoi ! lui chuchota Éloi Macollet en surgissant de son coffre banc-lit, alors qu'il traversait la grande salle à pas de velours, est-ce que ce renard rouge couvert de médailles et de chapelets s'imagine qu'il va m'éliminer comme un vieux croûton à l'heure où la chasse commence ? Hé, fieu ! C'est moi qui ai levé le gibier...

Mlle d'Hourredanne les vit passer tous les trois.

Piksarett descendait la rue de la Fabrique. À mi-côte, il s'insinua dans une ruelle adjacente, faisant signe à ses compagnons de l'attendre.

– Ces sournois d'Indiens, parfois, à faire les mystérieux, ils vous donnent envie de les tuer, chuchotait Macollet impatient. Mais il faut les croire, mon garçon, parce qu'ils ont le sens. C'est de nature. Tiens, regarde où il est maintenant.

Piksarett surgissait au sommet d'un toit. Sans même déplacer un souffle de neige, ni détacher un glaçon, à la frange des gouttières, il gagnait la lucarne des combles ; et grattait aux carreaux de papier huilé.

Florimond qui dormait du sommeil du juste, mais sans perdre ce sentiment de veille qu'enseigne la vie des bois, se dressa sur la couche de balle d'avoine où il reposait près de la très accorte fille du mercier. Celle-ci avait clos ses jolis yeux bleus. Quand, au début de la nuit, il avait gratté aux carreaux, elle lui avait ouvert sans trop de mauvaise grâce. Peut-être demain irait-elle sangloter dans un confessionnal, mais pour l'instant, elle dormait elle aussi du sommeil profond de la jeunesse avec sur son frais minois une expression de béatitude.

Florimond se leva sans bruit. S'agissait-il d'un nouveau galant de la belle que l'on disait peu farouche ? La rencontre serait piquante.

Il découvrit la face bigarrée de Piksarett qui s'interposait entre lui et la clarté opaline du firmament.

L'Indien ne fit qu'un signe : Viens !

Au carrefour, Anne-François de Castel-Morgeat qui promenait sa mélancolie par les rues, ou qui revenait, comme son ami, d'un rendez-vous galant, les rencontra et demanda à les accompagner.

– Où va-t-on et que sais-tu, capitaine ? interrogea Éloi Macollet en guignant du coin de l'œil l'Abénakis.

– Il vient ! C'est tout ce que je sais, répondit Piksarett songeur. Mais sa ruse est grande. Pour commencer, il faut descendre au port.