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– À la bonne heure ! Je vous retrouve, mon cher ami de La Rochelle, fringant, content de vivre.

Il secoua la tête avec mélancolie.

– Non ! Hélas, quand vous parlez ainsi, il m'est impossible de me reconnaître... Vous avez fait de ma vie insipide et légère une étrange fête douloureuse et enivrante. Étais-je né pour ces tourments ? Je ne sais. Mais je ne reviendrai jamais en arrière. Et maintenant, il va falloir survivre ! Quelle douleur !

– Pour commencer vous allez traverser l'océan et repasser en France.

– Ah oui ! La traversée... Quelle chose affreuse ! Vous avez raison. Voici un excellent dérivatif aux peines de l'amour. Et ensuite, il faudra affronter Versailles...

– Vous noircissez votre position. Si le Roi s'est montré clément à notre égard, que pourra-t-il vous reprocher ?

– Vous vous leurrez... Ma position ne dépend pas du choix que fera le Roi de vous pardonner ou de vous condamner. Quelles que soient les décisions de Sa Majesté à votre endroit, qu'Elle se félicite de pouvoir vous rappeler près d'Elle, ou au contraire de vous avoir retrouvée pour laisser retomber sur vous son sceptre justicier et pour montrer au monde quel prix doivent payer ceux ou celles qui lui sont rebelles, moi je ne serai toujours en cette histoire qu'un fonctionnaire ridiculisé, qui s'est laissé gruger et qui, par des affirmations pour lesquelles il n'avait pas pris assez de garanties, a révélé son incompétence. Nulle issue pour moi autre qu'une entrevue où je n'aurai qu'à baisser le front et à subir le sarcasme royal. Notre souverain sait fustiger.

– Soit ! Mais pour votre aide en ce pénible moment, j'aimerais vous donner un viatique. Souvenez-vous, Nicolas, si méprisant et acrimonieux qu'il se montre à votre égard, que le Roi a partagé avec vous un rêve commun, et que, dans cette partie-là, vous avez gagné car vous avez reçu plus que lui...

– Ce sera en effet, consolant, dit Bardagne en relevant la tête.

Et ses yeux brillèrent.

– Peut-être le considérant dans sa gloire, le Roi m'inspirera-t-il, en tant qu'homme, un peu de pitié.

– Voilà qui est bien pensé ! Et je me targue que ce souvenir vous aidera à demeurer digne et froid devant lui.

– Éviterai-je la Bastille ? soupira-t-il, je ne souhaite plus qu'une chose, me retirer dans mes terres.

Comme la veille, il parla de ses aspirations au calme des champs, à l'intimité de sa gentilhommière. Il en sentait à l'avance le baume sur ses blessures seul apte à en calmer la douleur lancinante. Il retrouverait avec joie sa bibliothèque, fort bellement constituée d'œuvres de choix par un aïeul ami des belles-lettres et qui avait connu Montaigne. Ses serviteurs qui l'aimaient se réjouiraient de le revoir dans la demeure familiale délaissée. On y avait toujours fait bonne chère. Le voisinage n'était pas déplaisant. Il se promènerait, retrouverait des coins de forêt, des vallées, des coteaux dont la pensée le réjouissait comme celle de revoir des amis. Toutes les saisons du Berry étaient douces, même l'hiver, blanc, léger.

– J'augure bien de vos projets, lui dit-elle après l'avoir écouté, et je vous quitte presque envieuse des jours que vous vous préparez dans votre campagne et rassurée sur votre compte. Votre finesse d'esprit et votre goût épicurien du plaisir vous aideront à vous bâtir une existence des plus heureuses.

Elle lui mit les bras autour du cou.

– Au revoir, mon vaillant saint Michel !

– Pourquoi saint Michel ?

Mais la réponse lui importait peu. Tout ce qu'elle disait d'imprévu, de fou et de charmant, il ne pouvait l'accueillir sans basculer dans un monde flou et trouble, enchanteur et cruel à force d'être inaccessible, à force de s'éloigner lentement vers le fond d'un horizon où il ne la rejoindrait plus. Et paraissait soudain bien fade l'avenir qui l'attendait, là-bas, et qu'il venait de décrire avec satisfaction. Il fallait s'arracher d'elle ! Il le FALLAIT...

Des deux mains, il repoussait la chevelure d'Angélique de chaque côté de son visage afin de l'isoler dans le creux de ses paumes, d'embrasser d'un suprême regard son front, ses yeux, sa bouche un peu chaude, un peu déformée car gonflée par l'acharnement de leurs baisers. Jamais il ne pourrait s'arracher ! Jamais ! Mais il le FALLAIT !

Et d'une voix brisée, comme succombant sous le poids d'un sentiment à la fois délectable et déchirant où bonheur et tristesse infinis se mêlaient :

– Doux cœur ! Adieu ! Vous avez ravi mon âme !

Chapitre 79

Angélique remontait par les plaines d'Abraham et à cet endroit même où elle avait failli mourir, elle s'arrêta. C'était le matin et l'air avait une douceur fraîche au parfum de fumée. Les longues coulées de neige s'amenuisaient. Si la journée était tempérée, le soleil chaud, elles disparaîtraient à vue d'œil en s'évaporant.

À cet emplacement, la terre était piétinée, la boue malaxée par le va-et-vient des bottes se révélait plus sombre en certains endroits.

Angélique considéra ces seules traces du combat de la nuit et fut prise d'une éperdue reconnaissance vers la bonté du Ciel à son égard. Elle était en vie et les autres étaient morts. Jamais elle n'avait cru si proche sa dernière heure.

Elle se remit à marcher, en serrant contre elle, en elle, comme un trésor précieux ce mot : la vie. La vie qui d'un instant à l'autre peut vous être retirée, la vie, don sans pareil, qu'elle possédait encore, qui rendait souple et heureux son corps. Le matin gardait les reflets du soleil levant. Au loin des nuages bleuâtres, éclatés, s'alignaient au-dessus d'un lac de cuivre rose d'une sérénité totale et, surgissant des vallées, des brumes étales à ras de terre rosissaient. Le jour allait pâlir. Il était encore clair et frais. En contrebas, les clochers et toits de Québec dressaient leur petit peuple de girouettes et de croix.

Angélique commença de descendre vers la ville. Quelqu'un sortit de derrière un ou deux arbres isolés, parut se mettre en travers du sentier pour l'attendre. Elle posa sa main sur la crosse de l'arme que lui avait donnée Bardagne. Toute silhouette bougeant sur les plaines d'Abraham lui inspirait de la méfiance. Mais en reconnaissant le jeune Anne-François de Castel-Morgeat, elle reprit sa marche sans appréhension.

Le jeune homme la regardait venir d'un air sombre. Elle le héla et lui adressa un sourire en approchant, mais il ne se dérida pas. Elle vit qu'il était très pâle, les traits crispés et en proie à une si violente émotion qu'il ne pouvait parler.

– Que se passe-t-il, Anne-François ? s'informa-t-elle, inquiète.

Il retrouva brusquement la parole et dans l'effort qu'il fit pour cela sa rage éclata et les traits déformés de colère, il s'écria :

– Ah ! La belle partie de cartes ! On échange les rois et les dames, et le valet, qui ne compte pas, est rejeté de partout.

Puis d'une voix sourde :

– ... Supporter les hommages dont vous êtes entourée, et savoir que je nourris un rêve impossible, mais me consoler en me disant que seule votre vertu était en cause, voilà ce qui jusqu'alors m'a aidé à ne pas devenir fou. Mais vous vous êtes donnée à ce Bardagne. Lui, lui il avait ses chances... Et pourquoi ? Pourquoi ? Pourquoi pas moi ? Puisque vous n'êtes même pas une femme fidèle.

Surprise de cette brusque tirade, elle ouvrait la bouche, afin d'y répondre, mais il la devança.

– Ne niez pas. Je me promenais. Je vous ai vue sortir de cette maison là-bas...

– Vous êtes trop souvent là où l'on ne souhaiterait pas vous voir, Monsieur de Castel-Morgeat, fit-elle sèchement.

– Oh Oui ! Cela est vrai ! s'exclama-t-il avec un rire désenchanté. Je vois beaucoup trop, beaucoup trop de choses, pour mon malheur...

Il murmura en la regardant avec une douleur qui le vieillissait :