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– Je n'irai pas plus loin que la lisière de ce champ, affirma-t-il avec force. Telle est ma volonté pour te complaire.

*****

Dans le bois en face, ils avaient tressailli en voyant la main du sauvage se poser sur l'épaule d'Angélique.

– Il a porté la main sur elle !

– Il va l'emmener en captivité !

Mais le quartier-maître du Gouldsboro continuait à mâcher sa chique de tabac et à prêcher le sang-froid.

– Ne compliquez pas la mission de Madame de Peyrac. C'est une personne qui sait ce qu'elle fait, comme son époux notre amiral.

Et Jacques Vignot, le charpentier qui se trouvait parmi eux, ricana.

– Elle en a vu d'autres, l'an dernier à Katarunk. J'y étais...

Il tira sur ses cheveux.

– ...J'ai donné moins cher alors de cette tignasse-là, qu'aujourd'hui, et pourtant nous en sommes tous sortis.

Outtaké avait retiré sa main de l'épaule d'Angélique.

*****

– Telles sont mes intentions, je t'en informe. Je vais rejoindre Ticonderoga et Onontio. Mes deux grands frères français sauront-ils retenir ces bâtards de Hurons et d'Abénakis, acharnés à vouloir détruire notre peuple, le Peuple de la Longue Maison ?

– Ils les retiendront. Abénakis et Hurons leur obéiront. Outtaké, tu es resté trop longtemps éloigné du côté de ton fief de Niagara, à garder le grand sault qui protège votre vallée secrète... Tu ne vois plus comment se distribuent les forces des nations indiennes. Les Hurons, par vos coups, peut-être, mais c'est ainsi, ne sont plus qu'un peuple décimé et ne peuvent subsister qu'à l'ombre des Français. Les Abénakis sont des baptisés pour la plupart. Ils sont moins ennemis de l'Iroquois qu'alliés des Français.

– Hon ! grogna-t-il. Je me méfie des Abénakis que la Robe Noire a dressés contre nous. Ils sont nombreux, grands guerriers sans parole... Vois Piksarett, cette belette sournoise...

– Ne le nomme pas... Tu sais, toi-même, qu'il est en dehors des traités. Ne fais pas porter un trop lourd fardeau à ton peuple, par la manœuvre d'un seul. Tu connais Piksarett ? Il est comme le glouton, le diable des bois. Il est seul et ne poursuit qu'un but, le sien, et nul ne sait quel est ce but...

Les yeux du Mohawk se plissèrent jusqu'à n'être qu'une mince fente brillante et mouvante comme le mercure. C'était sa façon de sourire ou de marquer sa gaieté.

– Je vois que tu nous connais bien, tous tant que nous sommes, Indiens, peuple des forêts. Soit, je me rends à tes raisons. Je n'en veux pas à Piksarett.

– Et tu lui es même reconnaissant de t'avoir donné une raison pour venir sous Québec, manifester ta force et l'habileté de tes campagnes.

– Tu nous connais bien ! approuva encore l'Iroquois avec satisfaction.

Ses traits continuaient de s'éclairer de cette onde de sourire amusé.

– Ce fut ainsi, je n'en disconviens pas.

Il resta silencieux.

Puis il désigna le collier de Wampum à leurs pieds.

– Reprends ce collier et continue à garder par lui la parole des Mères des Cinq-Nations. On saura désormais qu'il est bon d'être de vos alliés. Et la paix pourra régner encore aux rives de la Mohawk. Et maintenant, je vais aller vers Onontio et Ticonderoga. Je vais réclamer les « rassades » et les « branches » des traités par lesquels ils doivent m'assurer de leur parole.

– Je sais qu'ils ont emporté de nombreux Wampums et plus encore de cadeaux à te remettre.

– J'aime à l'entendre. Et toi, femme, reprends ce collier. Garde-le comme un signe entre nous. Au moins, tant que tu vivras et qu'il y aura ce collier entre nous, il y aura de l'espérance. J'ai dit !

Angélique se pencha pour ramasser l'écharpe de coquillages dont le dessin sur fond blanc représentait les Mères du Conseil iroquois, rangées autour de leur présidente, envoyant une pluie de haricots destinés à nourrir les Blancs de Wapassou qui allaient mourir de faim dans leur fort de bois, isolé par l'hiver.

Lorsqu'elle se releva, Outtaké avait disparu. Il s'était effacé comme une ombre sans qu'elle ait surpris un frôlement de son pied sur le sol, ni le craquement d'une ramille écartée.

Et l'on aurait cru avoir rêvé le passage des Iroquois sans cette odeur de fumée et de chair brûlée qui montait du ravin.

*****

Son Wampum roulé sous le bras, Angélique redescendit le champ en pente. Elle se sentait légèrement abasourdie.

« Ce ne sont que de pauvres sauvages, se dit-elle, de pauvres sauvages déconcertés, inquiets, cherchant l'Étoile de leur univers bouleversé. »

Elle marchait les yeux baissés et, cette fois, elle voyait nettement, elle voyait partout devant elle ces petits brins d'herbe froissés qui pointaient entre des morceaux de glaise dure que leur force frêle avait repoussés.

– Et maintenant, la voilà qui s'en revient comme si elle était allée cueillir la primevère, chuchota le milicien confondu.

On leur avait bien dit que la Dame du Lac d'Argent n'était pas comme les autres.

« Oui ! Certain ! Elle n'était pas comme les autres ! »

Angélique découvrit le sous-bois rempli de têtes avides, de faces stupéfaites, car tandis qu'elle palabrait là-haut avec Outtaké, le contingent des défenseurs s'était grossi de tous ceux qui, pouvant porter armes, avaient couru vers les points menacés pour défendre les arrières de la ville.

– Outtaké m'a donné sa parole, leur dit-elle. Il se retire. Il épargne Québec. Il ne reviendra pas.

Comme elle revenait vers la ville, entourée de ceux qui avaient assisté à sa rencontre avec le chef des Iroquois, une femme sortit d'une maison pour se jeter à ses genoux.

– Vous êtes allée au-devant de ce barbare, comme sainte Geneviève au-devant d'Attila. Vous avez sauvé la ville comme elle sauva Paris... Dieu vous bénisse !

C'est ainsi que Mlle d'Hourredanne présenta les choses dans un courrier qui se révéla une véritable chronique heure par heure.

*****

La Haute-Ville était dans l'agitation. Il arrivait sans cesse des nouvelles de différents points de la bataille vers lesquels s'étaient portés spontanément, et sans avoir le temps de requérir des ordres, tous ceux qui, dans un instant de leur vie quotidienne, avaient été saisis, avertis, de ce qui se tramait. Certains par un pressentiment, d'autres par une odeur, une rumeur lointaine, un aspect du ciel. Avec l'Iroquois comme avec l'incendie, c'était une question de rapidité. Il fallait courir sus sans attendre...

La Basse-Ville sur son front de mer et la Mi-Ville à mi-côte demeurèrent presque à l'écart du drame malgré le tocsin. Le temps de monter s'informer et déjà les défenseurs refluaient, ramenant leurs blessés, entourant les rescapés des massacres environnants qui, par miracle, s'étaient cachés ou s'étaient enfuis à temps.

Suzanne vint au-devant d'Angélique en criant de loin :

– Il est sauvé ! Il est sauvé !

– Qui ?

– Notre Cantor !

C'est ainsi qu'Angélique apprenait en même temps qu'une escouade composée des jeunes gens de la Haute-Ville s'était portée en courant à la rencontre des Iroquois, qu'elle avait été décimée dans un combat corps à corps à coups de hachettes et de tomahawks, mais que Cantor qui en faisait partie revenait sain et sauf.

Elle défaillit de peur rétrospective et de soulagement.

– Madame, venez vite vous asseoir dans la maison.

Le jeune Alexandre de Rosny avait été tué et aussi un fils de seize ans de M. Haubourg de Longchamp.

Le but des jeunes gens qu'entraînait Cantor avait été de se porter au secours d'une bastide, construite aux avancées de Québec par M. de Peyrac, et où trois de ses hommes luttaient, interdisant le passage à coups de mousquets. Ils allaient être submergés lorsque les jeunes arrivèrent. Leur intervention avait permis de tenir en respect plus de deux cents Iroquois, sauvant ainsi les campements des Hurons de Lorette et de Sainte-Foy qui avaient eu le temps de se retrancher sous les directives des pères jésuites qui desservaient leurs paroisses.