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... Prêtre de mérite, le R.P. d'Orgeval nous a paru remarquable car seul excellant à rallumer la guerre contre les Anglais avec lesquels Nous avons signé la paix, ce qui Nous empêche de continuer à les affaiblir et à rabattre leur superbe ouvertement. Mais transposer la lutte dans les forêts du Nouveau Monde n'est point malhabile. Le Père d'Orgeval doit continuer à empêcher toute entente possible avec les Anglais... Il ne marchandera pas son aide...

À quoi le ministre avait répondu en soulignant qu'il avait bien compris les intentions de son souverain.

Vous m'avez recommandé particulièrement de réveiller l'hostilité des Sauvages pour les Anglais, de harasser les colons anglais et, si possible, de les pousser à abandonner le pays ainsi qu'à renoncer à venir le peupler...

Le Roi n'avait pas manqué d'entendre un langage qui lui convenait si bien.

– De quand date ce courrier ?

– Il nous est parvenu voici près de deux ans. Le Père d'Orgeval revenait dans le même temps et reprenait la tête des missions d'Acadie.

– Je ne m'étonne plus que nous ayons trouvé dès notre arrivée une campagne de guerre organisée et... je comprends mieux combien notre venue à Katarunk, à Gouldsboro a dû paraître à l'organisateur un obstacle fâcheux et..., aussi, je mesure le sens d'équité et... le courage dont tous les officiels de Nouvelle-France et vous-même, Monseigneur, aviez fait montre en répondant à nos propositions de paix.

– Le Grand Conseil de Québec doit, s'il veut bien remplir son rôle, être capable d'une certaine indépendance. Nous sommes isolés neuf mois sur douze.

– J'ai le sentiment d'avoir méconnu combien votre lutte avec le Père d'Orgeval a dû être âpre et délicate.

– Elle le fut... et elle n'est pas finie encore. Elle entre dans une nouvelle phase, bien que celui qui la dirige ait été contraint de quitter le champ du combat. Mais il a laissé des traces et préparé un piège...

L'Évêque remit dans le tiroir de son secrétaire le dossier contenant les lettres explosives, frappées au cachet royal.

– Voici : sur le point de quitter Québec, au moment de votre arrivée, le Père d'Orgeval m'a demandé audience. Il fut bref. Il partait, me dit-il. Il ne discutait pas sa défaite : « Vous avez fait votre choix, Monseigneur, vous et les édiles de Québec. »

« Il s'effaçait devant celui qui avait ruiné son œuvre en Acadie, le comte de Peyrac, que nous nous apprêtions à recevoir ainsi que devant cette femme qu'il avait, en vain, combattue. Nous avions tous succombé à un mal dont nous nous repentirions un jour. Il nous laissait six mois... disons avril, précisa-t-il avec un sourire froid, pour que nos oreilles et nos yeux s'ouvrent et que nous connaissions la véritable nature de ceux que nous accueillions en ce jour. Si, de nous-mêmes, continuait l'Évêque qui ne paraissait pas s'être laissé très impressionner par ces menaces proférées par le jésuite, nous ne nous étions pas alors repentis de vous avoir ouvert nos portes à vous, Madame, et à votre mari, nous serions amenés à le faire. Il avait rassemblé des documents accablants vous concernant. « En avril, conclut-il. Le temps de la réflexion. Et ils vous seront remis à vous, Monseigneur, car vous êtes la conscience de l’Église de la Nouvelle-France. Vous y trouverez soit une preuve pour soutenir l'opinion que vous vous serez faite sur les dangers de traiter avec ces gens de Gouldsboro, soit la force d'aider vos ouailles, plus faibles à comprendre qu'elles se sont laissé abuser et entraîner dans une voie désastreuse. » Avril... Nous n'y sommes pas encore, mais l'échéance approche. C'est pourquoi j'ai voulu vous rencontrer, Madame, et vous mettre au courant.

– Qui doit vous remettre ces papiers compromettants ?

– Je l'ignore... Mais ce que je vous affirme c'est que je n'en veux pas. Ni les voir ni les recevoir... Comprenez-vous ?

– Le Père d'Orgeval n'a-t-il fait aucune allusion à la nature de ces... dénonciations ?

L'Évêque secoua la tête.

– Il semblait seulement assuré qu'il me serait difficile après en avoir pris connaissance de vous conserver mon soutien.

Angélique pensait à la réflexion de Ville d'Avray à propos de « l'espion du Roi ». Il était plausible qu'un inconnu, dans la ville, attendît son heure pour se rendre chez l'Évêque et lui remettre ces rapports « accablants » dont le prélat ne voulait pas.

– Pourquoi n'avoir pas convoqué, de préférence, mon mari ?

– Pour soulever moins de curiosité. Il m'arrive de recevoir plus fréquemment ces dames de la Sainte-Famille, que Monsieur de Frontenac par exemple, ou Monsieur l'Intendant, car tout de suite l'on se demande quelle révolution de palais se prépare. Et puis, je voulais faire justice, avant de vous parler, de ces quelques histoires douteuses à votre sujet... Nous nous sommes expliqués. Vous voici donc avertie et Monsieur de Peyrac le sera par vous. Mais puis-je vous recommander la plus grande prudence, la plus grande discrétion.

– Que faire ? l'interrogea-t-elle avec angoisse.

– Je l'ignore. Pour ma part et après réflexion, je vous avoue que je ne saurais sur qui porter mes soupçons et ne veux pas m'entretenir de cela avec mes collaborateurs, car il est préférable qu'aucun bruit ne circule, je n'ai donc pu récolter leur avis. Je ne puis faire plus. Je vous ai parlé. Une femme observatrice, attentive à des nuances, peut avoir quelques idées... et aussi, pour l'avoir observé dans ses entreprises, je crois Monsieur de Peyrac fort habile à assurer lui-même sa protection.

Ce ne pouvait être plus clair.

« Trouvez ce complice du Père d'Orgeval », semblait dire l'Évêque... « Mettez-le hors d'état de nuire... »

Angélique se leva et après avoir rassemblé son manteau sur ses épaules baisa l'anneau de l'Évêque.

– Je suis touchée, Monseigneur, et mon époux, soyez-en assuré, partagera ma reconnaissance, que vous cherchiez à nous éviter de nouvelles avanies.

– Elles ne pourraient être qu'inutiles pour tout le monde et détruire ce fragile équilibre de paix que nous avons difficilement créé et réussi à maintenir quelques mois.

– Dois-je comprendre, Monseigneur, que nous avons répondu à la bonté de votre accueil par une attitude qui ne vous a pas déçu et que vous vous réjouissez de notre présence parmi vous ?

Il envisagea sa beauté de femme qui semblait s'ignorer et n'en avait que plus de pouvoir. Elle était différente. C'était indéniable. Il ne pouvait s'empêcher de penser que grâce à elle l'hiver avait été moins gris, la joie des cœurs plus chaude. Il répondit avec un demi-sourire.

– Pour un hiver... oui !

La loyauté et la franchise de l'Évêque lui avaient fait plaisir. Il ne boudait pas son sentiment et sa raison qui lui faisaient trouver agréments et bienfaits en la présence du comte et de la comtesse de Peyrac. Il ne cachait pas non plus qu'il ne les considérait pas l'un et l'autre comme de tout repos, mais... « Pour un hiver... oui ! »

L'été revenu, ils partiraient.

Vers quel horizon ? Cela importait peu. L'Évêque souhaitait que la séparation se fasse dans la paix et accompagnée de projets positifs d'alliance. Pour lors, il n'était pas du tout disposé à voir surgir de nouveaux éléments de discorde.

Il fallait lui rendre le service de subtiliser à temps les pièces de ce dossier, mais malgré la confiance qu'il semblait avoir dans l'habileté de Peyrac à découvrir qui les possédait, c'était un peu rechercher « une aiguille dans une botte de foin ».

Avant d'en parler à son mari, Angélique songea au Bougre Rouge.

« Il est voyant et tellement savant. Et il connaît tout de la ville et de ses mystères. »

*****

Le quartier Sous-le-Fort avait souffert de la tempête. Des toits misérables avaient été arrachés, des pilotis rompus. Les résidents de l'endroit s'agitaient du haut en bas de leur falaise comme des fourmis, rapportant de la scierie des planches et des poutres neuves, jetant à bas la neige et la glace qui les avaient ensevelis.