Выбрать главу

En passant, elle demanderait à Boisvite de son alcool de poires. Elle le verserait dans du lait très chaud avec du sirop d'orgeat. Ayant bu, elle s'insinuerait dans son lit, les rideaux de l'alcôve bien tirés.

Et puis, elle dormirait, dormirait, dormirait...

Elle entendit la voix de Sabine murmurer :

– Il faut que vous le sachiez, Angélique... Il faut que vous n'en doutiez jamais... Pour lui, il n'y a que vous, que VOUS.

Chapitre 86

– Qu'on me trouve Éloi Macollet et si possible, que personne ne lui apprenne la triste nouvelle avant moi.

La mort de Cyprien Macollet, son fils, avait été confirmée.

Macollet arriva en sifflotant une chanson de route.

Les événements dans la bonne tradition printanière le rendaient guilleret.

Il revenait de l'île d'Orléans et ne savait rien.

– Vous a-t-on informé, lui demanda Angélique, qu'un parti iroquois, des Oneïouts, ont traversé le fleuve et causé du malheur sur la côte de Lauzon ?

Il s'arrêta de siffler et s'assombrit.

– Nenni ! J' savais point.

– Votre fils est mort, Éloi.

Elle lui conta aussitôt comment le gros et paisible corroyeur avait tenu tête aux sauvages plus de deux heures. Il avait couru d'un coin à l'autre de sa demeure barricadée pour enfiler le canon du fusil dans tous les interstices des murs qui en étaient troués convenablement aux bons endroits comme il se doit pour une habitation de colon canadien.

Par la fin, les barbares avaient réussi à défoncer la porte, s'étaient emparés de l'enragé défenseur, l'avaient tué à coups de hache et de tomahawk, et scalpé.

– Votre fils vous avait déçu, Éloi, mais il est mort en héros, bien digne de vous.

Il l'avait écouté debout, en silence.

– Ce n'était pas un mauvais gars, fit-il, mais l'on n'était pas plus père et fils qu'un cerf des bois ne l'est d'un bœuf de labour. Je l'avais conçu pour ainsi dire par ordre du Roi, comme j'avais été contraint d'épouser la mère. Fallait obéir aux ordonnances. Si passé dix-huit ans, un gars n'avait pas convolé, il était mis à l'amende. On me retirait mon permis de voyageur, on me reprenait ma concession et jusqu'aux terres que j'avais acquises avec mes deniers. Bon ! Je me suis marié avec une Fille du Roy. Elle a pas eu à se plaindre. Je lui ai donné la ferme, je lui ai fait un enfant, mais sitôt l'affaire réglée, je suis parti aux Grands Lacs pour plusieurs années. La fille que j'avais épousée devait être vaillante, car elle a bien fait prospérer la métairie et bien élevé son fils. Je suis revenu de temps en temps. Mais c'est surtout après qu'elle fut morte que j'ai renoué avec le gars. Il était marié déjà.

Il se tut. Puis interrogea à voix basse.

– Et la Sidonie ?

– Elle ne l'a pas quitté durant la bataille, lui passant les armes chargées. Quand les ennemis sont entrés, elle s'était réfugiée dans le grenier dont elle avait relevé l'échelle. Par la trappe, elle tirait sur eux ses dernières munitions. Avant de grimper, elle avait rempli et emmené avec elle un pot de braises. Quand elle n'eut plus de cartouches, elle lança par l'ouverture, dans la salle, des bottes de paille sur lesquelles elle jeta les braises. Le feu prit. Renonçant au pillage, les Indiens s'enfuirent. Alors elle a remis l'échelle, elle est redescendue et elle a réussi à coups de seaux d'eau du puits à éteindre l'incendie.

Il l'avait écoutée, haletant.

– Alors ! Vivante ?

– Vivante.

– Merci à Dieu ! s'écria-t-il.

Il se laissa tomber sur un escabeau.

– ... J' vous l'avais dit, c'est du chiendent, la Sidonie !

Il tournait son bonnet rouge machinalement sur sa tête scalpée.

– C'pays de malheur ! C'pays de malheur ! répéta-t-il.

Puis les larmes lui jaillirent des yeux.

Quand il eut pleuré tout son saoul, il releva la tête et vit, à travers ses yeux brouillés de larmes, Angélique assise près de la table, et son chat sur la table, qui le regardaient tous deux du même regard songeur, doux et compréhensif.

– Macollet, c'est vous qu'elle aime, dit Angélique. Elle vous a toujours aimé et, je ne sais si c'est une idée erronée de ma part, mais les femmes ont souvent de si bizarres détours dans leur conduite quand le sentiment les guide, je me demande si elle n'a pas épousé votre fils pour se rapprocher de vous... attirée par vous... votre réputation. C'était créer une situation sans issue... Elle vous aimait et ne le savait pas... Elle ne vivait que quand vous étiez là et tout le temps vous filiez aux bois ou alors vous couriez après les voisines. Vous ne pensiez pas à elle. C'était votre bru. Maintenant, elle est libre. Et même si vous ne le saviez pas, il y a un instant, vous l'aimez aussi, je viens d'en voir l'aveu sur votre visage.

– Vingt dieux ! jura-t-il, les curés vont crier à l'inceste.

– Vous n'êtes père que par alliance... Vous pouvez l'épouser...

Il secoua la tête.

– Ça ne peut pas se faire. Un vieux et une jeunesse.

– Bast ! Un vieux qui ne dédaigne pas tant que ça les jeunesses à ce qu'il m'a semblé ! Macollet, cela ne vous empêchera pas de repartir aux bois tant que vous serez capable de pagayer sur les rivières et de porter votre canot sur la tête... Mais au moins, à cette femme de trente ans qui s'est consumée pour vous, vous lui aurez donné un enfant... C'est ce qu'elle m'a dit.

Éloi Macollet se dressa, retrouvant sa vivacité habituelle.

– J'promets rien d'avance ! Mais faut que j'aille voir ça de plus près... De toute façon, avant de m'en aller, je dois lui donner de l'aide pour rebâtir la maison.

Maintenant Angélique allait-elle pouvoir pleurer pour son compte ?

Mais une silhouette d'ours s'encadra dans la porte ouverte, obstruant l'entrée. C'était Eustache Banistère.

Le chat, qui s'était levé pour accompagner Angélique à son appartement, se remit en boule, ramenant l'une contre l'autre ses petites pattes fourrées. C'était un manège qui durait depuis le matin et qui avait commencé dès la première heure avec l'arrivée des blessés qui venaient montrer leurs blessures, puis de gens en larmes qui venaient conter leurs deuils, et qui avaient tiré du lit Mme de Peyrac, laquelle, rentrée fort tard la veille de Saint-Joachim, avait pu quand même dormir quelques heures d'un sommeil sans rêves.

Le visiteur du moment, c'était Eustache Banistère à peine sorti de l'hôpital. Une fois qu'il eut ramené la lumière à l'intérieur de la pièce, en franchissant le seuil et en dégageant la porte pour s'avancer de quelques pas, il annonça qu'il n'avait pas voulu partir pour les Grands Lacs sans saluer Mme de Peyrac, son ex-voisine. Il lui montra le document qu'elle lui avait obtenu établi par d'Avrensson.

Lieutenant Général pour le Roi en la Nouvelle-France, représentant Monsieur de Frontenac empêché, certifie avoir donné congé au Sieur Banistère, lui signifiant d'accompagner les Sauvages, du lieu dit Sault-Saint-Louis jusqu'au lac des Illinois et au-delà jusque, et si longtemps qu'il le jugera à propos pour le service du Roi et le bien du pays, et pourra aller ou envoyer hiverner avec eux, s'il y trouve sa sûreté et quelque avantage pour le bien public. Fait à Québec le 10 mai 16..., signé Duqueylac d'Avrensson et signé de ses armes.

Le tout était contresigné par l'Évêque et par le nommé Basile, négociant, qui le commanditait.

Banistère emmenait son aîné avec lui.

Auparavant, il avait fait son testament.