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— C’est pris à l’infrarouge, fait-il en les présentant à Bérurier, donc c’est un peu écrasé.

Le Mammouth examine les documents. Ils montrent le type de l’impasse en gros plan avec, à son côté, mais en léger décrochement, la femme.

L’homme a la trentaine, avec une gueule pas sympa. Il porte un imper clair à épaulettes officières. La fille pourrait être châtain ou rousse (semble-t-il). Elle bouffe la vie avec une bouche grande comme celle de Fanny Ardant peinte sans doute d’un rouge foncé. Elle a des yeux pâles, une gueule pétassière, les pommettes proéminentes. Elle est vêtue d’un manteau trois-quarts en fourrure.

— Bioutifoule boulot ! apprécie le Gravos. Où l’aviez-vous-t-il logé, c’t’appareil photo ?

— Dans le capiton du couvercle ; il se déclenche cinq secondes après l’ouverture du coffre, à raison d’un cliché par seconde. La lumière de la malle n’est plus branchée sur une batterie de 16 volts, mais sur un petit générateur à infrarouge logé dans la boîte à outils.

Ces explications font bâiller Béru que les techniques laissent froid.

— Merci, en tout cas, fait-il ; j’croive qu’mon nouveau dirluche va t’êt’ content.

Il rote en puissance sa choucroute du soir, saisit la main de l’hôtesse et, comme son mari a déjà gagné la cour afin de le raccompagner, la frotte sur sa queue toujours très présente en chuchotant :

— Comme vous le voiliez, on pense t’à vous ! Alors, pensez t’à nous !

CHAPITRE QUATRE

À LIRE DEUX FOIS PLUTÔT QU’UNE !

Y travailler, c’est dur.

Mais y dormir ?

Hein, y dormir ?

Une de mes sottes idées. Une de plus ! J’ai décidé de roupiller à la Grande Taule deux nuits par semaine. Pour cela j’utilise le baisodrome du Dabe où, malgré l’aération, restent concentrées en un cocktail olfactif toutes les fragrances des plus illustres parfumeurs de Paris. La pièce est toute petite : dix mètres carrés à peine. Tendue de velours bleu Klein et meublée d’un canapé aisément transformable en lit, recouvert de velours rouge. Quand il est ouvert, les draps blancs s’adjoignant au décor, tu crois dormir dans les plis d’un immense drapeau français. Une petite penderie où se trouve logé un réfrigérateur, plus une salle de bains de cocotte, et voilà le nid d’amour paré. C’est le genre d’endroit délicieux pour la baise de l’après-midi, quand tu ramènes une sœur de chez Lasserre aux papilles éblouies, mais pas conforme à un lieu destiné au sommeil réparateur. Malgré la petite fenêtre ouverte (qui donne sur la cour de l’usine Pébroque), j’étouffe.

Je me force toutefois à y passer la noye afin de mieux m’incorporer à ma nouvelle vie de grand chef. Je suis le commandant, tu comprends ? Il doit y avoir osmose parfaite entre la formidable maison et celui qui la dirige.

Parfois, je me lève, vais lancequiner, bois un Coca light et pénètre dans le grand burlingue silencieux. J’aperçois les lumières de la ville à travers les grandes fenêtres ; j’entrouvre la porte matelassée donnant sur l’escalier et la rumeur de la boîte monte jusqu’à moi. Les sirènes, dehors, qui viennent mourir au sein de la bâtisse, les protestations des loustics qu’on propulse dans la cage à poules, des échanges de saluts entre mes hommes, réverbérés par la grande cage sonore, parfois une gueulée hystéro de femelle en rogne. La Poule, quoi !

Je me gratte les fesses. Je suis nu dans le solennel cabinet de « Môssieur le Directeur », because la chaleur du baisodrome. Je viens m’asseoir dans le nouveau fauteuil pivotant. Mes couilles se collent sur la surface lisse et fraîche et mon paf s’alanguit. Je le délaisse un chouïa depuis ma promo. C’est ça, gouverner, que veux-tu. L’homme suroccupé néglige le cul. Les honneurs engendrent l’impuissance, si tu n’y prends pas garde. Je vais devoir mettre le holà !

Je regarde la pendulette, sur le bureau. Elle indique trois plombes et vingt broquilles. C’est pas une heure, ça ; ni pour le jour, ni pour la nuit. Ça ne représente rien. Il s’agit d’un temps intermédiaire sans grande portée. Un moment de désœuvrance obligatoire qui permet du moins à l’homme de constater son insuffisance originelle.

L’envie me biche de filer un coup de turlu à Félicie. Mais ce serait charognard de la réveiller ; ensuite elle ne se rendormirait plus. Alors je renonce.

Le bristol sur lequel Mathias a noté les indications concernant les meurtres de l’obsédé sexuel est toujours là, assez semblable à un menu de restaurant aux propositions alléchantes.

Je parcours la liste des trois pauvres prostituées flinguées de si horrible manière. La dernière (la nôtre, les deux autres appartenant à la province) tapinait à Maillot.

Qu’est-ce qui me prend, tout à coup, de me sabouler en vitesse ?

— Vous étiez ENCORE ici, monsieur le directeur ! s’exclame le planton en me voyant franchir le seuil de la Maison Gare-aux-Taches.

— Oui, mon bon, et je vais y revenir !

Le moteur de ma 500 SL émet son hennissement de joie. J’enclenche et la bête a un rush que je maîtrise aussitôt ; mais j’ai savouré cette poussée qui ne doit rien à Archimède et qui plaque ton dossard sur le cuir du siège.

Je suis la Seine en direction de Saint-Cloud. Mais ce n’est pas à la maison que je rentre. O maison de ma mère ! O ma maison que j’aime.

Quand je quitte la voie sur berge, les artères sont pratiquement désertes. C’est jouissif, Paris, quand il est vide. T’as envie de t’en goinfrer. Je champignonne un peu, pour renouveler mes chères petites poussées délectables. Panard de remplacement.

Maillot. J’enquille le sous-bois au ralenti. Des silhouettes font le pied de tu sais quoi ? De grue, mon pote ! Ma somptueuse tire les énerve. Ces dames pensent que le gonzier qui roule dans ce genre de tilbury doit avoir de l’osier plein ses boîtes à gants.

Je stoppe à la hauteur d’une nière en parka fourré et après-ski montants, coiffée d’une toque de fourrure blanche. Elle fait « Docteur Jivapa » pour noces et banquets.

— Tu m’emmènes, Chouchou ? demanda-t-elle après avoir inséré son minois tapé par la portière.

— Monte !

Elle se coule auprès de moi et glousse :

— T’en as une belle charrette, Chouchou !

Moi, s’il y a deux choses que je ne supporte pas d’une femme, c’est qu’elle ait ses ragnagnas et qu’elle m’appelle « Chouchou », et puis aussi qu’elle fume, mais à la rigueur, si elle possède un beau cul, je peux lui pardonner cette troisième infirmité le temps d’un coït.

— Y a longtemps que tu fais le truc dans le quartier ? lui demandé-je.

— Trois, quatre ans, pourquoi ?

Je tire de ma fouille un talbin jaune pisseux illustré d’un Pascal profondément perplexe, étant pris en train de phosphorer sec à propos de l’équilibre des liquides.

— Je préfère que tu me tailles une bavette plutôt qu’une pipe, lui dis-je en laissant tomber la coupure sur ses genoux.

Elle sourcille.

— Qu’est-ce t’entends par là, Chouchou ?

— Parle-moi de la môme Elise. Tu la connais puisqu’elle arpente le même bitume que toi. Elise Lalètra, la gagneuse d’Ali Ben Kalif.

Elle continue de me périscoper avec crainte.

— T’es un poulet ? demande-t-elle. Non, hein, un poulet ne file pas d’artiche aux filles, ce serait plutôt le contraire.

— Ce que je suis, crois-moi, t’en as rien à cirer, ma grande. Et rassure-toi, je ne suis pas là pour te faire du contrecarre.

La pute toquée hoche la tête.

— Justement, Lisa, ça fait deux soirs que je la vois pas et son melon la cherche ; il croit qu’elle l’a doublé et il parle de foutre le feu à Paris !