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— Question !

Les deux autres, kif des clébards chasseurs, lèvent une patte de devant et tirent leur langue frétillante.

Je reprends :

— Question ! L’homme qui a écrasé Larmiche contre un mur est-il le même que celui qui est allé fouiller sa bagnole un peu plus tard ?

— Je ne le pense pas, rétorque l’Ange Noir. Si c’était le cas, il serait allé à l’auto aussitôt après l’assassinat. A quoi bon attendre ? Une fois la mort de Larmiche découverte, la police risquait de s’occuper de sa tire.

— C’est la vieille pipelette qui a donné l’alerte ?

— Non : un gars qui rentrait chez lui à une heure avancée.

— Pourquoi la vioque n’a-t-elle rien dit tout de suite ?

— Elle prétend avoir eu peur. C’est une vraie vieillarde, tu sais, et elle n’a pas le téléphone dans le gourbi lui servant de loge.

— Elle a pu décrire l’auto meurtrière ? Je ne parle pas du numéro minéralogique, ce serait trop beau.

— Rien ! Pour elle, toutes les bagnoles se ressemblent, qu’elles soient grosses ou petites ; je me demande même si leur couleur constitue à ses yeux un signe distinctif.

— Tu es allé enquêter personnellement, malgré tes hautes fonctions ?

Il marque une légère gêne :

— Je savais que l’affaire te tiendrait à cœur. Et puis j’ai besoin de prendre l’air…

— C’était comment, la réception d’hier soir ?

Il répond par une grimace à mon sourire ironique.

— Exactement comme tu l’imaginais, en plus chiant encore : plus les gens sont « haut placés », plus leur connerie est évidente. Je ne comprends pas que jamais un régime totalitaire, usant de son pouvoir discrétionnaire, n’ait prohibé la connerie.

— Il ne pouvait prendre une telle mesure, étant con lui-même !

— Dommage. J’imaginerais volontiers des camps de cons ! Et ils devraient porter obligatoirement un « C » rouge sur la poitrine pour être identifiés illico, sans qu’on ait à leur parler.

Bérurier hoche la tête :

— Il s’y croive déjà, ton mâchuré, d’puis qu’ tu l’as donné des charges honorifiantes ! Si on lui laisserait l’pouvoir, tu verrais la manière qu’il nous dorcerait !

Je l’écoute distraitement, vu qu’une alchimie intéressante s’opère sous ma coiffe. Mathias revient déjà, une de ses chères fiches en main.

Il récite, par cœur :

— Lugo Lugowitz, sujet lithuanien, a travaillé deux ans à l’ambassade d’U.R.S.S. à Paris avant de se faire expulser à la suite d’une affaire de vol de documents. Son pedigree, d’après ce que nous en savons, est assez chargé : soupçonné de meurtres en Italie, d’actes terroristes à Bruxelles, de vols à main armée à Madrid, c’est un client assez spécial, comme vous le voyez.

Mon téléphone intérieur grésille. C’est Violette, ma « conseillère privée ». Pas joyce. Elle bougonne :

— Je vois qu’il y a conférence au sommet pendant que je me vernis les ongles dans un bureau à peine aéré !

Tiens, je l’avais oubliée, cette commère !

— Arrive !

Elle se présente, very bioutifoul, avec une jupe marine et une veste rose cerise. Maquillée soigné, pompes de chez Stephane Kélian. La classe.

Elle salue gravement l’assistance, bien qu’elle ait sucé rigoureusement tous les présents et dérouillé leurs mandrins dans la barbichette.

— Tu veux qu’on te résume, ma biche ?

— La phonie de nos deux bureaux était restée branchée, élude-t-elle.

J’enregistre. Faudra que je me gaffe, à l’avenir. Je déteste qu’on m’espionne.

— En ce cas, tu as des remarques à faire ?

— Je les proposerai le moment venu, monsieur le directeur.

Je lui adresse un signe de « comme-tu-voudras ». La môme, pas bégueule, se dépose sur un coin de ma table, la jupe retroussée, et la température de mes trois mousquetaires grimpe illico d’un bon degré. Violette, classe ou pas, faut qu’elle déballe ses charmes secrets quand elle se trouve en compagnie. Elle ne se pardonnerait pas qu’un gonzier puisse quitter la pièce en étant incapable d’annoncer la couleur de son slip. Aujourd’hui, ce dernier est bleu avec un liseré de fine dentelle blanche. Très rare ! On apprécie.

Je pertube le sortilège :

— Bon, écoutez, les gars, on triquera plus tard. Pour l’instant il s’agit de faire le point. A première vue, cette affaire se divise en trois parties. Primo : un crime de sadique, répétitif puisqu’on en est au troisième meurtre connu. Secundo : une affaire de stupéfiants. Tertio : une ramification X avec l’entrée en scène d’un malfaiteur de classe internationale.

— Tu veux qu’j’te dirais ? attaque Bérurier.

— Pas nécessairement, Gros.

Mais il est parti et le dit quand même :

— La folie, c’est d’avoir relâché ce Larmiche de mes deux ! J’l’eusse travaillé à mon idée, y s’ mettait à table. Au lieu d’ça, môssieur l’ direqueteur le congédie av’c un baisemain. Et conclusion, on est niqués, le dillinger se fait aplatir comme un’ pizza, et pour en savoir plus, faudra consulter un’ estraluciole !

La colère de Béru s’auto-alimente. Le temps de respirer et il éclate, violacé comme une bite en turgescence :

— Bonté divine, Viovio, cache ton piano, qu’autment j’réponde plus d’ rien. A m’fout un’ chopine d’ours, c’te greluse à nous déballer sa rôtissoire ! Qu’on lui voye jusque z’aux crins ! Tu d’vrais t’élaguer un peu la moniche, ma gosse : t’exubères d’trop du poilu d’ Verdun ! Va faudre te cloquer des grosses pinces à cheveux dans la cressonnière, si on voudra baliser ton parcours du combattant. T’as beau te teindre en blonde, ton jardin botanique annonce ta vraie couleur qu’est l’roux ardent ! N’a côté d’ton crépu, la tignasse à Xavier ressemb’ à d’l’or infusion. C’t’ marotte d’ déballer sa chatte à tout un chacun ! Ton rêve, c’s’rait d’t’ tenir à quat’ pattes dans une vitrine, le dargif pointé vers l’estérieur !

L’intrépide Violette lui virgule une œillée méprisante.

— Il grossit mal, ce goret ! décrète-t-elle. Dites-lui de la fermer, patron, qu’on puisse penser tranquillement.

Patron ! A moi ! Je suis tenté de me retourner pour m’assurer qu’il n’y a personne d’autre dans mon dos.

— L’heure de la récapitulation a sonné, dis-je.

Je me renverse contre le dossier du fauteuil-trône, croise mes mains sur mon ventre et me mets à contempler le plaftard.

— Tu vas faire la script-girl, Violette, et noter au passage les points forts de mon résumé. Un sadique tue (pour la troisième fois) en tirant dans le sexe d’une pute. Pour se débarrasser du cadavre, il le place dans le coffre de la bagnole de Larmiche. Connaît-il ce dernier, ou a-t-il agi au hasard ?

La main branleuse de Violette caresse la feuille de mon bloc, la couvrant de caractères relâchés.

— T’oublilles qu’c’est p’t’être Larmiche l’assassin, acharne le Gros. D’marchand d’ came à tueur, y a pas loin !

— Inscris l’interruption de Watson, Violette, ordonné-je.

Et je repars :

— Le dealer qui était surveillé par nos services se fait serrer au moment où il vendait sa marchandise à des lycéens. Nos confrères des Stups découvrent le cadavre de la dénommée Elise Lalètra dans la tire du gars.

« Le mec, interrogé par nos soins, nie être le meurtrier de la prostituée et prétend ignorer la présence de son corps dans sa charrette. Quelque chose me donne à croire qu’il est sincère et je le relâche afin d’étudier son comportement. Il ramène sa voiture dans l’impasse privée où il la remise. Béru la lui emprunte afin de la faire équiper d’un gadget. Il s’agit d’installer un appareil photo secret dans le coffre. Pourquoi ? Parce que je me suis dit que, rien ne se produisant, le meurtrier se demandera si le cadavre a été découvert et voudra vérifier la chose.