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— Etes-vous capable de me donner vos directives, tout en subissant mes entreprises, mon directeur aimé ?

— Je vais essayer.

Et alors, tandis qu’elle me malaxe, me cigarille, me fellationne, me pelote-basque, me lubrifie, me frétille sur la veine bleue des Vosges, je lui expose mon plan, calmos, par le menu. Bien qu’une personne de bonne éducation ne doive pas parler la bouche pleine, elle m’exprime son intérêt, par des affirmations, des onomatopées, des bouts de phrases baveuses.

Avant d’atteindre la fin de mon propos, sentant la douce mort venir et soucieux de ne pas succomber en égoïste, j’émets l’intention d’ôter son inestimable slip pour, aussitôt après, l’installer à califourchon sur mon plantoir ; mais elle s’y refuse.

— Non, non, continuez de parler, je suis en train de mémoriser ce que vous me dites et ne peux, de ce fait, prendre le risque de manquer le plus important de votre discours par suite d’une pâmoison. Abandonnez-vous sans scrupule, monsieur le directeur, si j’ose dire, c’est ma tournée !

Au plus fort de « La Flûte Enchantée », inspirée du grand Mozart, je me défargue de ma cargaison en réussissant l’exploit stupéfiant de continuer mon exposé sans faiblir de la voix. Prise au dépourvu, Violette échappe de justesse à un début d’asphyxie.

Mais en brillante amoureuse, rompue aux joutes les plus subtiles, elle parvient à restituer à ses cordes vocales leur liberté d’expression.

— Bravo, dit-elle, c’est une grande première pour moi !

— Question de volonté, dis-je. As-tu bien assimilé mon plan d’action ?

— Votre plan… et le reste, assure cette efficace collaboratrice à nulle autre pareille !

ENTRELARDAGE

Il est curieux de constater que nos actes les plus secrets, que nous accomplissons dans la solitude, ont parfois des témoins que nous ne soupçonnions point. Faut-il voir dans ce phénomène l’expression d’une autorité supérieure ? Et si oui, cette expression a-t-elle pour but de nous mettre en garde ou de nous châtier ?

Pach remit en place le capuchon de son stylo et relut sa note. Son cahier quadrillé touchait à sa fin et il lui faudrait bientôt en prendre un autre. Il ne se faisait guère d’illusion sur le devenir de son journal. Cette littérature privée (en existe-t-il qui le soit vraiment ?) n’avait aucune chance d’être publiée un jour.

Et d’ailleurs, qui intéresserait-elle ?

Il ferma le cahier en soupirant et le glissa dans le tiroir de son bureau à cylindre. Comme il avait du temps devant lui, il ramassa le journal qui gisait sur le plancher, « mort d’avoir été lu », et examina la photographie qui s’étalait à la une. Celle d’une femme au visage assez marqué, exagérément peint, coiffée d’une toque de fourrure.

Il la connaissait pour l’avoir examinée plusieurs fois à travers les vitres embuées de sa voiture. La dernière fois, il avait presque failli « la choisir » ; il s’en était fallu d’un rien. Au moment où il allait l’aborder, un autre affamé s’était arrêté devant la fille, au volant d’une ancienne Jaguar de couleur lie-de-vin. La femme à la toque était montée à son côté, en fait de quoi Pach avait jeté son dévolu sur une autre putain qui, tout compte fait, l’inspirait davantage.

La vie se montrait stupide ; « après », on appelait ses errements « le destin », mais tout ça n’était qu’une somme de hasards enchevêtrés.

CHAPITRE CINQ

DONT TU ME DONNERAS DES NOUVELLES !

Ils sont pas croyables, les gens. Ils passent leur vie à réclamer des choses, et quand ils ne demandent rien, c’est parce qu’ils sont en train de faire une connerie.

C’est ça, très exactement, que je me raconte en lisant le journal. Sur les baveux, plus encore qu’à la téloche, tu as le temps de bien comprendre l’à quel point ils sont fumiers, les hommes. Pernicieux de partout, véreux, foireux, requins !

Je balance mon baveux à l’arrière de ma tire car ce que j’attendais arrive : en l’occurrence l’enterrement de Joël Larmiche.

Rien des funérailles de Montand, qui ressemblaient à une parade du cirque Barnum, avec l’affiche du héros sur le corbillard ; que moi, franchement, en voyant ça, j’ai eu honte jusqu’au fin fond de mon trou de balle. Me disant qu’où donc l’indécence s’arrêterait ? A toujours reculer devant le show-biz, la pub, le m’as-tu-vuisme.

Tu vas voir que, quand je vais déposer mon bilan, ils colleront les couvertures de mes books sur le fourgon mortuaire, en lâchant des ballons rouges et en lançant à la foule des petites culottes fendues. Des haut-parleurs annonceront que « la vente continue » dans toutes les bonnes bibliothèques de gare et les librairies pas bêcheuses.

Dans le fond ça fera kermesse, ce sera joyeux. Rien que mes titres, déjà ! Devant le cimetière y aura une pièce de beaujolais (de chez Pivot) à la disposition des soiffards et, si mes ayants droit sont à la hauteur, ils payeront des pipeuses en caravane pour astiquer les tiges de mes potes éplorés, après le funéraire, les replonger rapidos dans la vie, que leur zob aussi ait la larme à l’œil !

Or donc, voilà le convoi du « dillinger ». Un fourgon bordeaux suivi d’une petite bagnole, et point à la ligne. Je quitte ma 500 SL pour filocher les arrivants. Ils cahin-cahatent dans l’allée centrale du petit cimetière de Gazon-sur-Yvette, d’où, je suppose, les Larmiche sont originaires (à moins que ce ne soit du côté de la mère). C’est une drôle d’idée que j’ai eue de vouloir assister à cet enterrement ! Ça fait bateau ! Film policier des entre-deux-guerres. Mais là, le cérémonial est rapide : y a pas de curé. Pourtant ça fait bien, un prêtre, devant une tombe pour l’ultime goupillance, la dernière prière. On le flanque dans un trou et on prie pour qu’il aille au ciel !

Les croques sautent du fourgon. Bonnes bouilles vernies au sancerre ou au côtes-du-Rhône. S’occupent de sortir le meuble, un beau coffiot de chêne, s’il te plaît ! Poignées bronze. Pas de crucifix sur le couvercle ; décidément, on est agnostique, chez le dealer.

Deux fossoyeurs du village s’annoncent ; gros pulls dépenaillés, galoches, casquettes, et prêtent tu sais quoi ? Main-forte !

Je vois alors descendre de la funèbre carriole une grosse femme mafflue, au teint jaunasse et à la moustache grise, assistée d’un julot mince, grand, élégant et à ce point pédé que lorsque son giton lui pose un lapin, il doit s’asseoir sur les bornes d’incendie pour se compenser le manque.

Les deux pleurent comme vache qui pisse en tentant de s’entre-réconforter.

De la petite bagnole suiveuse est sortie une personne entre deux âges (mais, comme disait Jules : plus proche du second que du premier). Du maintien. De la dignité. Elle reste un tantisoit à l’écart.

L’opération mise en terre se fait en silence. On perçoit des chocs, un ordre quand c’est nécessaire. Il fait gris et froid. Je ne regrette pas d’avoir mis mon pardingue en cachemire, doublé cachemire, de chez Zilli. Col de castor ! Il m’a offert ça en plus parce qu’on s’aime bien, Alain. Un prince de la fourrure ! Tous les morninges, la mère Bardot perce sa photo à coups d’épingle et récite des incantations bien funestes ; il est en tête de ses listes, tu penses, avec la qualité qu’il pratique !

Et donc, ma pomme, bien au chaud dans mon Zilli (c’est pas de la pube, Achtung ! je broute pas dans ce genre de gamelle ; c’est uniquement de la tendresse), moi, donc, peinard, j’assiste à l’empotage de « Tarte aux fraises (des bois) ».

Les Pompes, qui font bien les choses, ont apporté des roses que les quatre assistants (dont je suis) lancent sur la bière pour faire plus « Folies-Bergère ».