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Maintenant, faut que j’ouvre une parenthèse pour te dire que, nonobstant mes intentions premières, je ne suis pas allé enquêter au domicile de l’écrabouillé. Une idée, comme ça… Pas plus biscornue que les autres, mais pas moins ! Je réservais le contact pour les funérailles.

Tu me demanderais de t’expliquer mon cheminement mental, j’en serais incapable de fond en comble. Mes impulsions sont reines. Je leur ai toujours fait confiance. Ce sont elles qui différencient un vrai flic d’un fonctionnaire de police.

Les quatre roses gisent au fond du trou. Mais la maman et le giton s’attardent au bord de leur chagrin, sans tenir compte des fossoyeurs qui se gèlent les couilles en attendant de pelleter.

Je m’approche de la dame guindée.

— Vous êtes une parente ? murmuré-je, la voix déjà mouillée à toutes fins utiles.

— Grand Dieu non !

— Une amie ?

Elle me regarde pleins phares et je vois une lueur implacable dans les prunelles de la personne.

— Encore moins, dit-elle : je suis une ennemie.

Et comme je sourcille :

— Cette crapule est responsable de la mort de ma fille, décédée d’une overdose. Marianne était une enfant adorable, intelligente et jolie. Un jour, l’homme qui gît dans ce trou lui a proposé de la drogue et ça a été la glissade. J’avais toujours voulu venger ma fille. Mais je n’ai rien fait. En apprenant sa mort j’ai décidé d’accomplir l’ultime chose que je pouvais encore faire pour la mémoire de Marianne : le voir descendre dans un trou où il va pourrir !

Inclination de tête.

L’étrange dame s’éloigne et regagne sa voiture dont, par réflexe, je note le numéro.

Maman et le pédoque continuent de bieurler au chagrin.

Moi, je m’approche des employés des Pompes et leur file un bifton couleur d’omelette norvégienne dégueulée.

— Vous pouvez rentrer, messieurs, je reconduirai Mme Larmiche et sa belle-fille chez elles !

Les braves gens ne se le font pas répéter et jouent cassos.

Au bout d’un moment, le couple en peine finit par s’arracher au trou noir. Il regarde autour de lui, ne voit plus le fourgon, pense qu’il est sorti du cimetière et les attend à la porte. Il s’y dirige, moi au train.

Mais une fois dehors : zob, zob ! Nobody. Ces salauds de croque-morts ont mis les adjas. Y a eu confusion. Et les voilà sur la touche, les deux pleureurs. Paumés dans les rurales froidures de Gazon-sur-Yvette, loin du village car tu sais combien, en France, on a tendance à expédier les défunts chez Plumeau ! Dans la plupart des autres pays, on les enterre autour de l’église. Chez nous, basta ! Ils vont confectionner de l’humus au-delà des champs de betteraves, qu’on puisse les oublier tranquillos.

Chiquant le bel indifférent, je m’approche de mon bolide. Alors la fiote de feu Joël Larmiche s’enhardit :

— M’sssieur ! M’sssieur !

— Oui, mademoiselle ?

Il ne relève pas. Au contraire, ça le fait bicher comme ce délicieux chiot que le grand Roger Peyrefitte sodomisait de son médius princier[5].

— Le fourgon est parti sans nous, auriez-vous l’amabilité de demander au village qu’on nous envoie un taxi ?

— Vous allez à Paris ?

— Oui.

— Moi aussi. Je vais vous emmener. Les « deux plus deux » étant ce qu’elles sont, vous ne serez pas très confortable derrière, mais souple et mince comme vous êtes…

Et voilà qu’on s’installe. La grosse vieille passe devant. Elle pue la pisse et le tabac froid. Me remercie de mon obligeance, puis me demande qui je suis pour venir aux funérailles de son pauvre Joël. Elle enchaîne avant que je lui aie répondu, savoir si ça me gênerait qu’elle fumât. Tu parles que ça me gêne ! Nez en moins, je lui réponds que pas du tout. Alors elle sort un cigarillo noirâtre de son réticule et le combustionne à l’aide de mon allume-cigares (six gares). En moins de jouge j’ai l’impression de faire un reportage dans une taverne jamaïcaine.

Pendant qu’elle nous pollue, je lui explique comme quoi je suis le professeur Fursteinberg de l’hôpital Macheprot et que depuis deux ans je soigne son Joël.

Elle avale la fumaga de sa queue de rat.

— Il était malade ?

— Très, fais-je, mais c’était un garçon stoïque qui gardait secrètes ses misères physiques. Maintenant qu’il n’est plus, je suis délivré du secret professionnel ; je peux donc vous dire que votre fils était atteint du Sida.

Couinement à l’arrière ! Mam’zelle Chochotte qui défaille en apprenant une aussi cruelle nouvelle. Ainsi, il se faisait taper dans la lune par un mec contaminé ! Du coup son chagrin immense fait place à un ressentiment bien plus grand encore. Il se met à injurier le mort. A le traiter de criminel, de salopard, de pourri ! Et des tas d’autres mots qui lui déferlent du bec, au minet. La mère, outragée, s’emporte ! Elle entame la croisade des invectives à son tour, qualifie le petit danseur de lopette, d’enculé, de trou duc faisandé, de sale vermine ! Lui dit qu’il prenne ses robes et aille se faire miser ailleurs ! Dans un sens, elle est un peu réconfortée, la Larmiche, d’apprendre que son garnement était zingué de toute manière, que son assassinat lui aura épargné une longue et pénible agonie. On s’accroche à n’importe quoi dans de tels cas.

Moi, je savoure en gourmet l’effervescence produite par mon paveton dans la mare. Faut pas grand-chose pour modifier le comportement de quelqu’un.

Je les laisse s’épuiser en insultes fracassantes.

Le petit Bichet finit par éclater en sanglots et me supplie de le soigner. Je lui rétorque qu’impossible. Je ne soigne jamais les deux protagonistes d’un couple d’invertis. C’est contraire à ma déontologie. Là-dessus, la mémère qui pue émet l’hypothèse que c’est sûrement « Friandise » qui a filé la méchante poivrade à son garçon !

Il a une gueule de chtouillé, ce petit con ! Blanc comme endive, toujours enrhumé : comment n’y a-t-elle pas pensé plus tôt ?

L’autre est effondré. Le climat s’épaissit.

Parvenus rue du Poteau-Rose, dame Larmiche me presse de monter à l’apparte pour un cordial. Il faisait si froid dans ce cimetière ! Elle est partante pour un vin chaud, un vrai, de sa composition. Mais attention : pas le premier picrate venu ! Elle réprouve les gens qui, sous prétexte qu’on sucre et chauffe ce breuvage, utilisent du jaja d’épicemard. Elle, elle emploie un vrai bourgogne : chambertin de préférence. Quelques rondelles d’orange, une pincée de poivre, une autre de cannelle, beaucoup de sugar ! Faut pas que ça bout, sinon ça dégaze le vin. Il perd son arôme, ses vertus.

Le logement est moyen, tout petit-bourgeois, médiocre et malodorant. On y trouve des meubles de famille philippards, des tapis exténués, des tableaux à chier, des « bronzes en plâtre », des abat-jour en perles.

Elle se dépouille de son voile et de son manteau, répète à la lopette qu’elle doit vider les lieux. « Friandise » pousse des cris d’orfèvre. Supplie qu’on le garde ! Moi, ils finissent par me déburner, avec leurs scènes.

La vieille continue d’enchaîner ses putains de cigarillos et de vitupérer. Je me dis qu’est-ce qui t’a pris, Glandu, de leur foutre la merde avec cette histoire de Sida à ces deux tordus brins d’épaves.

— Fous le camp, que je te dis, enculé !

Il passe dans la chambrette où son pote « Tarte aux fraises (des bois) » allait lui tisonner l’oigne. Revient affolé en clamant comme quoi on a fouillé sa turne pendant l’enterrement. Mémère qui incrédulise va voir, se rend compte. J’y vais aussi. Fectivement c’est sens dessus dessous : tiroirs, penderie, valtoches.

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5

C’est pas moi qui l’invente, c’est lui qui l’a dit !

San-A.