Выбрать главу

Le premier s’appelle Dureuil et le second Malmaison.

Je louche sur ma Pasha.

— Vous étiez en position longtemps avant la sortie des élèves ?

— Si fait, monsieur le directeur, répond Dureuil le mulot.

— Et Larmiche ?

— Il s’est amené peu après nous.

— A pied ?

— Affirmatif, monsieur le directeur.

Ça, c’est Malmaison qui le déclare. De la sueur dégouline de son front taurin. Même en inaction, même par grand froid, il sue, ce gros lard.

Marie-Marie demande :

— Où se tenait-il pour attendre les élèves ?

Les deux clowns de la Maison Blanche-Neige désignent simultanément une cabane de cantonnier située en face du lycée André Sarda, non loin d’un platane au tronc couvert de graffitis. L’endroit est relativement discret. La circulation est peu importante. On entend glapir une sirène, quelque part dans les bâtiments.

— La sortie ! annonce Dureuil.

Effectivement, un bourdonnement d’essaim retentit, suivi d’un piétinement bruyant et une horde de gamins se précipite vers le portail de fer dépeint. Ils sortent comme la pâte dentifrice d’un tube inconsidérément pressé. Quelques-uns se dirigent vers des voitures parentales, d’autres se mettent en groupes pour des discussions d’après-classe. Il en est qui s’éloignent rapidement. Certains semblent indécis et hument le vent aigrelet avec une défiance de gibier.

— Racontez, bon Dieu ! fais-je aux duettistes des Stups.

Malmaison sort de son rêve de saucisses aux choux. Il dit.

— Ben, le dealer attendait, adossé à la cabane d’outils. Des gamins se sont approchés de lui.

— Beaucoup ?

— Trois ou quatre. Ils ont sorti de l’argent de leurs poches sans se cacher comme s’ils allaient acheter des cornets de frites. Larmiche leur souriait, tu te rappelles, Fernand ?

Dureuil bat des ramasse-miettes.

— Textuel !

— Alors ? insisté-je.

Je dois les intimider car ils ont de la peine à assurer la retransmission du match. Une fois encore, c’est le gros à l’œil tournicoteur qui se dévoue :

— On a estimé que le moment d’intervenir était venu, monsieur le directeur. Fernand Dureuil a embrayé et a stoppé pile près du platane. J’avais déjà ma portière ouverte. Je suis sorti en trombe et j’ai crié : « Police ! Pas de panique ! On ne bouge plus ! Personne ne bouge plus ! »

— Réactions ?

— Ils sont restés pétrifiés, les mômes et le dealer. J’ai chopé le poignet d’un des gamins. « Ouvre ta main, petit gars ! » Il avait un sachet blanc au creux de sa paume. Dureuil est intervenu pour passer les cadennes au loustic. Le dénommé Larmiche n’a rien fait pour gêner la manœuvre. Il semblait résigné. Sa sale gueule daubée était triste. Il ne disait pas un mot. J’ai plongé ma main dans ses poches et j’y ai trouvé une dizaine de sachets. C’est consigné dans notre rapport, monsieur le.

— J’ai lu.

— « C’est tout ? » lui ai-je demandé. « Le reste est dans ma voiture », il a murmuré. « Et ta voiture ? » « La rue, là-bas. » On a relevé les identités des mômes, et puis nous sommes allés jusqu’à sa bagnole, une grosse tire américaine passablement déglinguée. Il n’a fait aucun suif pour nous ouvrir sa portière de droite, malgré ses menottes. On a trouvé encore treize sachets dans les plis d’une carte routière, à l’intérieur de la boîte à gants.

« T’en as planqué ailleurs ? » ai-je insisté. Il a secoué la tête. “C’est tout, parole !” “Dans le coffre ?” “Non, regardez !” Dureuil est allé voir ; il a eu la méchante secousse, pas vrai, Fernand ? »

— Vous pensez, monsieur le directeur !

M. le directeur pense. Tu cherches de la neige et tu trouves un cadavre de femme ! Y a de quoi choper la jaunisse !

— Dès lors, reprend Malmaison, dès lors, monsieur le directeur, nous avons téléphoné à la maison mère depuis notre voiture pour expliquer ce qui se passait.

Fin de leur épisode. Pour eux, c’est pas comme dans Santa Barbara : ça s’arrête là.

— Allons voir où se trouvait sa voiture ! décide Marie-Marie avec une telle autorité que j’ai l’impression de passer un tout petit peu pour un glandu.

On traverse la chaussée. Il n’y a plus de gosses. Nous marchons sans mot dire jusqu’à la rue Gérard-Barrayer (physicien français, 1816–1899, né à Montauban, inventeur de la chaussette à pas de vis et du Coton-Tige à mercure). C’est une voie discrète qui donne sur le flanc du lycée André Sarda ; en face, se dresse la synagogue Saint-Vincent-de-Paul, si bien qu’aucun immeuble traditionnel ne la borde.

Dureuil qui ne veut pas se laisser dépouiller de la vedette par son collègue, déclare non sans emphase :

— Le véhicule du sieur Larmiche était en stationnement ici même, mademoiselle.

Et il tape la chaussée du talon comme pour bien définir le territoire.

Marie-Marie lui dit « Merci » en souriant. Du coup, Dureuil qui reprend du poil de la bête s’aperçoit qu’elle est très jolie et, comme c’est un vaillant petit sabreur, une démangeaison illégale lui vient sous les roustons. Il se retient de la conjurer par un grattage de mauvais aloi ; ça ferait désordre, devant une jolie fille. Il joue des mirettes, très casanova de kermesse.

Ma petite camarade d’amour est songeuse et ne s’aperçoit pas de cette cour de dindon déguisé en paon.

Tandis que nous repartons, elle à mon côté dans la 500 SL, ma dextre entre ses cuisses, comme en une moufle fourrée, elle soupire :

— Pourquoi ai-je la sensation très forte que c’est là que ça s’est passé.

— Que « quoi » s’est passé, Princesse ?

— Je ne sais pas. Mais j’ai reçu comme un flash.

— Mademoiselle est une extralucide ?

— Seulement une lucide extra. Pendant que tu interrogeais tes perdreaux près de la cabane de cantonnier, quelqu’un nous observait, de loin.

— Qui ça ?

— Un type.

— Explique.

— Un homme se dirigeait vers la rue Gérard-Barrayer[6]. Avant de s’y engager, il a regardé dans notre direction et a bronché. Il s’est alors dissimulé à l’angle du lycée pour nous observer. Au bout d’un moment, il a réalisé que je suivais son manège et il est reparti précipitamment.

— A quoi ressemblait-il ?

— A vrai dire, je ne l’ai presque pas vu car il portait un imperméable au col relevé, une casquette, et tenait un parapluie ouvert, bien qu’il ne tombât que quelques gouttes. Il était grand, assez costaud et avait une mallette ou une serviette de cuir, j’ai mal distingué.

— Tu as vu d’où il venait ?

— Non. C’est son attitude qui a attiré mon attention. On reste un moment sans jacter. On est bien, mais avec des arrière-pensées professionnelles. Marrant comme elle s’est branchée d’autor sur cette affaire, la Musaraigne. Tu sais qu’elle a des dons. « Singe qui voit, singe qui fait », comme dit m’man. Elle a toujours été passionnée par mon job, la chérie, et ce travail lui sied comme le tailleur qu’elle porte présentement.

On va à la Grande Chaumière où des tâches « patronales » m’attendent, qui sont étrangères au cas en question. Je lui fais les honneurs de mon bureau. Ça l’impressionne.

— T’auras fait une jolie carrière, note-t-elle.

— Oui, conviens-je, c’est triste.

— Pourquoi ?

— Quand tu es en haut, il ne te reste plus qu’à redescendre.

— Peut-être, mais tu auras atteint le sommet. C’est la performance qui importe ; on le sait bien que rien ne dure.

вернуться

6

Général français 1854–1921, qui s’est illustré à Valmy, Verdun et rue de Solférino où il a sauvé un pompier brûlé au troisième degré par une chaude-lance.