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Je l’entraîne dans le petit baisodrome capiteux du père Chilou où flottent des odeurs de cocottes minute. Sans mot dire, elle se dessape. C’est vrai, j’oubliais qu’elle porte des bas et un porte-jarretelles. Te dire si elle continue de vivre à mon heure, la môme !

J’éteins la luce et tire ma merveilleuse en silence, voluptueusement. Juste sa respiration qui s’emballe un peu, et puis quelques ténus gémissements au moment où elle prend son mignon panard. Ça c’est de l’amour à part, tu comprends ? De « la » vraie ; pas fornicateur du tout. On baise avec le cœur. C’est un hommage qu’on se rend. Une preuve d’infinie tendresse.

Je la tiens longuement pressée sur ma poitrine, joue contre joue, que chante mon pote Aznavour : « Tu te laisses haler ; tu te l’es salé ! ».

Je murmure :

— J’ai envie de te faire un cadeau, belle âme.

— C’est vrai ?

— Cette enquête, ma première depuis que j’occupe ce poste : je te l’offre.

— Comment ça ?

— Je t’ai raconté par le menu tous les tenants et aboutissants. Alors c’est toi qui vas diriger les opérations. Déjà tu as voulu cette semi-reconstitution avec des poulets des Stups, eh bien continue !

Pendant qu’elle se « rajuste » comme on disait puis, au siècle dernier dans la bonne société de Bourgoin et Jallieu, je vaque à d’autres sinécures. Lorsque j’en ai fini, je la trouve réparée complet, fardée faut voir, propre en ordre.

Elle est assise sur le divan de nos ébats, après l’avoir retapé. En pleine méditation. To be or not to be, si tu vois le topo ?

— Je trouble ? demandé-je.

Elle me tend la main. Je prends place. On se bouffe la gueule un grand coup. Son haleine a toujours eu un goût de framboise.

Puis :

— J’ai dressé un petit plan, Antoine.

— Yes, chief ?

Elle me saisit le poignet pour puiser l’heure à ma Pasha.

— Presque six heures, tu crois qu’on peut encore rendre visite à quelqu’un ?

— A qui ?

— La « dame bien du cimetière ». Celle qui est allée aux funérailles de Larmiche par haine. Tu m’as dit avoir relevé son numéro minéralogique, en quatre minutes tu obtiendras ses coordonnées.

— Bien sûr.

— Il faut l’interviewer sans tarder. C’est étrange qu’elle ait connu l’identité du dealer et su sa mort ainsi que le lieu et l’heure de son enterrement.

— Tu as raison.

Elle réfléchit et demande :

— Tu auras le temps de m’emmener faire un saut à Lyon demain matin ?

— Ça devrait pouvoir s’arranger.

— Parfait.

— Que comptes-tu y faire ?

— Ta question me déçoit, fin limier. Ou alors c’est que les directeurs sont obligatoirement gâteux !

Elle s’appelle Mme Desanges, Camille Desanges. Elle est hépatologue à la clinique Robert Debœuf à Suresnes (cimetière américain, mont Valérien) et demeure dans cette coquette localité de cent mille habitants, nichée sur la Seine. Sa villa, « Les Platanes », se situe à trois cents mètres à pied des établissements Mormelas et Tétoy, pièces détachées pour angine de poitrine.

La villa de banlieue : coquette, coconne, Sam’suffit amplement. Sonnette drelin, drelin, rouillée à point. Jardinet végétatif, opus incertain dans l’allée, fenêtres à bacs pour géraniums endeuillés. Perron moussu, roses crémières, pots cassés par la première atteinte du gel. Odeur de Toussaint mêlée de gaz d’échappements. Mélancolie assurée.

Nous nous présentons. Carillon fêlé. Onc ne se manifeste. On recommence, ne serait-ce que pour déguster une seconde tournée de grêles tintements.

Et puis une voix. Mais derrière nous :

— J’arrive !

Et la dame du cimetière sort de sa petite voiture. Vision rapide de ses cuisses pas dégueu du tout. On la zoberait sans encore se faire payer, pour peu qu’elle en ait très envie. Elle porte une robe grise avec du noir au col, un manteau de vison de coupe ancienne, mais ça se périme sans arrêt, ces trucs-là. Faut toujours attendre que la mode revienne !

Elle me retapisse au premier regard.

— Oh ! bonjour.

Salut aimable de la tête à ma compagne. Elle ouvre la porte, s’efface pour nous laisser entrer. J’aime bien son parfum. Ses loloches aussi. Du monde au balcon pour regarder passer le défilé, espère ! Tu vois comme je suis ? Même en compagnie de la Musaraigne et après lui avoir fait l’amour, je renifle déjà ailleurs ! Incorrigible, je te dis. Et tu voudrais que je l’épouse ? Un bouc ! Et j’ai même plus honte. J’accepte. Je gère cette constante vacuité sexuelle avec détermination. Je pense, donc je suis ! Je suis, donc je baise !

La maison sosotte du dehors est exquise à l’intérieur. Moderne, avec quelques très beaux meubles anciens pour rehausser. Décoration dans les tons pêche. Confort et élégance.

— Asseyez-vous ! Puis-je vous poser une question, monsieur ?

Et, comme j’opine (grosse commak !).

— Ne seriez-vous pas de la Police ? questionne le docteur.

— Cela se voit donc ?

— Non, cela se devine. Une certaine manière de regarder les gens, de les suspecter d’emblée.

Je souris.

— Vous êtes psychologue, docteur.

— Si je ne l’étais pas, il me faudrait changer de métier. Que puis-je pour vous ?

Je désigne Marie-Marie.

— Mademoiselle conduit l’enquête relative à la mort de la femme dont on a découvert le cadavre dans la voiture de Joël Larmiche. Elle a des questions à vous poser.

— Eh bien j’y répondrai de mon mieux, assure-t-elle simplement.

Elle fait pivoter son siège de manière à se tourner face à ma pétroleuse d’amour.

Quel âge peut-elle avoir ? La cinquantaine ? Pas encore, pas en plein. Je sais de quelle façon je la pinerais si j’en avais « l’opportunité » : sur le côté, à la langoureuse, en lui tenant la jambe droite levée. Elle est pulpeuse à souhait. Doit avoir la chagatte moelleuse, le pelage blond foncé. Quand on a, comme mézigue, l’odorat surdéveloppé, on détecte en la reniflant des odeurs d’éther. Ça joue avec son parfum de classe. Envoûtant. La vache, faudra qu’un jour je me la goinfre, Médéme Docteur ! Lui divertisse le minou pour la tirer sur la berge de la vie, un peu à l’écart de son chagrin. Premiers secours aux noyés. Respiration artificielle. J’ai déjà en paume les volumes de son cul ! Sa tiédeur infernale, son velouté.

La Musaraigne la pilonne de questions nettes et précises auxquelles le docteur Desanges répond spontanément et avec clarté.

Il appert (de Francfort, pour changer) ceci : l’an dernier, Camille (voilà que je me la nomme déjà par son prénom), a compris que sa fille Marianne se camait. Elle a eu une explication avec elle. La gamine (dix-sept ans) a avoué, mais n’a jamais voulu révéler où elle se procurait son venin et a refusé une cure de désintoxication. Camille est divorcée depuis dix ans et vivait seule avec l’adolescente. Elle est allée à la police où on lui a fait comprendre que le cas de Marianne, on s’en battait l’œil, compte tenu du nombre extravagant de jeunes touchés par le fléau.

Elle a alors décidé de lutter seule et a payé une agence de police privée pour surveiller le comportement de sa fille. C’est ainsi qu’elle a su qu’un individu à la gueule eczémateuse attendait certains élèves devant l’externat des Sœurs de l’Incantation Fiévreuse fréquenté par Marianne, et leur fourguait de la drogue. Le privé, à sa requête, s’est ensuite mis à filocher le dealer et a établi un rapport complet sur lui : ses postes de vente, son adresse, le café de Montrouge où, très probablement, on l’approvisionnait en « marchandise ».