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Le sourire en vingt-cinq centimètres de large, elle est parée pour l’aventure, Adeline. Son catalogue des délicatesses à dispose. Commencerait-on par un broute-minou à la charmante demoiselle pendant que je lui extrapolerais la voie sur berge ? Ou bien est-ce ma pomme qu’elle dégusterait en priorité presse, tout en fourgonnant le cadre de vie de ma gentille ? A voir !

Mais Mémé lui explique le pourquoi de notre visite et son sourire laisse aussitôt place à une gravité de bon aloi.

Quand on en vient à la Fabienne et sa mort cruelle, ses yeux s’embuent (sans but) et un soupir capable de transformer un préservatif en Graf Zeppelin s’échappe de ses soufflets au solide rembourrage.

On se met à évoquer la disparue et je suis agréablement surpris de constater qu’elle en parle fort bien. C’est toujours ainsi quand le cœur participe. La vie de Fabienne Marchopaz ? Pas joyce. La morte avait épousé un homme divorcé, conducteur de trolleybus et grand amateur de beaujolais village. Il rentrait beurré quotidiennement et ne supportait aucun reproche, sinon il y allait à la mandale. Parfois, sa première femme passait à leur domicile pour lui réclamer de l’argent et c’était alors des scènes homériques. Ce nigaud finissait par reprendre sa paie à Fabienne pour la refiler à Marie-Pervenche. Celle-ci, quand elle obtenait gain de cause (c’est-à-dire régulièrement) se troussait haut, tombait son slip et se laissait embroquer toute crue sur la table de la cuisine pour exprimer sa satisfaction à son ancien cornard et faire chier la nouvelle.

De ce fait, on végétait dur dans leur petit appartement de Vaise. Si bien qu’un jour, ayant rencontré une ancienne copine d’école qui s’expliquait chez mamie Princesse, Fabienne avait suivi la filière. Une relative félicité en était consécutée dans le triste foyer. La brave fille gagnait bien son bœuf et réservait une partie de l’osier au ménage, prétextant pour son époux qu’elle avait trouvé un job à mi-temps comme dame de réception chez une avocate. Le reste de son blé-de-fesses, elle le virgulait sur son livret Ecureuil ou bien l’utilisait à se sabouler car « Madame » exigeait de la tenue chez ses collaboratrices.

Bon, ça carburait convenablement et puis un triste jour…

Je laisse Adeline purger ses lacrymales avant de la faire redémarrer pour un tour. J’aborde la question des habitués. Fabienne lui a-t-elle confié que l’un d’eux lui avait demandé de la rencontrer en dehors de ses heures de bureau ?

La fille hoche la tête : elle n’a aucune mémoire de la chose.

Je ne m’avoue pas vaincu (vingt culs) :

— L’un de ces messieurs retenait-il l’attention de Fabienne ? Avait-il un comportement différent de celui des autres ?

De rechef (de gare) elle dubitate. Répond que chaque client a ses marottes, ses petites exigences. Au fond, elle me tient le même langage que Natacha, la radasse du Bois.

Les hommes sont empêtrés dans leurs fantasmes comme des spaghettis dans du parmesan fondu. Ils « s’arrangent » avec, comme ils peuvent, aidés par des êtres devant lesquels ils n’ont pas trop honte d’avoir honte ; mais ils en ont marre de charrier leurs sales secrets. Lourd fardeau, qui les épuise à la longue. Ils croient naïvement que ce qui n’est pas connu n’existe pas. Seulement si, mes cons : ça existe. Ça existe pour vous. Les autres s’en tamponnent de vos turpitudes, vous non. Le drame, votre drame, c’est que vous ne pouvez pas vous fuir.

— Gentille amie, soyez tout à fait coopérative, décrivez-nous ses principaux habitués : leur physique, leurs manies, leur nom, naturellement, quand vous le connaissez.

Elle réfléchit avant d’entamer une rétrospective :

— Il y avait M. Léo, le charcutier. Quand il venait, il lui apportait toujours un petit quelque chose : une rouelle de porc, du boudin avec des godiveaux[9], des pieds de cochon vinaigrette, que sais-je ! Il gueulait comme un fou en prenant son pied à lui !

— Adeline ! morigène la douairière. Parlez correctement, je vous prie !

La rabrouée rebiffe :

— Enfin, madame, je ne mens pas, vous savez bien que M. Léo pousse des cris de centaure ! Même que vous vous mettez au piano quand il part en jouissance pour essayer de couvrir un peu.

La Princesse hoche la tête.

— Nous avons peu de bruyants, Dieu merci.

— Qui d’autre ? engagé-je.

Adeline sourit.

— Oh ! oui : y avait celui qu’on appelle l’Enrhumé, parce qu’il passe son temps à renifler. Un vieux bonhomme qui pue la naphtaline et qui suce des pastilles Valda. C’est Lili qui en a hérité depuis la mort de Fabienne.

Re-larmes.

Et alors c’est là que Marie-Marie qui n’a pas encore ouvert la bouche, demande d’une voix ingénue :

— Mesdames, parmi les habitués en question, y en a-t-il un qui ait cessé de venir ici depuis le drame ?

Ça, tu vois, alors oui, c’est une bonne question ! La leur a-t-on posée, aux dames putasses ? Probablement que non puisque au moment du crime on manquait de recul pour qu’elle vînt à l’esprit.

Elles se dévisagent, troublées, les méninges en surchauffe, s’interrogeant en silence, parce que du regard.

— Quasimodo ? hasarde Madame.

Mais Adeline secoue la tête.

— Pensez-vous ! Il était encore là, la veille de Pâques. Il a choisi Marie-Blanche et a voulu qu’on lui enfile le gros gode !

— C’est juste. Vous voyez quelqu’un d’autre, ma chère enfant ?

La physionomie avenante de l’ancienne Espagnole devient une vitrine de Noël. La joie d’avoir trouvé l’illumine de l’intérieur et ça déborde à la surface.

Au lieu de me parler à moi, c’est à sa taulière qu’elle s’adresse :

— Madame, vous rappelez-vous ce monsieur bien qu’on avait surnommé « Le Baron » ?

— Si fait, mon enfant. Mais si vous voulez bien faire confiance à ma psychologie, il est hors de question de le soupçonner. Je m’y connais en hommes, lui c’était un gentleman, la preuve le sobriquet dont vous l’aviez affublé.

— Exquise madame, interviens-je, j’ai eu affaire à beaucoup de gentlemen que des courants passionnels entraînaient aux abysses et qui, tandis que nous devisons, purgent de longues peines en des geôles surbondées.

Elle secoue sa tête, inconvaincue.

— Je doute que notre « Baron » fasse votre affaire, cher monsieur. C’était un homme délicieux, plein de maintien, à l’air grave et pensif. Tenez, il me rappelait feu mon époux !

— Que pouvez-vous me dire de lui, l’une et l’autre, mesdames ?

— La cinquantaine, déclare Mme Princesse, une calvitie intelligente, un regard pénétrant, des vêtements confortables mais de chez le bon faiseur.

Elle se tait, je me tourne vers sa pensionnaire.

— La première fois qu’il est venu chez madame, dit cette dernière, il a choisi Fiona, une petite Italienne qui n’est pas restée longtemps chez nous. Au moment de son choix, Fabienne se trouvait en salle de travail avec un marchand de vin. Donc, le « Baron » a pris Fiona. Il n’est pas demeuré longtemps avec elle. Fiona m’a raconté après qu’il l’a seulement fait mettre nue et à quatre pattes. Comme il partait, Fabienne est sortie de sa chambre. En l’apercevant, le « Baron » s’est ravisé. Vous vous souvenez, madame ? Il est reparti pour un tour avec elle en exigeant qu’on lui donne la même chambre que le marchand de vin, sans changer les draps de travail. Vous dites « un gentleman », excusez-moi, moi je prétends : un viceloque !

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9

Dans la région lyonnaise, le godiveau est une mince saucisse de porc vendue au mètre.